"Bavures" ou "maintien de l'ordre"? Les méthodes policières envers les migrants à Calais, dénoncées dans une tribune virulente lundi, sont défendues par l'exécutif qui s'insurge contre toute "caricature".
Dans Libération, l'écrivain Yann Moix a accusé le chef de l'Etat d'avoir "instauré à Calais un protocole de la bavure", avec des "actes de barbarie" qu'il affirme avoir filmés pour un documentaire qui sera diffusé en mai.
Quels sont les actes incriminés?
Les forces de l'ordre "frappent, gazent, caillassent, briment, humilient" les migrants, assure M. Moix, en déplorant "saccages d'abris, confiscations d'effets personnels, pulvérisation de sacs de couchages" et "entraves à l'aide humanitaire".
Des extraits de son documentaire montrent notamment des migrants se lavant les yeux au serum physiologique, un policier aspergeant de gaz un groupe de jeunes hommes, et un CRS témoignant des "directives du préfet" pour faire preuve de "fermeté".
Les associations alertent depuis des mois sur de telles pratiques, et la "virulente" lettre de M. Moix "correspond à ce qu'on voit sur le terrain", affirme à l'AFP Christian Salomé, de l'Auberge des migrants.
La nouveauté est que la dénonciation gagne les cercles intellectuels: l'économiste Jean Pisani-Ferry, proche d'Emmanuel Macron, a déploré dans une récente tribune au Monde "un pays où l'on arrache leurs couvertures à des migrants à Calais".
Qu'en disent les autorités?
Les accusations d'abus sont vigoureusement démenties.
"Les policiers n'exercent pas de violences physiques à l'encontre des migrants" et "l'usage du gaz lacrymogène se fait dans le respect de la réglementation" pour "mettre fin aux tentatives d'intrusion" sur la rocade, le port ou dans le tunnel sous la Manche "et pour stopper les débordements et les rixes entre migrants", a répliqué lundi le préfet du Pas-de-Calais sur Twitter.
Le but des autorités est d'empêcher toute réinstallation de migrants sur place, quinze mois après le démantèlement du campement de la "Jungle".
Au ministère de l'Intérieur, on souligne que les courts extraits du documentaire de Yann Moix manquent de "mise en contexte".
"Je ne laisserai personne caricaturer ce travail", avait lancé Emmanuel Macron à Calais le 16 janvier, en s'élevant contre l'idée que les forces de l'ordre "confisquent des effets personnels" ou "utilisent du gaz lacrymogène sur des points d'eau ou au moment de la distribution des repas".
"Si cela est fait et prouvé, cela sera sanctionné", avait-il ajouté, en annonçant une prochaine circulaire aux préfets, et en invitant "ceux qui assistent" à de telles scènes à saisir la justice.
Le parquet de Boulogne-sur-Mer a enregistré en 2017 une dizaine de plaintes des associatifs pour "violences policières". Mais, pour M. Salomé, "on a beau jeu de dire: les migrants doivent porter plainte. Ils ne sont pas en position de le faire".
Quelles preuves?
En octobre, un rapport officiel avait jugé "plausibles" certains abus policiers, notamment un usage "disproportionné" de la force et "abusif" des gaz lacrymogènes.
Le rapport, qui répondait à une enquête au vitriol de Human Rights Watch en juillet, avait toutefois écarté l'une des principales accusations de l'ONG, à savoir l'usage de gaz poivre.
"Ca s'est un peu calmé depuis le rapport de Human Rights Watch", estime M. Salomé. Mais, selon lui, "les CRS ont des consignes pour détruire tout ce qui peut permettre aux migrants de s'abriter".
"Il y a toujours plusieurs expulsions par semaine, on réveille toujours les gens la nuit", raconte Vincent de Coninck du Secours catholique, pour qui "il est extrêmement difficile d'amener des preuves car on n'est jamais là quand les violences se passent, on ne peut pas les filmer".
Sur place Dawit, un Ethiopien de 21 ans, affirmait mi-janvier à l'AFP que les policiers "aspergent la tente quand vous êtes en train de dormir ou ils vous aspergent directement le visage. La tente, ils la prennent. Le sac de couchage, ils le prennent. Ils prennent même les médicaments".
La préfecture, elle, souligne les efforts de mise à l'abri dans le cadre du plan hiver. M. Macron a aussi annoncé que l'Etat allait prendre en charge la distribution de repas aux migrants.
S/AFP/AFRICSOL
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