Le chef des Insoumis s'est attiré de nombreuses critiques après des déclarations surprenantes ce dimanche 6 juin, dans lesquelles il affirme que les tueries commises avant les élections ont pour principale fonction de « montrer du doigt les musulmans et d'inventer une guerre civile. »
Acharnement injustifié, ou émoi légitime après une sortie douteuse ? Depuis son passage à l'émission Questions politiques diffusée sur France Inter et franceinfo ce dimanche 6 juin, Jean-Luc Mélenchon s'attire de sévères critiques. En cause, une séquence lors de laquelle l'Insoumis dénonce des attentats « écrits d'avance », reprenant un vocabulaire jugé « complotiste » par certains et se livrant à de scabreuses insinuations. Au début de sa démonstration, le député de Marseille évoque la candidature d'Emmanuel Macron : « C'est le système qui l'invente. La dernière fois, Macron est arrivé au dernier moment. Là, ils vont peut-être en trouver un autre. Mais à chaque fois ils en trouvent un. Dans tous les pays du monde, on a élu des petits Macron (...), ils ont inventé un type comme ça, qui sortait de rien, et qui était porté par un système oligarchique. »
Mélenchon poursuit ensuite son raisonnement, et en vient à évoquer divers épisodes s'étant produits à quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle : l'affaire Paul Voise (agression et incendie de la maison d'un retraité le 18 avril 2002) ainsi que deux attentats islamistes : les tueries commises par Mohammed Merah en mars 2012, ainsi que le meurtre du policier Xavier Jugelé sur les Champs-Elysées le 20 avril 2017. « Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre, commente le leader des Insoumis. Ça a été Merah en 2012, ça a été l'attentat sur les Champs-Elysées en 2017, c'était la dernière semaine. Avant, on a eu Papy Voise, dont plus personne n'a jamais entendu parler après. Tout ça, c'est écrit d'avance ! Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau, nous aurons l'événement gravissime qui va une fois de plus permettre de montrer du doigt les musulmans et d'inventer une guerre civile. »
Cette sortie a presque instantanément créé une polémique. Patrick Klugman, un des avocats des parties civiles dans l'affaire Merah, a déclaré : « Si Jean-Luc Mélenchon ne retire pas ses propos, j'ai reçu mandat de dénoncer au parquet ses propos indécents pour qualifier l'attentat islamiste et antisémite qui a ôté la vie au fils et aux petits-enfants de S. Sandler le 19 mars 2012 ». L'ancien président de la Licra, Alain Jakubowicz, se demande de son côté : « Le discernement de Mélenchon est-il altéré ou aboli ? », en accusant l'Insoumis de « réduire les atrocités commises par Merah réduites à une machination électorale pour "montrer du doigt les musulmans"...». Des proches de victimes de Mohammed Merah ont également exprimé leur indignation : Latifa Ibn Ziaten, la mère d'un militaire assassiné par le terroriste, estime que « les propos de Jean-Luc Mélenchon sont inadmissibles et ne devraient même pas être tenus. Le respect, c’est un minimum pour l’honneur de mon fils, des autres victimes et des familles endeuillées. » Pour Albert Chennouf-Meyer, père d'un autre soldat tué par Merah, les propos de l'Insoumis sont ceux « de quelqu'un qui a perdu tout sens des réalités et de la noble politique. C'est quelqu'un qui est dans le déni de tout ce qui concerne le terrorisme, notamment le terrorisme islamique. »
De leur côté, les Insoumis ont choisi la contre-attaque plutôt que la contrition. « Décidément, tout est bon pour s'en prendre à Mélenchon », peste Antoine Léaument, responsable de la communication de l'Insoumis. « Mélenchon dit que des actes dramatiques sont commis au moment des élections et très médiatisés. Ça devient "Mélenchon dit que Merah c'est un complot." Ridicule. » Sur la chaîne CNews, la députée LFI Clémentine Autain a expliqué que « ce que [Mélenchon] a dit, c'est que les assassins choisissent leur moment. C'est vrai ou c'est faux ? (...) Jean-Luc Mélenchon n'est pas complotiste, ce sont les assassins qu'il vise dans ce moment-là. Jean-Luc Mélenchon a toujours affiché son soutien aux victimes, donc il n'est pas en train de dire qu'il faut minimiser ce qui s'est passé. »
Jean-Luc Mélenchon lui-même est revenu sur l'épisode, d'abord via un tweet : « Les complotistes anti-complotistes sont de sortie. Ils nient que les assassins font leur coup au moment qui fait parler d'eux. Propos ineptes. À moins que ce soit pour les couvrir. » Puis, plus longuement, dans un post sur Facebook, écrit d'un ton ironique : « En gros, je résume : quand Le Pen récupère l’émotion d’un crime pour faire sa propagande, c’est génial ; quand quelqu’un met en garde contre ce type de manipulation, c’est qu’il est complice avec les meurtriers. Ainsi en vient-on à nier cette évidence que les meurtriers attendent le meilleur moment pour faire parler d’eux. »
Jean-Luc Mélenchon a-t-il été mal compris ? En partie, sans doute, puisqu'il semble peu raisonnable de penser que le député des Bouches-du-Rhône ait réellement voulu dire que les attentats étaient des machinations uniquement destinées à influencer le cours des élections. On reste cependant circonspect devant la défense des Insoumis. Pourquoi, si l'idée initiale était avant tout d'expliquer que les terroristes choisissent leur moment pour marquer les esprits et diviser la société, multiplier les formules s'inscrivant dans le registre du complotisme (invocation d'un mystérieux « ils », « c'est écrit d'avance ») ? Pourquoi mettre sur le même plan un fait divers (l'affaire Paul Voise) avec deux attentats islamistes, qualifiés de « graves incidents » ? Pourquoi sembler minimiser l'atrocité de l'affaire Merah, décrit sur un ton frisant l'ironie comme un « événement gravissime », en se focalisant sur le fait qu'elle permette « de montrer du doigt les musulmans et d'inventer une guerre civile » ? Jean-Luc Mélenchon a-t-il sciemment orchestré ce dérapage afin d'incarner « le seul candidat anti-système et tenter de capter la colère populaire », comme l'analyse le journaliste de Libération Lilian Alemagna ? Autant de questions qui resteront probablement sans réponse, puisque les Insoumis refusent la moindre concession et s'échinent à expliquer que les paroles de leur leader ont été mal interprétées, malgré l'avalanche de critiques.
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