Le confinement, et le recours massif au télétravail, ont provoqué une forte hausse des arnaques financières ciblant les épargnants. Les escrocs se réinventent pour hameçonner leurs cibles. Une victime témoigne.

 

Un milliard d’euros ! C’est le montant estimé du préjudice lié aux arnaques financières entre 2017 et 2019 selon l’AMF (Autorité des marchés financiers). Une tendance qui s’est intensifiée pendant la pandémie - avec le télétravail en toile de fond - même s’il est difficile de la quantifier précisément. En 2020, l’épargne des Français a atteint des sommets. Inquiets pour leur avenir, les ménages ont mis de côté plus de 200 milliards d’euros, selon la Banque de France. Ces fonds principalement déposés sur des comptes courants et des livrets d’épargne attirent l’œil de réseaux mal intentionnés, bien décidés à mettre le grappin dessus.

En outre, les taux d’intérêt proposés par les banques demeurent très faibles : 0,5 % pour les livrets A, avec une inflation au même niveau, et à peine 1,8 % pour les assurances vies. Dans un contexte où les placements financiers classiques ne permettent pas de faire de rendement, nombreux sont ceux qui se tournent vers d’autres types d’investissements plus juteux, mais aussi plus risqués… Les escrocs l’ont bien compris et se sont engouffrés dans la brèche.

DES ESCROCS INSPIRÉS PAR LES MODES MÉDIATIQUES

« La grande spécialité des arnaqueurs est de surfer sur les modes et ainsi capter les tendances, pour mieux amadouer les particuliers » explique Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants et de leur protection à l’AMF. « Ils profitent du tapage médiatique et se comportent en prédateurs. » En effet, de manière systématique ces escrocs imitent des investissements qui sont réellement proposés sur le marché, afin de ne pas attirer la suspicion.

En 2016, c’était le Forex (marché des devises), puis il y a eu les diamants, le Bitcoin, le vin ou encore le whisky. « En 2019-2020, nous avons identifié une fragmentation des offres avec l’apparition des supermarchés de l’arnaque, dans lesquels des investissements sur les vaches laitières ou le cannabis thérapeutique étaient proposés. Il n’y a pas de limite. » détaille Claire Castanet.

DÉMARCHES PAR TÉLÉPHONE

Le mode d’action est très souvent le même. Les escrocs effectuent toutes leurs démarches par téléphone, et proposent des investissements avec des rendements de 4 à 6 % pour ne pas éveiller de soupçon. Après le premier placement, des intérêts tombent pour inciter l'investisseur à placer davantage de fonds. C'est là que le piège se referme. L'insistance des individus se fait alors de plus en plus pressante, jusqu’à ce qu'ils disparaissent avec tout l'argent.

Thomas de Ricolfis, sous-directeur de la lutte contre la criminalité financière, estime que le mode d'action est bien rodé. « L’escroc rassure avec une société qui a pignon sur rue, et use d’artifices pour mettre en confiance l’épargnant. Toutefois, ce qui est proposé est systématiquement du vent. L’épargnant n’a jamais le contrôle sur ce qui se passe. » L'objectif en soi étant de soustraire à la victime un maximum d’argent en un temps record.

UN CERTAIN HENRI MILLER

Marianne a tenté l’expérience pour comprendre comment la mécanique se mettait en place. Nous nous sommes fait passer pour des investisseurs indécis, déçus par les taux d’intérêt que proposent les banques, et alléchés par les rendements proposés par une entreprise baptisée Trade360, par ailleurs inscrite sur une liste noire de l’AMF.

Un homme se faisant appeler Henri Miller, soi-disant professionnel de la finance, prend alors contact avec nous. D’emblée il se veut rassurant et envoie une (fausse) preuve d’affiliation à la banque de France. Puis il nous propose d’investir 10 % de notre capital pour un rendement d’environ 5 à 10 %. Pour nous conseiller, l’homme feint de nous passer son directeur financier. Le temps de la liaison, une petite musique d’ascenseur se met en route avec une voix enregistrée nous demandant de patienter. On croirait presque avoir affaire à de vrais professionnels. C’est l’effet escompté. L’homme insiste alors pour que l'on investisse immédiatement, tout en gardant un vocabulaire rassurant : « Dispositions légales, sécurité, pas d’engagement ni de restriction ». Alors que nous arrivons assez vite à la case dépôt d’argent, nous feignons de nous retirer.

Alain Beltran retraité après 38 années passées dans la gendarmerie, n’a malheureusement pas eu le même réflexe. En 2017 il commence par investir 12 000 euros dans les cryptomonnaies. Pour le rassurer et lui extorquer encore davantage, les escrocs lui renvoient 4 000 euros de soi-disant bénéfices par virement. « Ils m’appelaient toutes les semaines pour me conseiller, et m’ont fait croire que j’avais quadruplé la mise ». Confiant, il engage alors 139 000 euros de son capital. Puis, lorsqu’il demande à effectuer un retrait de 30 000 euros, les responsables du site lui expliquent qu'ils ont perdu la somme en raison d’un piratage informatique. Aujourd'hui retrouvés par la police, les arnaqueurs qui étaient basés en France, doivent comparaître devant le tribunal de Nancy en 2021.

DES CENTRES D'APPELS EN DEHORS DE L'UE

Si certains se font attraper, ce n'est pas toujours le cas, notamment quand ils sont basés à l'étranger. Leur interpellation fait partie des missions de Thierry Pezennec à la tête du SIRASCO Financier (Service d'Information, de Renseignement, d'Analyse Stratégique sur la Criminalité Organisée Financière), crée en 2019. Après de longues années de terrain, il a décidé de traquer les escrocs depuis les locaux du 101 Rue des Trois-Fontanot, à Nanterre ou 200 policiers spécialisés dans la lutte contre la criminalité financière sont mobilisés. Lorsqu'ils sont arrêtés, les escrocs risquent jusqu'à dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende.
« De notre point de vue, les arnaques sont cloisonnées. Il est difficile de faire tomber un grand réseau. De plus, ces individus font appel à des mules financières pour ouvrir des comptes à l’étranger, ce qui nous rend la tâche d’autant plus difficile. C'est ce qu'on appelle des sociétés éphémères » précise le gendarme financier.

Selon les informations communiquées par ses services, les centres d’appels qui orchestrent les manœuvres frauduleuses sont tous situés en dehors de l’UE. « La plupart sont implantées en Afrique et en Israël. » Ces dernières années, il y a eu 8 interpellations dans l'État Hébreu, grâce à une collaboration entre les services de police.

Du côté français on tente désormais de détecter les signaux et failles en amont. « L’objectif n'est plus seulement faire de la répression, en étant passif » lance Thierry Pezennec. Pour cela une "Taskforce" nationale de lutte contre les fraudes et escroqueries a été mise en place en avril dernier, à l'initiative du ministère de l'économie. Dans ce regroupement de plusieurs services, le mot d'ordre est la prévention. Pas sûr toutefois qu'elle suffise à éviter toutes les tentatives d’hameçonnage…

S/MARRIANE/AFRIC'SOL

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