Même si les positions idéologiques du polémiste et de l'Insoumis étaient déjà connues, leur confrontation érudite sur la chaîne d'info en direct a livré plusieurs indications : le flou persistant de Mélenchon autour des questions d'identité, et les faiblesses de Zemmour en matière d'économie.

Aucun partisan de Jean-Luc Mélenchon ne soutiendra Éric Zemmour ce matin, et aucun fidèle d'Éric Zemmour ne se tournera vers Jean-Luc Mélenchon non plus. L'enjeu de la lutte entre les deux hommes, retransmise sur BFM ce jeudi 23 septembre, était ailleurs, et se nichait d'abord dans une certaine idée du débat : pendant plus de deux heures, celui qui est déjà candidat et celui qui devrait bientôt l'être ont défendu chacun avec conviction leur vision du pays, sans (trop) se couper, mobilisant de nombreuses références historiques et maniant la langue française avec soin. Au-delà de l'opposition attendue et parfois caricaturale entre l'Insoumis et l'éditorialiste, la soirée n'a pas été avare en enseignements, épisodiquement interrompus par quelques inutiles séquences de fact-checking.

La première heure a été consacrée aux thèmes de prédilection d'Éric Zemmour, les fameux « trois i » : immigration, insécurité et islamisme. L'auteur du Suicide français a déroulé ses arguments habituels. Pour lui, la France se trouve face à un enjeu existentiel, un « point de bascule, les élites françaises ayant commis la folie criminelle de laisser venir des millions et des millions d'immigrés venus d'une civilisation musulmane qui sont hostiles à la civilisation chrétienne ». Multipliant les chiffres, Zemmour a réitéré son soutien à « l'assimilation » plutôt qu'à l'intégration, appelant chaque personne immigrée à « faire sienne l'histoire française, la culture française, les mœurs françaises ». Pour le polémiste, « l'islam n'est pas compatible avec la France », et n'est guère différent de l'islamisme, étant une religion « politique par essence ». Zemmour a toutefois admis « une différence entre les musulmans et l'islam », indiquant que « les musulmans qui peuvent s'approprier la conception française de la religion en la considérant comme une affaire privée » avaient « toute leur place » dans la nation.

Le journaliste du Figaro a établi un lien direct entre insécurité et immigration, dressant un tableau apocalyptique de la situation du pays s'agissant de ces deux enjeux. À plusieurs reprises, il a toutefois pris ses distances avec les intentions extrémistes dont l'accusait Mélenchon, en se défendant de vouloir mettre en œuvre une « remigration » ou d'avoir pour projet de « déporter les musulmans ».

LES AMBIGUÏTÉS MÉLENCHONIENNES

Face à une déferlante quelque peu anxiogène, Jean-Luc Mélenchon a alterné le chaud et le froid. Il s'est montré clair dans sa dénonciation des outrances d'Éric Zemmour, l'accusant d'être « un danger pour la France, un raciste », tentant de démonter les constats alarmants de son adversaire.

En revanche, si les projets de Zemmour sont éminemment critiquables, ils sont plus clairs que les démonstrations de l'Insoumis sur la « créolisation », concept introduit pour la campagne présidentielle dont on peine toujours à cerner les implications. Si Mélenchon présente le mélange des cultures et la formation d'un syncrétisme comme un processus irréversible, « pas un choix mais une réalité », quel est le rôle du politique en la matière ? Pour Zemmour, la créolisation est « le nouveau mot que [Mélenchon] a trouvé pour parler de multiculturalisme et de droit à la différence ». Le député de Marseille, défendant des positions plus ouvertes que Zemmour, a assumé de tourner le dos à l'assimilationnisme républicain ( « l'assimilation, ça n'existe pas »), sans non plus défendre un modèle communautariste. Difficile de se faire un avis tranché sur ses propositions au sujet de l'immigration, de l'islamisme ou de l'intégration : Mélenchon a davantage cherché à amoindrir les constats de son opposant qu'à défendre précisément son propre modèle.

LE VIRAGE IDENTITAIRE DE ZEMMOUR

Les passes d'armes entre les deux hommes se sont multipliées lors de cette première séquence. « Vous ne réglerez rien, vous poussez les gens à l'affrontement, à la guerre civile », a accusé Mélenchon. « Comment appelez-vous un pays où la tête d'un professeur roule sur le sol dans la rue ? Moi, j'appelle ça la guerre civile » a rétorqué Zemmour. Un peu plus tard, Mélenchon : « Le Zemmouristan ça existe. Un pays où les femmes sont rabaissées, où la peine de mort est rétablie, où les homosexuels sont punis, ça s'appelle l'Arabie saoudite. » Réponse du tac au tac du polémiste : « Là, vous décrivez les banlieues islamisées ! »

Autre thème récurrent de la soirée : les attaques de l'éditorialiste contre l'Insoumis, jugé compromis. « Jean-Luc Mélenchon a trahi Jean-Luc Mélenchon : c'était jadis un républicain strict, aujourd'hui il court après les indigénistes. Moi, je cours après une idée de la France que je vois en train de disparaître. » Ce faisant, Zemmour oublie de préciser que lui aussi a évolué : gaulliste et séguiniste, il s'est de plus en plus tourné vers des positions identitaires et défend aujourd'hui les thèses de Renaud Camus sur un prétendu « grand remplacement ». « La France n'est pas raciste quand elle défend son modèle, sa culture, sa civilisation, a-t-il affirmé. Moi, je défends tout cela, je ne veux pas qu'on la remplace par une autre civilisation, qu'on remplace le peuple français par un autre peuple. »

ZEMMOUR EN DIFFICULTÉ SUR L'ÉCONOMIE

La deuxième partie du débat, consacrée aux thèmes économiques et sociaux ainsi qu'à la lutte contre le réchauffement climatique, a en revanche été marquée par une nette domination de Jean-Luc Mélenchon. L'Insoumis a l'habitude de s'exprimer sur ces sujets, et dispose d'un programme détaillé. Il a ainsi déroulé avec force arguments ses projets d'augmentation du Smic, de gratuité des services de première nécessité, de planification écologique.

En face, Zemmour était attendu, et il a déçu : très à l'aise sur l'immigration, qu'il assume de mettre en tête de tous les problèmes, l'éditorialiste s'est borné à des constats de libéral entêté, décrivant une « France en voie de tiers-mondisation » en raison d'un « État-providence devenu obèse » et du niveau trop élevé des cotisations sociales. Les seules solutions du polémiste, pour l'heure, se résument à une réduction des impôts et l'instauration de la préférence nationale pour les aides. « Tout ce que vous avez dit, c'est l'ancien temps, a raillé Mélenchon. La croissance sans fin, alors que la planète n'a pas de ressources sans fin ! »

ÉCOLOGIE OU IMMIGRATION, À CHACUN SON APOCALYPSE

En matière d'écologie, Éric Zemmour a bénéficié d'une chance : l'entêtement de Jean-Luc Mélenchon à défendre une sortie du nucléaire sans autres arguments que l'agitation de totems répulsifs (Tchernobyl, Fukushima). L'essayiste a eu beau jeu de s'engouffrer dans la brèche, sans parvenir à dissiper l'impression que son programme de lutte contre le réchauffement est pour l'heure un peu léger : il se résume à une défense de l'atome et une condamnation des éoliennes. Signe de son manque de polyvalence, tout au long de la soirée, Zemmour a tenté de relier quasiment chaque thématique au péril migratoire, une posture qu'il assume entièrement du reste : « Cela touche tous les sujets et cela hante les Français ». « Vous êtes un disque rayé », lui a répondu Mélenchon.

Les points d'accord entre les deux candidats auront été rares, mais ils existent, essentiellement sur les sujets internationaux : la souveraineté du peuple français bafouée par l'Union européenne, la nécessité d'une sortie de l'OTAN.

Les conclusions respectives ont constitué une synthèse des atouts et des faiblesses des probables futurs rivaux de l'élection présidentielle. Zemmour marque les esprits par sa promesse de la transformation de la France, à l'horizon 2050, en « un Liban plus grand, un pays où il y aura plus de pauvreté, de misère, de désordre et de violence, où le peuple français aura petit à petit été remplacé par un autre peuple ». Mais face à ses perspectives cauchemardesques, il échoue pour l'heure à proposer un horizon positif aux Français, appelant simplement à « abandonner les principes qui nous ont déconstruits et détruits depuis quarante ans ».

Mélenchon a lui choisi de porter la promesse de l'apocalypse sur le plan climatique, alertant contre la menace d'une France où « la Camargue, le Marais poitevin, Dunkerque et Bordeaux seront sous l'eau en 2050 », avec « quatre mois de sécheresse par an, des pics de température à 55 degrés et l'accès à l'eau potable compromis ». Les solutions de l'Insoumis sont plus amples et variées que celles de Zemmour. Mais elles semblent également plus éloignées des aspirations profondes des Français. Outre son image dégradée, Jean-Luc Mélenchon traîne également deux boulets à ses pieds : son opposition bornée au nucléaire, ainsi que la défense d'une « créolisation » nébuleuse et présentée comme inéluctable.

S/M/Africsol

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