Pas de procès, faute de "charges suffisantes": des juges d'instruction français ont rendu une ordonnance de non-lieu dans l'enquête sur l'attentat contre le président rwandais Juvénal Habyarimana, épisode déclencheur du génocide de 1994.
Ils ont ainsi suivi les réquisitions du parquet de Paris, réclamant en octobre l'abandon des poursuites contre des proches de l'actuel président rwandais Paul Kagame, qui risquaient d'être renvoyés devant une cour d'assises.
Dans cette ordonnance rendue le 21 décembre, les magistrats expliquent prendre cette décision "en l'absence de charges suffisantes", a précisé la source judiciaire.
L'information judiciaire avait initialement été ouverte pour "assassinat et complicité d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste", ainsi que pour "association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme".
"Il faut interpréter cette décision des juges français comme une forme de résignation face à un contexte politique contre lequel le ministère public n'a pas su lutter. Les autorités rwandaises n'ont jamais cherché à apporter leur concours à la manifestation de la vérité", a réagi auprès de l'AFP Me Philippe Meilhac, avocat de la veuve de l'ex-président, Agathe Habyarimana.
Ce dernier a également annoncé que les parties civiles allaient faire appel de cette ordonnance.
Depuis plus de 20 ans, ce dossier empoisonne les relations entre Paris et Kigali, sur fond de débat sur les responsabilités françaises à l'époque du génocide.
Le 6 avril 1994, l'avion de Juvénal Habyarimana, un Hutu, avait été abattu en phase d'atterrissage à Kigali par au moins un missile. Cet attentat est considéré comme le déclencheur du génocide qui fit 800.000 morts selon l'ONU, principalement dans la minorité tutsi.
La recherche des auteurs de cette attaque a été au cœur de la quête judiciaire française, particulièrement complexe.
En France, une information judiciaire avait été ouverte en 1998 après la plainte des familles de l'équipage, composé de Français. Le premier juge saisi, Jean-Louis Bruguière, avait privilégié l'hypothèse d'un attentat commis par des soldats de l'ex-rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), dirigé par Paul Kagame, devenu président en 2000.
- Série d'obstacles -
Les relations diplomatiques entre les deux pays avaient été rompues quand le juge avait émis en 2006 neuf mandats d'arrêts contre des proches de Kagame. Elles s'étaient renouées trois ans plus tard.
La thèse du juge Bruguière avait été fragilisée en 2012 par un rapport d'experts en balistique, qui s'étaient rendus sur place avec les juges ayant repris le dossier, Marc Trévidic et Nathalie Poux. Leurs conclusions désignaient le camp de Kanombe, alors aux mains de la garde présidentielle d'Habyarimana, comme zone de tir probable.
Closes une première fois, les investigations avaient été relancées en 2016 mais se sont heurtées à une série d'obstacles avant d'être définitivement bouclées en décembre 2017.
Les juges ont ainsi tenté en vain d'entendre un dissident rwandais, Faustin Kayumba Nyamwasa, réfugié en Afrique du Sud et visé lui-même par un mandat d'arrêt. Ancien membre du premier cercle du clan Kagame, il appuyait les accusations contre ses anciens compagnons du FPR.
Autre revers subi par la justice française: la défense de deux des sept membres de l'entourage de Kagame mis en examen --l'ancien ministre rwandais de la Défense et actuel conseiller spécial du président, le général James Kabarebe, et le possible tireur d'un des missiles, Franck Nziza-- avait refusé une confrontation avec un nouveau témoin affirmant avoir eu la garde des missiles au QG du FPR.
Au printemps, les parties civiles avaient produit un rapport secret de 2003 du Tribunal pénal international pour le Rwanda qui attribuait la responsabilité de l'attaque au clan Kagame, mais le juge Jean-Marc Herbaut, estimant que cette piste avait été suffisamment documentée, avait refusé de relancer l'enquête.
Au Rwanda, une commission d'enquête avait imputé en 2009 la responsabilité de l'attentat aux extrémistes hutu qui se seraient ainsi débarrassés d'un président jugé trop modéré.
S/AFP/AFRICSOL
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