Au lendemain de l'évacuation polémique d'un camp de migrant monté par surprise place de la République à Paris, les policiers interrogés par Marianne, jugent ces images "désastreuses", mais estiment qu'il s'agit "d'excès individuels".

Pas d'amalgame. Au lendemain de l'évacuation polémique, ce lundi 23 novembre, d'un camp de migrant monté par surprise place de la République à Paris, les policiers interrogés par Marianne se cramponnent au même discours : les dérives constatées sont individuelles et doivent être sanctionnées, mais il n'existe ni culture de la violence, ni sentiment d'impunité parmi les forces de l'ordre.

CROCHE-PIED

Rappel des faits : soutenus par des élus et des associations (notamment Utopia 56), plusieurs centaines de migrants, en errance depuis l'évacuation d'un important camp la semaine dernière, ont posé leurs tentes lors d'une opération coup de poing en plein centre de Paris. La Direction de la sécurité publique de l'agglomération parisienne, qui a dirigé l'opération, a dépêché sur place un escadron de gendarmes mobiles, ainsi que des policiers de la Brigade anti-criminalité (BAC) nuit et des compagnies de sécurisation et d'intervention (CSI). Les forces de l'ordre ont démantelé ce campement sans ménagement dans la soirée, en faisant notamment usage de gaz lacrymogène.

Des images de violences ont très vite été relayées sur les réseaux sociaux. On y voit notamment des migrants sortis de leur tente par la force, un journaliste de Brut, Rémy Busine, molesté par un policier, et un autre pandore faire un croche-pied à un migrant en fuite. "Il y a eu des excès individuels", concède Matthieu Valet, commissaire de police et secrétaire national adjoint du Syndicat Indépendant Commissaires Police (SICP). "Les images sont désastreuses, mais ces comportements ne traduisent pas ce qu'est la police."

"Les vidéos que l'on a vues, je les condamne fermement", abonde Abdoulaye Kanté, policier dans les Hauts-de-Seine après vingt ans à police secours dans la BAC parisienne. "Certains comportements sont inadmissibles, et il est logique que les policiers concernés répondent de leurs actes", ajoute-t-il, plaidant pour "plus de transparence" de la police des polices.

DEUX ENQUÊTES OUVERTES

Après avoir jugé lesdites images "choquantesdans un tweet, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a pour sa part annoncé avoir "demandé à l'Inspection générale de la police nationale de remettre ses conclusions sous 48 heures" sur les violences observées lundi soir, ainsi qu'un rapport au préfet de police de Paris, Didier Lallement. En outre, deux enquêtes ont été ouvertes par le parquet de Paris et confiée à la même IGPN pour "violences par personne dépositaire de l'autorité publique", l'une à la suite d'un croche-pied fait sur un migrant par un policier à Paris lundi soir, filmé et diffusé sur les réseaux sociaux, l'autre à propos des violences subies par Rémy Buisine.

Cette évacuation controversée intervient alors que les députés ont voté aujourd'hui en première lecture le texte "Sécurité globale", dont l'article 24, prévoyant des sanctions en cas de diffusion d'images du visage d'un policier en opération dans l'intention de lui nuire, est très largement critiqué par la presse. Devant l'Assemblée nationale, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé qu'il saisirait le Conseil constitutionnel à l'issue de la procédure législative afin de vérifier la conformité de cette disposition. "Avec l'hystérie autour de cet article, si les policiers ne sont pas absolument irréprochables et exemplaires derrière, la bataille de l'opinion va être dure à gagner", souffle Matthieu Valet. "Lundi, nos contradicteurs ont eu les images qu'ils voulaient pour dénoncer un excès sécuritaire et une loi liberticide."

Les forces de l'ordre, dont les syndicats défendent mordicus le projet de loi, donnent en effet l'impression de s'être tiré une balle dans le pied. "On a été un peu piégés : il y a une opération coup de poing des associations, Tout tendait à ce que la situation parte en vrille", avance Abdoulaye Kanté. "Les associations ont fait leur travail en venant en aide aux réfugiés - en un sens c'est bien de rendre visible de problème -, mais les militants politiques en ont aussi profité", continue-t-il. Même son de cloche du côté du SICP : "C'est une opération instrumentalisée, une utilisation de la misère humaine pour faire des images chocs", tempête Matthieu Valet. L'association Human Rights Observers fait pour sa part remarquer auprès de l'AFP que ces expulsions "avec confiscation des bien personnels, dans un contexte violent accompagné d'interpellations" sont "quotidiennes" à Calais, l'occupation de lundi ayant justement le mérite de médiatiser cette crise sociale.

"INDIGNATION À DEUX VITESSES"

Si l'évacuation du camp improvisé relève bien des ordres reçus par les forces de l'ordre - bien qu'on puisse douter de la pertinence de leur exécution brutale -, les policiers n'ont en revanche eu besoin de personne pour commettre les violences observées lors de cette opération. Rejetant tout problème "systémique" au sein de l'institution policière, le syndicaliste Matthieu Valet lance : "Si l'idée c'est de dire qu'il y a du sexisme, de la violence, du racisme, etc., ça ne fait que légitimer l'opposition aux forces de l'ordre." Et de désigner une "indignation à deux vitesses" entre les réactions suscitées par les images de la place de la République et les "violences subies par les policiers chaque jour".

Il pointe en revanche du doigt, "sans jeter la pierre à personne", un "dispositif monté à la hussarde", "dans la précipitation". "Même si la réalité du terrain est plus compliquée que ça, les unités de maintien de l'ordre savent mieux réagir à des climats tendus. Les BAC, leur boulot, c'est de faire de l'interpellation", explique-t-il. "Nos collègues ont été jetés en pâture par leur hiérarchie", ajoute Abdoulaye Kanté. Quid du sentiment d'impunité que pourraient ressentir certains policiers ? "Au vu des images, si on laisse passer ça, il y en aura un", affirme le fonctionnaire. Ça promet…

 
S/M/AFRICSOL 

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