Cette semaine, Natacha Polony, directrice de la rédaction de "Marianne", questionne la conversion idéologique d'Emmanuel Macron et la plasticité dont il a fait montre sur certains sujets ces derniers mois. "Quand la technostructure et les lobbys pèsent de tout leur poids pour perpétuer le système – ce pour quoi ils ont soutenu Emmanuel Macron en 2017 –, qui l’emporte ?
Il y eut Saül, soldat romain tombant de son cheval en un éblouissement sur le chemin de Damas et se convertissant au christianisme sous le nom de Paul. Et puis il y a Emmanuel Macron. Et le moins qu’on puisse dire est que la conversion est tout aussi spectaculaire. À ceci près que saint Paul a finalement modelé le christianisme alors que nul ne peut savoir si le Macron nouveau durera plus d’une saison.
Dans un très long entretien donné à la revue le Grand Continent Emmanuel Macron embrasse l’ensemble des sujets essentiels pour dessiner une vision de la place de la France dans le chaos du monde et des enjeux pour les générations à venir. Il y est question, bien sûr, des tensions internationales qui ont fait de la France une cible et le prétexte, pour nombre de dirigeants, d’une guerre d’influence pour apparaître comme le premier défenseur des musulmans, mais aussi des rapports entre l’Afrique et l’Europe, de l’impérialisme américain, de la stratégie à adopter vis-à-vis de la Turquie ou de la Russie, de la relance du multilatéralisme, du défi écologique, de la nature du capitalisme, des dégâts de la mondialisation et des valeurs fondatrices de la civilisation européenne. Vaste programme.
MUE
Sur tous ces points, ou presque, la mue est étonnante. Heureusement pour lui, plus personne ne se souvient de ce que fut la campagne présidentielle du candidat Macron, encore moins la politique menée par le secrétaire général adjoint de l’Élysée ou le ministre de l’Économie. Ceux qui ont alors applaudi le techno-libéral adepte des poncifs modernistes du langage managérial et des dérégulations censées permettre la « destruction créatrice » théorisée par Schumpeter et rêvée par des élites hors-sol continueront donc à le trouver génial alors qu’il défend désormais le contraire absolu.
Ceux qui traquaient avec lui les « déclinistes », coupables d’alerter sur la destruction des classes moyennes occidentales par le libre-échange et la division mondiale du travail, ceux qui voyaient un adepte de Poutine dans quiconque alertait sur le tropisme atlantiste des élites européennes ou sur le dépeçage d’Alstom (avec la bénédiction du ministre de l’Économie de l’époque) ou ceux qui se satisfaisaient que ledit ministre ne se donne même pas la peine d’examiner une seconde les enjeux écologiques derrière les demandes des multinationales pour exploiter le sous-sol ou arroser les sols de pesticides feront comme si de rien n’était et continueront à montrer du doigt les dangereux « souverainistes », parmi lesquels on compte donc désormais le président de la République.
Constater que l’extraterritorialité de droit américain a coûté à la France et à l’Europe des fleurons industriels et qu’elle est l’arme d’une guerre commerciale impitoyable enclenchée non par Donald Trump mais par les démocrates, déplorer la posture de certains pays européens qui soutiennent aussi peu la France sur sa volonté de construire une Europe indépendante que sur sa défense de la liberté contre l’obscurantisme, rappeler que la simple observation géographique fait apparaître les intérêts divergents des États-Unis et de l’Europe au Proche-Orient comme en Afrique, et tenter de dessiner une politique de coopération avec cette dernière pour désamorcer la bombe démographique, voilà autant de points sur lesquels Emmanuel Macron esquisse une doctrine lucide et raisonnable.
AU MOMENT D’ARBITRER, QUELLE EST LA COULEUR DU CAMÉLÉON ?
Évidemment, celui qui s’est coulé dans le moule de la technostructure pour faire carrière ne peut pas totalement se dédire, mais il va tout de même jusqu’à tempérer son concept si vague de « souveraineté européenne » pour énoncer la seule chose tangible : la nécessite d’une indépendance stratégique de l’Europe. Certains pourront ironiser sur son indéfectible foi en une Angela Merkel qui a pourtant martelé – et démontré en actes – que l’Allemagne choisirait toujours les États-Unis et l’Otan (et son propre intérêt) contre l’UE et la France, d’autres regretteront l’incapacité du président à nouer des alliances avec ces pays du sud de l’Europe indispensables pour sortir la France de l’isolement et mener à bien ses projets. Mais l’orientation est là. Et même la dimension de combat culturel.
On saura gré à Emmanuel Macron d’énoncer ce que ses prédécesseurs ont été incapables de mettre en avant et ce que nos partenaires européens oublient : il y a une vision européenne du monde et de l’être humain. Un modèle fondé sur la liberté individuelle par l’exercice de la raison, qui n’existe nulle part ailleurs sur la planète, et qui est attaqué de toute part, en une offensive à la fois culturelle et géostratégique. Dans ce combat non plus, les États-Unis ne sont pas nos amis. Et c’est en effet le combat d’une génération.
Tout cela est fort bien. Une fois de plus, les mots sont là. Mais que penser de leur interprète ? Au moment d’arbitrer, quelle est la couleur du caméléon ? Quand la technostructure et les lobbys pèsent de tout leur poids pour perpétuer le système – ce pour quoi ils ont soutenu Emmanuel Macron en 2017 –, qui l’emporte ? La limite du discours d’Emmanuel Macron est sans doute à chercher dans sa façon de gouverner, dans son absence totale de réponse aux aspirations démocratiques. Qui gouverne sans les citoyens défend rarement leurs intérêts.
S/MARIANNE/AFRICSOL
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