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omme chaque année à l’orée de l’hiver, la Ligue des champions offre un joli exercice de calcul : quelles sont les probabilités du tirage au sort des huitièmes de finale qui aura lieu lundi 13 décembre ? Pourquoi varient-elles autant d’un match à l’autre ? Comment les calcule-t-on ? Et, bien sûr, qui sont les adversaires les plus et les moins probables pour le PSG et Lille ?

 

Ligue des champions. Tableau des probabilités du tirage au sort. JULIEN GUYON

Rappelons les contraintes que l’UEFA impose lors du tirage : les vainqueurs de groupe doivent être appariés avec des deuxièmes de groupe. De plus, deux équipes d’un même pays ou issues d’un même groupe ne peuvent pas s’affronter.

Prenons l’exemple de Chelsea et de Lille. Puisque Lille a six adversaires possibles (tous les deuxièmes de groupe, sauf Paris, du même pays, et Salzbourg, que Lille a affronté en poule), on pourrait penser que Lille a une chance sur six de tomber sur Chelsea. Mais, puisque Chelsea n’a que quatre adversaires possibles, selon cette logique, la probabilité de Chelsea-Lille devrait aussi être égale à un sur quatre. Il y a quelque chose qui cloche !

Il est aussi tentant de penser que, pour calculer la probabilité que deux équipes A et B se rencontrent, il suffit de lister tous les résultats admissibles du tirage (il y en a 4 781 cette année), puis de calculer la proportion de tirages admissibles pour lesquels A rencontre B. Par exemple, parmi les 4 781 résultats possibles du tirage au sort, il y a exactement 1 192 résultats pour lesquels Lille rencontre Chelsea (soit 24,93 %).

Une procédure séquentielle qui impacte le calcul des probabilités

Il est tentant de conclure que la probabilité de Chelsea-Lille soit 24,93 %. Ce serait le cas si le tirage au sort consistait à tirer au hasard une boule parmi 4 781, chaque boule représentant un tirage admissible complet. Mais le tirage n’est bien sûr pas fait comme ça ! Il suit une procédure séquentielle qui impacte le calcul des probabilités.

Huit boules, correspondant aux huit deuxièmes de groupes, sont placées dans une urne. A chaque fois qu’une boule est tirée au sort, un algorithme de backtracking (« retour en arrière ») fournit la liste des adversaires possibles pour cette équipe. Cela peut être plus compliqué qu’il n’y paraît : il faut anticiper les impasses futures.

Imaginez par exemple que les quatre premiers matchs tirés au sort soient PSG-Manchester United, Sporting Lisbonne-Liverpool, Benfica-Juventus et Salzbourg-Manchester City, et que Chelsea soit la cinquième boule tirée au sort de l’urne. Même si Chelsea semble a priori pouvoir jouer contre l’Ajax, le Bayern et Lille, seul le Real Madrid serait listé comme un adversaire possible pour Chelsea.

En effet, tout autre tirage mènerait à une impasse : le Real Madrid ne pourrait alors rencontrer qu’un club espagnol ou l’Inter Milan, ce qui est interdit. Ceci explique pourquoi Chelsea-Real Madrid est si probable. Une fois que la liste des adversaires autorisés est fournie, un de ces adversaires est tiré au sort.

L’influence d’un seul but d’une équipe déjà éliminée

En implémentant l’algorithme de backtracking, on peut calculer les probabilités exactes par ordinateur. La procédure de tirage a un impact sur les probabilités : Chelsea-Lille est légèrement plus probable qu’il ne devrait l’être (25,19 % contre 24,93 %), alors que Chelsea-Real, le match le plus probable des huitièmes de finale, l’est un peu moins (31,27 % contre 32,32 %). Par « devrait l’être » j’entends : si les 4 781 tirages admissibles étaient équiprobables.

L’adversaire le plus probable de Lille est donc Chelsea, loin devant l’Atlético de Madrid, l’Inter Milan et Villarreal (16,18 %) et les clubs portugais (13,13 %). Quant au PSG, son adversaire le plus probable est le Real Madrid (19,36 %), devant Liverpool, Manchester United et la Juventus (17,86 %), puis l’Ajax et le Bayern (13,53 %).

Si le Real est l’adversaire le plus probable de Paris, le PSG n’est cependant pas l’adversaire le plus probable du Real. Un cas extrême est amusant : Chelsea est l’adversaire le plus probable de l’Ajax, mais l’Ajax est l’adversaire le moins probable de Chelsea ! Notons également que si Chelsea est de loin l’adversaire le plus probable de Lille, il y a quand même presque 75 % de chances que Lille ne tombe pas sur Chelsea !

Enfin, j’ai calculé ce qu’auraient été les probabilités si Chelsea n’avait pas encaissé un but dans les arrêts de jeu de son dernier match contre le Zénith Saint-Pétersbourg. Chelsea aurait alors gagné le groupe H devant la Juventus, et les probabilités auraient été complètement différentes. Non seulement pour Chelsea et la Juventus, mais aussi pour toutes les autres équipes. Il est étonnant de constater à quel point un seul but (d’une équipe déjà éliminée) peut influencer ainsi le reste de la compétition !

 

Ligue des champions. Tableau des probalités du tirage au sort. JULIEN GUYON

Julien Guyon est mathématicien et amateur de football. Analyste quantitatif, il est également professeur associé au département de mathématiques de l’université Columbia et au Courant Institute of Mathematical Sciences de New York University. Ses travaux sont disponibles sur sa page web : http://cermics.enpc.fr/~guyon/et sur son compte Twitter : @julienguyon1977

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