Vous êtes prêts pour une surboum « nazie avec bas noirs et porte-jarretelles » ? En 1975, Gainsbourg sortait le provocateur "Rock Around The Bunker", comète brûlante dans une carrière qui flirta avec l’interdit.

Vous vous souvenez de Jacky, le rigolo farfelu du Club Dorothée ? En 1975, il travaillait pour la maison de disques Phonogram et s’était vu confier une tâche délicate : convaincre les animateurs radio de diffuser quelques sympathiques chansons, signées de Serge Gainsbourg. C’est-à-dire : Nazi Rock qui nous invite à une partouze de nazis en bas noirs et porte-jarretelles, « Tata Teutone », « Yellow Star » ou « Est-ce est-ce si bon ? (SS si bon) ». Sur le thème des camps de la mort, l’auteur plaquait son ludique amour de l’allitération :  « Est-ce ainsi qu’assassins s’associent / Si c’est depuis l’Anschluss / Que sucent ces sangsues le Juif Suss ».

Les programmateurs, plus habitués à passer « Le Téléphone pleure » de Claude François, refusèrent bien sûr. Gainsbourg pensait intituler son album Nazi Rock mais avait reculé, préférant Rock Around The Bunker. Il savait qu’en franchissant cette ligne rouge, il enverrait son œuvre au purgatoire. Deux ans plus tôt, "Portier de nuit" de la cinéaste Liliana Cavani avait fait scandale en racontant les amours sadomasochistes d’une déportée et de son ancien bourreau. Elle y présentait un fétichisme nazi et sexy. Gainsbourg, juif, n’ignorait rien des horreurs du Reich, lui qui dira avec son humour noir : « Je suis né sous une bonne étoile jaune ». À 13 ans, la peur au ventre, il l’avait portée.

UN DISQUE DE BOOGIE À L'IRONIE MORDANTE

Rock around The Bunker s’adressait surtout aux néo-nazis des années 1970 et à leur passion morbide. Gainsbourg se plaçait dans la tradition de l’ironie mordante (figure de style apparemment illégale en 2021) des grands écrivains juifs Edgar Hilsenrath, l’auteur de l’iconoclaste Le Nazi et le Barbier, ou de Kafka. Il imaginait une Eva Braun qui écoutait en secret un disque de jazz américain, des SS astiquant leurs « jolies » médailles en Uruguay. Mais au-delà de la thématique torride, ce qui frappait, c’était l’éblouissante et paradoxale verdeur musicale. Rock Around the Bunker était un grand disque de boogie où le maître musicien, accompagné de merveilleuses choristes anglaises (dont Clare Torry, voix du Pink Floyd dans le splendide « The Great Gig In The Sky »), se révélait un incisif chanteur de rock and roll et de blues. On y entendait d’incroyables parties de guitare et de sensuels glissandos de piano.

e disque peu diffusé n’a pas fait scandale, mais il demeure l’un de ces thermomètres dont Gainsbourg se servait pour évaluer la température du pays. Quand il écrivait dans « Black and White » (1969) : « Une négresse disait/si je pouvais tremper ma figure dans un bol de lait, je serais plus blanche que les Anglais », aucune association ne se plaignait. En revanche, sa Marseillaise reggae, « Aux Armes et cætera », provoqua de violentes réactions.

INSPIRATION RISQUÉE

Aujourd’hui, l’émotion serait probablement inverse. Gainsbourg, conscient de la versatilité des choses, en avait même tiré une chanson, « Qui est In, qui est Out ». Il aura été l’un et l’autre au gré des époques, amateur d’une littérature maudite comme le très controversé chef-d’œuvre de Nabokov, Lolita, qui lui aura inspiré le vieux séducteur lubrique à la braguette ouverte, amoureux de Marilou et de cette « petite conne de quinze ans » Melody.

« La société n’a fait que déchoir depuis des siècles » écrivait Huysmans dont Gainsbourg aimait la froideur esthétique presque inhumaine. Le musicien était un observateur cynique ou amusé de cette décadence. Une inspiration risquée mais qui le maintient, trente ans après sa mort, sous le soleil exactement.

S/M/Africsol

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