Le continent doit jouer des coudes face à la concurrence des pays riches, qui ont déjà préempté une grande partie des doses prévues par les laboratoires.

 
L’Afrique a décidé de prendre les devants pour sécuriser son approvisionnement en vaccins contre le Covid-19. La présidence de l’Union africaine (UA) a annoncé, mercredi 13 janvier, que des contrats pour l’acquisition de 270 millions de doses avaient été signés avec les laboratoires Pfizer, Johnson & Johnson et AstraZeneca. Quelque 50 millions de doses pourraient être livrées entre avril et juin. L’accord a pu être conclu grâce à la garantie financière apportée par la Banque africaine d’import-export (Afreximbank).
« Depuis le début de l’épidémie, la collaboration et l’effort collectif ont été privilégiés, car nous voulons agir de manière à ce qu’aucun pays ne soit mis de côté », a rappelé le chef de l’Etat sud-africain, Cyril Ramaphosa, dont le pays occupe la présidence tournante de l’UA. Depuis plusieurs semaines, l’inquiétude montait à la vue des commandes colossales passées par les pays riches auprès des grandes firmes pharmaceutiques. L’Afrique allait-elle encore une fois être laissée pour compte ?

La nouvelle a été accueillie avec fierté et une forme de soulagement sur le continent, alors qu’une deuxième vague de l’épidémie liée au coronavirus, plus sévère, touche une majorité de pays. Le seuil des 3 millions de cas a été franchi, avec 75 000 décès, principalement concentrés en Afrique du Sud et dans les pays d’Afrique du Nord. Si, comparés à la situation américaine ou européenne, ces chiffres apparaissent minimes, ils traduisent néanmoins des situations locales très tendues.

Dans 20 pays, la mortalité liée au virus progresse à une vitesse supérieure à la moyenne mondiale. Des pénuries de bouteilles d’oxygène pour prendre en charge les formes graves de la maladie ont été signalées au Nigeria, pays le plus peuplé du continent. Un peu partout, les restrictions aux déplacements et aux rassemblements ont été durcies, alors que le coût social et économique laissé par la première vague est déjà très lourd.

Un « gâteau » réduit pour les pays pauvres

Selon le Global Health Innovation Center (GHIC) de l’université Duke (Etats-Unis), 12,5 milliards de doses de vaccins (7 milliards de manière ferme et le reste sous forme d’options) avaient été préemptées à la date du 8 janvier par des gouvernements, tandis que Covax, le dispositif international créé pour mutualiser l’achat de vaccins et assurer une répartition équitable entre tous les pays, ne pouvait prétendre qu’à 2 milliards de doses. Le Canada a ainsi acheté de quoi vacciner cinq fois sa population, les Etats-Unis quatre fois, et l’Union européenne trois fois. « Cela aboutit à une réduction du gâteau pour les pays pauvres ou à revenus intermédiaires, alors que les modèles nous montrent qu’il n’y aura pas assez de vaccins pour couvrir la population mondiale avant 2023-2024 », commentaient les chercheurs du GHIC.

Or jusqu’à mercredi, les pays africains dépendaient presque tous totalement de Covax pour prendre leur tour dans la vaccination mondiale. Cette initiative, pilotée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Alliance du vaccin (GAVI) et la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI), doit assurer la fourniture gratuite de vaccins à 92 pays parmi les moins avancés ou à revenus intermédiaires, de manière à couvrir 20 % de leur population d’ici à la fin de 2021. Dans un premier temps, le personnel de santé et les travailleurs sociaux, les plus exposés à une contamination, seront ciblés.

« Les achats massifs de vaccins par les pays riches ne mettent pas en péril nos objectifs. Nous devrions commencer à livrer des doses dès le mois prochain et satisfaire les besoins pour les personnels de première ligne (soit 3 % de la population) d’ici au milieu de l’année », assure un porte-parole de GAVI, qui compte aussi sur le fait que les pays riches cèdent une partie de leurs quotas dans Covax au bénéfice des pays du Sud. Mais pour atteindre ses objectifs cette année, Covax, dont les besoins s’élèvent à 8,5 milliards de dollars (7 milliards d’euros), doit encore trouver 6 milliards. Il y a bon espoir cependant que la subvention de 4 milliards de dollars accordée par les Etats-Unis à GAVI en décembre puisse être mobilisée intégralement contre le Covid-19.

Une souche mutante en Afrique du Sud

Les pays qui en ont les moyens se sont aussi lancés dans la course en solitaire aux vaccins. Le Maroc a signé avec AstraZeneca et le chinois Sinopharm pour plus de 60 millions de doses. L’Egypte s’est aussi tournée vers Sinopharm, quand l’Algérie a privilégié le vaccin russe Spoutnik V et discute avec les Chinois.

L’Afrique du Sud, qui compte parmi les premiers pays à avoir pris part à des essais cliniques sur plusieurs candidats-vaccins et a signé en novembre un accord avec le laboratoire Johnson & Johnson pour produire localement des doses par l’intermédiaire de la compagnie Aspen, appartient également à ce peloton. Début janvier, dans un climat de gronde contre la mauvaise gestion de l’épidémie, le pays a annoncé avoir acheté 1,5 million de doses du vaccin AstraZeneca auprès du Serum Institute of India. Les premières livraisons sont attendues ce mois-ci. Le président Ramaphosa a depuis garanti que 20 millions de doses avaient été sécurisées pour engager le pays dans « l’entreprise logistique la plus vaste et la plus complexe de [son] histoire ». A terme, il en faudra beaucoup plus à l’Afrique du Sud pour vacciner 67 % de sa population (40 millions de personnes) et atteindre l’immunité collective, comme elle le souhaite.

Mais avant même que les premières injections ne soient administrées, l’apparition d’une souche mutante à la contagiosité plus élevée fait l’objet de toutes les attentions. Jeudi, le directeur du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC-Afrique), John Nkengasong, s’est voulu rassurant : « Il ne s’agit pas d’un nouveau virus. Rien ne prouve jusqu’à présent que ce variant sud-africain entraîne davantage de décès », a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse. Le laboratoire Pfizer estime que l’efficacité de son vaccin n’est pas remise en cause par la principale mutation (N501Y) identifiée sur la souche africaine.

Richard Lessells, spécialiste des maladies infectieuses au sein du laboratoire Krisp de l’université du Kwazulu-Natal, à l’origine de la découverte du variant sud-africain, se montre toutefois prudent : « Nous sommes toujours très inquiets au sujet d’une autre mutation (E484K) qui pourrait permettre au virus d’échapper à la réponse immunitaire en neutralisant les anticorps », explique-t-il. Le variant sud-africain a déjà été repéré au Botswana et en Zambie. Mais il est certainement présent dans d’autres pays.

« Le vaccin n’est pas une recette magique »

Un autre défi attend les pays africains : se préparer à mener des campagnes de vaccination à une échelle inédite. Tous s’activent pour élaborer leur plan de stratégie vaccinale.

Le Sénégal, parmi les plus avancés, a déjà remis un premier projet. « Nous avons l’habitude de vacciner les enfants. Cette fois-ci, nous devons cibler les adultes les plus vulnérables et disposer d’un système de suivi qui permette d’assurer une seconde injection si cela est nécessaire », explique Ousseynou Badiane, coordonnateur du programme de vaccinations dans le pays. Reste une inconnue de taille : quels vaccins recevra-t-il ? « Nous n’avons pour l’instant aucune information, mais s’il s’agissait du Pfizer, dont la conservation exige un stockage à – 80 °C, toute notre chaîne logistique devrait être changée », ajoute le docteur Badiane, qui redoute un autre obstacle : « La communication “antivax” et les “fake news” risquent d’être un vrai problème pour diffuser le vaccin. »

Les résultats des essais cliniques, attendus prochainement, sur une dizaine de candidats-vaccins en phase 3 laissent l’espoir de bénéficier d’un traitement plus adapté aux contraintes locales. AstraZeneca présente déjà l’avantage de n’exiger que des températures comprises entre 2 °C et 8 °C. Plus prometteur encore, celui élaboré par Johnson & Johnson ne requerrait qu’une seule dose. « Il faut se préparer tout en se donnant un peu de temps pour identifier le vaccin le plus adapté aux réalités des pays », estime Elisabeth Carniel, directrice du Centre Pasteur à Yaoundé.

La mobilisation pour l’accès aux vaccins en Afrique ne fait que commencer. L’UA s’est fixée pour objectif de couvrir 60 % de la population du continent, soit environ 750 millions de personnes. La première étape franchie avec ces premières commandes laisse encore loin du compte. Fin novembre, l’Inde et l’Afrique du Sud ont déposé une résolution à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour demander une dérogation à certaines dispositions des règles sur la propriété intellectuelle et ainsi ouvrir la voie à une fabrication à grande échelle et à bas coût de vaccins contre le Covid-19. Le Kenya a apporté son soutien à l’initiative et des mouvements de la société civile comme Human Rights Watch ont aussi commencé à faire campagne pour un accès équitable aux vaccins pour les pays les plus pauvres.

La bataille s’annonce rude. En attendant, comme l’a rappelé la directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique, Moeti Matshidiso : « Le vaccin n’est pas une recette magique. Cela prendra du temps. Revenons à ce que nous savons faire : dépister, isoler, traiter en demandant à chacun de porter un masque et de respecter les gestes barrières. »

 

S/LMA/AFRICSOL

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