Plusieurs ONG dénoncent dans un rapport publié lundi 2 juillet l'implication d'entreprises françaises dans la politique répressive de l'Égypte.

Alors que Ali al Alaa, président du Parlement égyptien, recevait le 21 juin les louanges de députés européens – dont les Français Michèle Alliot-Marie et Aymeric Chauprade – sur le savoir-faire égyptien en matière de « déradicalisation » et qu’il se voyait félicité pour les « transformations en cours dans la société civile (égyptienne) en direction de davantage de libertés civiles », un rapport d’ONG engagées dans la défense des droits de l’homme révèle ce lundi 2 juillet le rôle des entreprises françaises dans la politique répressive de l’Égypte.

Intitulé « Égypte : une répression made in France », le rapport bat en brèche l’idée d’une Égypte qui serait effectivement engagée dans la promotion des libertés civiles. Ce serait même tout le contraire, comme le démontrent les chiffres vertigineux de la répression des mouvements dissidents en Égypte depuis la prise de pouvoir du maréchal Abdel Fattah al-Sissi en 2013, sous couvert de « lutte contre le terrorisme ».

Les mouvements islamistes, comme celui des Frères musulmans, particulièrement visé par le pouvoir, ne sont pas les seuls à subir cette politique, qui touche aussi bien les « activistes des mouvements révolutionnaires et de tous bords, défenseurs des droits humains, juristes, journalistes, écrivains, chercheurs, ou encore personnes LGBTI ».

Des moyens disproportionnés

Le rapport énumère « l’incarcération d’au moins 60 000 prisonniers politiques ; des exécutions extra-judiciaires ; des disparitions forcées (entre juillet 2013 et juin 2016, 2 811 cas de disparition forcées aux mains des services de sécurité) et le recours systématique à la torture. »

Pour la véritable guerre que mène l’État égyptien contre les cellules de Daesh dans le Sinaï, le rapport met en évidence la disproportion entre les moyens utilisés et le nombre de terroristes présumés : « Dans le Nord du Sinaï, plus de 6 000 « terroristes » auraient été tués ces dernières années selon les autorités, alors que le groupe Wilayat Sinai, affilié à l’État islamique, ne comporterait pas plus d’un millier de combattants. »

Modeste avant l’arrivée au pouvoir de Sissi, le commerce d’armement entre la France et l’Égypte a depuis connu une progression exponentielle, le volume des échanges passant en quelques années de 65 millions d’euros en 2013 à 1,3 milliard d’euros en 2016. Des contrats qui concernent aussi bien l’armement lourd (navires de guerre Mistral, des frégates Fremm, des corvettes, des avions de combat Rafale, des missiles air-air Mica et de croisière Scalp, et des missiles air-sol 2ASM) que léger (munitions et dispositifs de fixation de fusées, bombes, roquettes et véhicules terrestres.

Les ONG interprètent le renforcement des liens militaro-commerciaux entre les deux pays comme le signe d’un soutien de la France à la politique sécuritaire égyptienne.

« Suivre une cible en temps réel »

Parmi les groupes français qui commercent avec le régime Sissi, on trouve Naval Group, Sagem, Renault Trucks Defense, Gowind ou encore le géant Thales. Ce dernier est impliqué dans la vente de satellites dont les spécificités sont « de repérer un départ de foule dans un quartier ». D’autres entreprises européennes sont mises en cause dans ce domaine, dont l’italienne Hacking Team qui a vendu à l’État égyptien le Remote Control System, un logiciel permettant de prendre le contrôle d’un ordinateur, d’accéder à l’intégralité de son contenu et de surveiller son utilisation en temps réel, en récupérant les mots de passe et frappes, mais aussi en prenant des captures d’écran, et d’activer la webcam.

LA PLUPART DES ARMES ET VÉHICULES FOURNIS À L’ÉGYPTE SONT ÉQUIPÉS ET ORIENTÉS VERS LA PRÉVENTION ET LE CONTRÔLE DES MOUVEMENTS SOCIAUX », NOTE LE RAPPORT

Le système Cortex, développé par la société française Ercom-Suneris, est utile pour « suivre une cible en temps réel, identifier ses contacts, remonter d’un nom vers un compte Twitter, d’une adresse IP vers une plaque d’immatriculation, de la géolocalisation en temps réel à la récurrence des numéros appelés, etc. » Il aurait été vendu aux renseignements militaires égyptiens pour 15 à 20 millions d’euros.

« La plupart des armes et véhicules fournis à l’Égypte sont équipés et orientés vers la prévention et le contrôle des mouvements sociaux via une surveillance généralisée de la population », note le rapport. Qui rappelle que, concernant l’Égypte, le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne notait le 21 août 2013 que : « Les États membres ont décidé de suspendre les licences d’exportation vers l’Égypte de tous les équipements qui pourraient être utilisés à des fins de répression interne […] et de réexaminer l’assistance qu’ils apportent à l’Égypte dans le domaine de la sécurité ». Et pointe les contradictions du gouvernement français qui déclarait en 2013 par la voix du Premier ministre Jean-Marc Ayrault avoir donné « l’instruction de respecter scrupuleusement la décision du Conseil de l’UE prise à l’unanimité ».

LES ONG INDIQUENT QUE LE MATÉRIEL FRANÇAIS EST ÉGALEMENT EMPLOYÉ DANS LA RÉPRESSION DES MANIFESTATIONS

Relations notoirement excellentes

Les ONG indiquent que le matériel français est également employé dans la répression des manifestations, comme les véhicules blindés Sherpa, fabriqués par Renault Trucks Defense, notamment dans la dispersion sanglante du sit-in de la place Rabaa al-Adawiya en août 2013, organisé par des soutiens du président déchu Mohamed Morsi.

Le rapport établit un lien entre ces livraisons d’armes, le soutien français à la politique sécuritaire égyptienne et les relations notoirement excellentes entre Abdel Fattah al-Sissi et Jean-Yves Le Drian, ancien ministre français de la Défense, passé aux Affaires étrangères depuis l’élection d’Emmanuel Macron.

S/JA/AFRICSOL

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