Une nouvelle génération féminine du rire est née il y a à peine quatre ans à la faveur du boom des réseaux sociaux, et notamment de Facebook.

 
Elles sont jeunes, intelligentes, belles, « en forme », autrement dit pulpeuses dans le langage populaire ivoirien. Mais surtout, elles sont drôles. « Elles », ce sont ces humoristes ivoiriennes, dont les vidéos rythment chaque semaine les réseaux sociaux de leurs compatriotes. Leurs noms ? Yividero, Prissy la dégameuse, Braising Girl ou encore Eunice Zunon et Jennyfer Kissi. Une nouvelle génération féminine du rire née il y a à peine quatre ans, à la faveur du boom des réseaux sociaux dans leurs pays. Plus « Facebookeuses » que « Youtubeuses », elles cumulent aujourd’hui des millions de vues sur le leader des réseaux sociaux.

Leur mode opératoire est identique : poster le plus régulièrement possible des mini-sketchs ou des parodies, filmés le plus simplement du monde, dans un salon, une chambre, en voiture ou dans la rue. Le plus important n’étant pas forcément la qualité des vidéos, mais les punchlines que celles-ci comprennent.

 

Dans sa vidéo intitulée « Ultimatum » et publiée le 19 octobre, par exemple, Yvidero, de son vrai nom Yvanne Béké Niaba, les enchaîne : « Tu m’as dotée à crédit ! », lance-t-elle à son fiancé, en référence à la fameuse dot, payée par les futurs maris aux familles de leurs futures épouses, et encore incontournable aujourd’hui dans la plupart des mariages traditionnels et religieux en Afrique.

Totalement décomplexée

Elle enchaîne : « Mes copines se sont mariées avec des grands types et moi je suis venue me mettre avec un rien-eux ! ». Après trois minutes de vannes insolentes, le cameraman lui-même éclate de rire, en plein enregistrement. La vidéo, elle, dépassera rapidement le 1,5 million de vues sur Facebook.

Les hommes, le mariage, la dot, le célibat, l’infidélité, l’amour, le sexe, l’argent, Yvidero et ses acolytes abordent tous ces thèmes de manière totalement décomplexée et de leurs points de vue, de femmes ivoiriennes. Un humour de proximité, du quotidien, qui donne presque l’impression de suivre les aventures d’une amie, d’une sœur, d’une mère ou d’une « tanti ».

Et dans un pays où la scène humoristique, tout comme les comédies, ont toujours été dominées par les hommes, cela détonne. Fini le temps où les sketchs mettaient en scène des monstres sacrés de l’humour tels que Gohou Michel, avec des épouses ou des maîtresses en rôles secondaires. Aujourd’hui, les femmes jouent les premiers rôles, dans leurs propres vidéos.

Ibo Laure Prisca, alias Prissy la dégameuse, va même plus loin : « Ma cible principale, ce sont les jeunes filles, les femmes. J’aborde les problèmes qui les touchent, les thèmes qui les interpellent. Du coup, il n’y a pas vraiment de sujets tabous, même si j’essaie – avec plus ou moins de réussite d’ailleurs –, d’éviter de parler de politique, de religion ou d’homosexualité. » Des sujets, il est vrai, bien clivants, dans une Côte d’Ivoire qui se relève lentement d’une décennie de crise politico-militaire (2002-2011).

Cette jeune trentenaire, débordante d’énergie, mise d’abord sur la réactivité face au buzz en tout genre qui fleurit sur la Toile et suit les tendances. Lorsque début octobre, le #KupeChallenge de quatre frenchies affole la Toile et la gente féminine africaine, Prissy « dégame » (délirer en nouchi, l’argot abidjanais), toujours en vidéo : « A cause de vous, on a frustré nos gars ici. Nos gars mal épilés mais qui nous aimaient et nous avaient même donné 2 000 francs CFA [3 euros] pour payer notre transport. On les a vexés ici, à cause de vous. Nous les Ivoiriennes, on est sincère, quand on fait quelque chose, on va jusqu’au bout, on n’est pas là pour s’amuser. Donc ce que vous avez commencé, venez, on va le terminer. On va vous mougou [vous faire l’amour, en nouchi] ! »

Nouvelle génération de femmes

Fan de l’Ivoirienne Léa Dubois, qu’elle considère comme sa marraine et de la Française Florence Foresti, qu’elle « adore », Prissy la dégameuse se construit une carrière singulière, avec un maître mot : la polyvalence. Les contenus publiés sur les réseaux sociaux étant très peu ou pas rémunérées du tout par ces derniers, il faut bien redoubler d’ingéniosité pour monétiser l’audience et la notoriété acquises. Prissy, elle, est chroniqueuse télé et radio, mais aussi propriétaire de son propre salon de coiffure. Yvidero a, pour sa part, décroché dès 2017 l’un des principaux rôles de Barbershop Château d’eau, la série humoristique de Canal+ Afrique, écrite par l’humoriste franco-congolais Dycosh.

Andréa Marie Abba Fatoumata Sanda Ouattara (nom à l’état civil), qui s’est choisi comme pseudonyme Jennyfer Kissi, fait elle aussi partie de cette nouvelle génération de femmes ivoiriennes drôles et ambitieuses. Elle aussi mène deux carrières de front. A bientôt 24 ans, la coqueluche du groupe de comédiens Sa C Koi Sa Enkor, dont les web-séries cartonnent, est en outre attachée de gestion dans une entreprise de travaux publics.

Celle qui se décrit avant tout comme actrice aime s’investir dans l’écriture des scénarios et la mise en scène, aux côtés de ses deux partenaires Wilfrid Nanga et Moses Ahouné. Son désir ? Tourner un jour dans des longs-métrages, des comédies, comme ses modèles, l’Ivoirienne Adrienne Koutouan ou le Français Jamel Debouzze. Elle explique : « Ce métier, j’en rêve depuis que je suis toute petite, encouragée particulièrement par ma mère. L’exercer d’abord sur le Web et les réseaux sociaux surtout a un avantage précieux : être confronté immédiatement aux réactions, tantôt critiques, tantôt élogieuses, du public. Ce qui permet, en permanence, et d’une vidéo à l’autre, de rectifier le tir et de s’améliorer. »

S/LemondeAfrique/AFRICSOL

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