INTERVIEW Anne-Claire Coudray se confie à « 20 Minutes » pour la première fois depuis son retour d’Ukraine, où elle a tourné une page spéciale diffusée dans le JT de 20 heures de TF1 ce dimanche.

Avant de faire sa place tous les week-ends derrière le bureau du journal télévisé de TF1, Anne-Claire Coudray a été grand reporter pour la Une pendant quinze ans. Entre le mercredi 1er février et le mardi 7, la présentatrice a renoué avec le terrain au cours d’un voyage à Kiev mais aussi à Boutcha, à Irpin et Borodyanka. Après un voyage périlleux, la journaliste est partie à la rencontre de « résistants du quotidien » durant deux jours. Le résultat de cette immersion est diffusé dans une page spéciale du JT de 20 heures de TF1 ce dimanche 12 février.

« Les Ukrainiens nous disent qu’ils sont en guerre depuis 2014 », témoigne le visage de l’information du week-end de la première chaîne pour 20 Minutes. Elle avait déjà foulé le sol ukrainien lors de la signature des accords de Minsk en 2014. Cette fois-ci, son ambition est de « revenir à hauteur d’homme », comme une piqûre de rappel pour prendre conscience de la réalité des vies marquées par la guerre depuis un an. Anne-Claire Coudray estime que ce voyage marque un tournant dans son traitement de l’actualité liée à cette guerre. Confidences.

Rejoindre l’Ukraine n’a pas été de tout repos. Comment s’est déroulé le voyage ?

Nous avons pris l’avion jusque Varsovie pour ensuite passer la frontière ukrainienne à pieds. Evidemment, il y a des procédures de sécurité, on est obligés de partir avec des gilets pare-balles, avec des casques… Nous avons atteint la frontière en une petite journée. Ensuite, la route pour Kiev est longue et demande une deuxième journée de voyage. Sur place nous avons eu de la chance. Nous n’avons pas trop souffert des coupures d’électricité, c’était un moment répit à Kiev. Nous avons quand même eu les deux alertes aériennes par jour, ça, c’est quelque chose de récurrent… Ça a été passionnant de toucher du doigt cette vie-là qui est une vie surréaliste. Vous avez une guerre sur le front de l’Est et puis à Kiev vous vivez de façon très moderne, c’est troublant.

Quel sentiment retenez-vous de cet aller-retour en Ukraine ?

Quand on arrive là-bas, on n’a pas l’impression de changer de continent, ça pourrait être Paris, Berlin, Londres… Les Ukrainiens essayent de vivre le plus normalement possible, vous pouvez aller dans des restaurants qui ressemblent à nos restaurants, leurs rues ressemblent à nos rues… Et puis à un moment donné, il y a une alerte aérienne. Certains n’y font plus attention car au bout d’un an quand vous en avez deux en moyenne par jour, c’est épuisant. D’autres ne s’y habitueront jamais et nous expliquent qu’ils vivent dans un stress permanent. C’est ce décalage entre l’impression d’être en France et la conscience d’être dans un pays en guerre qui est le plus déroutant.

Au-delà de l’atmosphère, quel est l’état d’esprit des Ukrainiens et Ukrainiennes que vous avez rencontrés ?

C’est une population très abîmée. Il y a des morts sur le front, on fait beaucoup moins de bébés qu’avant, 10 millions de personnes sont parties. En même temps ils sont d’une endurance et d’une résistance étonnante. Ils expliquent qu’ils n’ont qu’un pays : l’Ukraine, et qu’ils n’en auront pas d’autre. Qu’ils n’ont qu’une vie et qu’ils n’en auront pas d’autre… À partir de ce moment-là, ils n’ont pas d’autre choix que de résister jusqu’à la victoire. La victoire ou la mort, c’est ce qu’ils nous disent.

Une rencontre vous a-t-elle particulièrement marquée ?

Nous sommes allés dans une bibliothèque d’Irpin où on a pu constater à quel point cette guerre est une révolution culturelle en Ukraine. Olena, la directrice qui a 75 ans, explique que sa petite fille lui a demandé de ne plus parler le russe. Dans cette région, la population parlait le russe dans la famille. Ils avaient appris l’ukrainien à l’école mais ne le parlaient pas tellement. Aujourd’hui de nombreux déplacés en ayant décidé de rester en Ukraine, expliquent qu’ils ne peuvent plus parler russe. C’est trop douloureux de parler la langue d’un ennemi qui veut les détruire. Ils prennent des cours d’ukrainien tous les samedis dans cette bibliothèque. Ces personnes qui ont en moyenne 70 ans, retournent à l’école, suivent des cours d’ukrainien car c’est leur façon de résister et de faire la guerre.

Cette situation est-elle aussi difficile à vivre pour les équipes de votre JT ?

Tout à fait. Certains nous disent que quand ils prennent une douche, ils se pressent, car ils ne savent pas ce qu’il va se passer. Dès que vous êtes en état de vulnérabilité, il faut faire attention à s’éloigner des vitres, car s’il y a une explosion, c’est peut être l'endroit le plus dangereux. Ces réflexes-là sont ensuite difficiles à abandonner quand vous revenez au bout de trois semaines de mission. C’est trois semaines de mission mais un mois et demi pour reprendre une vie normale en France. C’est important en tant présentatrice de savoir sortir de sa bulle pour se rendre compte de ce que vivent les équipes sur le terrain. En tant que rédactrice en chef de mon journal, j’ai toujours cette petite pensée de me dire que si ça se passe mal, je suis responsable…

Vous avez été grand reporter. Cette expérience vous a-t-elle donné envie de retourner davantage sur le terrain ?

Evidemment ! J’ai retrouvé ce qui fait le sel de ce métier, être là ou ça se passe, voir de ses propres yeux, découvrir une autre réalité qu’on n’a pas à distance. C’est une réalité qui est aussi humaine. Par l’émotion vous comprenez vraiment ce qu’est la réalité de cette guerre. Le fait de retourner sur le terrain et de le vivre avec ses tripes, j’en avais besoin humainement et professionnellement. Je pense que je ne ferai pas le métier de présentatrice comme je le fais si je n’avais pas mes quinze années de terrain. Ces années-là m’accompagnent tous les jours…

Doit-on en déduire que vous pourriez quitter la présentation un jour ?

Le bonheur c’est de pouvoir faire les deux avec la présentation qui prend le pas. Je soigne ma frustration de terrain plutôt bien car j’avais besoin de prendre un peu de hauteur et organiser un journal c’est passionnant aussi. Ce qui me comble, c’est quand je sens que je rends vraiment hommage aux efforts des équipes sur le terrain parce que je sais combien c’est dur, je sais ce que c’est de passer la moitié de l’année loin des siens, je sais combien on est épuisé à la fin mais content d’avoir pu faire des reportages forts. J’adore ce que je fais donc je n’ai pas vocation à y retourner. Mais tous les ans, on essaye d’organiser ce genre de page spéciale. C’est important pour moi mais aussi pour les téléspectateurs qui voient qu’on est capables d’aller voir par nous-mêmes ce qu’il se passe.

Pensez-vous avoir encore des choses à apprendre en tant que présentatrice du JT ?

Tout le temps. On n’atteint jamais la perfection parce que le monde change autour de nous. Ce qui était vrai il y a cinq ans ne l’est plus aujourd’hui. Le monde, la technologie, le journal télévisé évoluent tout le temps. C’est un métier où ça prend des années avant d’approcher quelque chose qui vous satisfait parce qu’il faut d’abord tisser un lien avec le téléspectateur et ça, c’est très très long. Et puis il faut s’affranchir de tout cet environnement artificiel pour retrouver un certain naturel et ça aussi c’est long. Donc vous ne vous dites jamais finalement : "Ça y est, j’y suis et j’y reste le plus longtemps possible." Vous remettez en question tous les jours votre statut de leader, la confiance que les téléspectateurs vous accordent et il n’y a jamais rien d’acquis.

Que réservez-vous aux téléspectateurs et téléspectatrices pour la suite ?

Mon ambition c’est que la télévision française continue à s’appuyer sur le reportage. C’est une fenêtre ouverte sur le monde qui ne sera jamais remplacée par quoi que ce soit. J’adore la presse écrite et la radio mais quand vous avez le son et l’image, vous pouvez permettre aux téléspectateurs de comprendre par une ambiance et pas seulement par les mots ce qu’est l’intensité du monde et des événements qu’on décrit.

Quel souvenir a été le plus marquant pour vous durant ces huit dernières années ?

Stromae. Ma frustration de présentatrice depuis des années, c’est de me dire que dans cet écrin, c’est compliqué de créer un moment de sincérité avec les invités. Pour le coup, il a choisi de nous faire ce cadeau pour son retour et nous a offert un moment de vérité incroyable qu’on n’aura sans doute plus jamais. Derrière le côté ultra-préparé, il y avait une sincérité totale.

Cela montre l’ambivalence de votre rôle entre des événements tragiques comme la guerre en Ukraine puis des moments plus décalés comme le passage de Stromae face à vous…

Par définition le journal télévisé n’est ni tragique, ni positif, il est la vie. Dans la vie il y a des moments terribles, et il y a des moments de grande joie. Nous, on est là pour accompagner tout ça.

S/20M/Africsol

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