À l'occasion des AmFis près de Valence (Drôme), La France insoumise a livré des premières indications concernant sa stratégie pour l'élection présidentielle : elle sera centrée sur le programme, axée sur le social, et mettra l'accent sur la crédibilité.

On n'est pas sûr de revoir un jour les Insoumis se référer à un sondeur avec autant de déférence. Tout au long des AmFis, les universités d'été du mouvement, les proches de Jean-Luc Mélenchon (ainsi que l'intéressé) ont cité en boucle le bon mot livré le jeudi 26 août par Jean-Daniel Lévy, de l'institut Harris Interactive : « S’il y avait un lien manifeste entre le jugement à l'égard du programme et le comportement électoral, on éviterait de faire des intentions de vote de deuxième tour car vous (les Insoumis, N.D.L.R.) risqueriez de passer dès le premier tour ! »

Du pain béni pour Mélenchon et ses amis. Il faut dire que l'étude, menée du 9 au 12 juillet auprès d'un échantillon de 1 241 Français, est prometteuse pour les Insoumis. « Ce sondage est essentiel », juge Adrien Quatennens, coordinateur de LFI. « Les résultats montrent que l'on a bien travaillé. On s'évertue à dire que notre candidat pour 2022, c'est le programme. »

Dans le détail, les Insoumis ont soumis 42 propositions de leur programme pour la présidentielle, reformulées auprès des sondés par Harris Interactive, et toutes recueillent un assentiment majoritaire. Dans l'entourage du candidat Mélenchon, on avoue être surpris par un tel succès. Plusieurs mesures sociales sont plébiscitées : l'augmentation du SMIC à 1 400 € net par mois (79 %), la gratuité des compteurs d'eau et des premiers m3 d'eau nécessaires à la vie (80 %), la fixation d'un loyer maximum (75 %), le passage aux 32 heures (69 %)…

Les propositions les plus clivantes restent également majoritaires : la légalisation, encadrée par l'État de la consommation de cannabis (57 %), ou encore la convocation d'une Assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution pour la France (63 %). « Ce que veut le peuple, c'est exactement ce qu'il y a dans le programme "L'Avenir en Commun", dans des proportions incroyables », s'est félicité Jean-Luc Mélenchon lors de son meeting ce dimanche 29 août.

FLOU SUR L'EUROPE

Un tel niveau d'approbation est loin d'être anodin. Mais on se doit de tempérer l'enthousiasme des Insoumis. Tout d'abord parce que la majorité des 42 propositions restaient assez consensuelles : on aimerait bien rencontrer les Français ayant répondu « non » à des mesures comme « durcir les règles contre les conflits d'intérêts » ou « que l'ONU joue un rôle plus important pour assurer la paix sur Terre ». D'autre part, LFI semble avoir choisi de ne pas avoir soumis au sondage certaines propositions plus polémiques : la sortie du nucléaire a ainsi été testée de manière détournée ( « un objectif de 100 % d'énergies renouvelables »), et le désarmement de la police est absent (la mesure sélectionnée est « le remplacement des brigades anticriminalité par une police de proximité »).

Aucune question concernant l'Europe, thème majeur de la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2017, n'a été posée, ce qui dit autant de son caractère inflammable que du flou qui règne à son propos au sein de La France insoumise. Interrogés à ce sujet, les proches de Jean-Luc Mélenchon semblent en tout cas prendre de la distance avec la formule du plan A - plan B, jugée difficile à expliquer au grand public.

Mais l'écueil principal du sondage Harris Interactive réside tout simplement dans le fait que les personnes interrogées ne savaient pas que les propositions émanaient de Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise. De quoi expliquer, en partie, le fossé qui existe entre un programme largement approuvé et un candidat qui plafonne à 10-11 % dans les intentions de vote.

Mélenchon reste le plus fort atout, mais également la plus grande faiblesse des Insoumis. Le député, qui se prépare pour sa troisième élection présidentielle, bénéficie d'une notoriété hors normes. « Dans les quartiers populaires, les gens connaissent trois politiques : Macron, Le Pen, et Mélenchon », résume un cadre, qui ajoute que « Jean-Luc y est identifié comme la personne qui parle des questions sociales ». Lors de son meeting du dimanche à 29 août, à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme), le tribun a également prouvé qu'il n'avait rien perdu de sa verve et de ses qualités oratoires. « La stratégie d'union populaire passe aussi par l'incarnation », assume Adrien Quatennens. « Nous devons reconquérir le pouvoir dans le cadre institutionnel que nous contestons. » Le charisme de « JLM » sera un atout majeur dans cet objectif.

ENJEU DE CONFIANCE ET DE CRÉDIBILITÉ

Mais Mélenchon est également un personnage clivant. Ses emportements fréquents, ses dérapages (l'épisode des perquisitions en octobre 2018, sa sortie sur les attentats « écrits d'avance » en juin dernier) semblent l'avoir coupé d'une partie de la population. Au point de le rendre inéligible ? « Les classes populaires s'en fichent des perquisitions », balaie Rhany Slimane, militant de La France insoumise, influent à Montpellier.  « Il n'y a pas de défiance, de haine, à part dans les centres-villes. On ne se fait jamais jeter dans un porte-à-porte, on est très bien reçus dans les quartiers. »

Le proche entourage de Jean-Luc Mélenchon cherche également à minimiser la dégradation supposée de l'image du candidat : « En 2017, on le disait méchant et agressif, cette fois c'est complotiste et islamo-gauchiste. Mais les gens qui regardent ses vidéos ou ses discours, et pas les pugilats des plateaux télé, savent que le vrai JLM n'est pas celui qu'on leur montre. » Une autre proche espère toutefois ouvertement que l'Insoumis retrouvera, au moins sur la forme, les accents de sa campagne de 2017 : « Jean-Luc doit se montrer sous son meilleur jour : l'instituteur républicain, le vieux sage. Il connaît la commande, il sait ce qu'il a à faire. »

DES « PLANS CONCRETS DE GOUVERNEMENT » À VENIR

En sus de cet enjeu d'image, Jean-Luc Mélenchon entend bâtir sa campagne autour de l'enjeu de la crédibilité. La mise en avant du programme « L'Avenir en Commun » fait partie intégrante de cette stratégie : contrairement aux autres candidats de gauche, l'Insoumis dispose depuis 2017 d'un projet complet, patiemment bâti, qui paraîtra dans une version retouchée à l'automne. À la marge. « Le travail était déjà complet en 2017, il y aura des précisions et des nuances mais pas de 'bouger' radical cette année », indique Clémence Guetté, coordinatrice du programme Insoumis. L'entourage de Mélenchon ne cesse d'insister sur la « stabilité », la « constance » du candidat, dont le projet de rupture sociale, écologique et politique n'a pas bougé dans les grandes lignes.

Une nouveauté, toutefois, viendra nourrir cette volonté d'inspirer confiance : les Insoumis présenteront, probablement à partir de janvier 2022, des « plans concrets de gouvernement », visant à montrer qu'ils sont prêts à l'exercice du pouvoir. Ces feuilles de route comporteront un calendrier précis de mise en œuvre, des réformes, des chiffrages de répartition des moyens de l'État, des décrets et lois déjà rédigés… À la tribune de Châteauneuf-sur-Isère, Jean-Luc Mélenchon, mettant en avant les 23 parlementaires Insoumis, s'est vanté de pouvoir constituer « un gouvernement, et même plusieurs » sans difficulté.

LE SOUHAIT D'UNE CAMPAGNE SOCIALE PLUTÔT QU'IDENTITAIRE

Le chemin reste toutefois étroit jusqu'à la victoire de l'élection présidentielle. Au sujet de la campagne, les Insoumis nourrissent un souhait : qu'elle soit centrée sur les thèmes économiques et sociaux, plutôt que sur les sujets identitaire, sécuritaire et migratoire, où on les sait davantage en difficulté. « On espère que le social sera un angle de débats et de discussions, et si Macron revient avec la réforme de l'assurance chômage ou des retraites, nous serons au rendez-vous », indique Clémence Guetté. Un cadre LFI assume : « Les gens à qui nous voulons parler, leur intérêt, c'est qu'on parle au maximum de la question sociale. Je pense que tout le monde va rapidement saturer avec les polémiques sur le burkini ou l'islamo-gauchisme. »

Il est toutefois notable que Jean-Luc Mélenchon a consacré une large partie de son discours à la « créolisation », son nouveau concept-clef, en tançant au passage Éric Zemmour : « Il faut d'abord qu'il y ait des gens différents pour qu'il y ait une créolisation. Et puis il faut qu'ils puissent rester différents, sinon ça s'appelle l'uniformisation et vous parlez avec les murs. La créolisation, c'est ce processus, c'est la vie qui le produit. Être contre la créolisation, c'est être contre la vie, c'est vouloir embrigader toute la population dans les mêmes mots, les mêmes musiques, les mêmes habits. »

Croyant à leur bonne étoile, les Insoumis ne cessent de répéter que s'ils partent de loin, c'était déjà le cas en 2017, où leur champion avait gagné près de dix points entre les sondages de l'automne précédent et le soir du premier tour. Avec cette différence cruciale : à l'époque, Jean-Luc Mélenchon n'avait pas encore touché la cime avant de dégringoler.

S/M/Africsol

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