Arrivé troisième à l’élection présidentielle de 2019, Ousmane Sonko dénonce une « machination » visant à l’écarter du jeu politique.

 

L’air est chargé de gaz lacrymogène et de fumées de pneus et voitures brûlées dans les rues du quartier huppé de Cité Keur Gorgui, à Dakar, bloquées par la police. Difficile de s’approcher du domicile de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko, devant lequel des dizaines de sympathisants ont manifesté leur soutien, lundi 8 février, jour de sa convocation à la gendarmerie nationale.

Six jours plus tôt, l’ancien candidat à l’élection présidentielle de 2019 (il était arrivé troisième) a été accusé de viol et menace de mort par une femme de 20 ans. Travaillant dans un salon de beauté et de massage, elle affirme dans la plainte que M. Sonko, client habituel, aurait exigé des « faveurs sexuelles » et l’aurait menacée de deux armes. « Il m’a transformée en objet sexuel et je n’arrive plus à vivre ces viols répétés », dit-elle, selon un extrait de la plainte diffusé dans des médias sénégalais.

Des accusations que rejettent en bloc les partisans du député et dirigeant du Pastef (Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), dénonçant un « complot »« Khalifa Sall, Karim Wade… Tous les adversaires politiques de Macky Sall ont été éliminés. Sonko est le seul espoir. S’il est arrêté, le Sénégal n’aura plus d’opposition », lance Ibrahima Dia, jeune sympathisant sans emploi qui assure être là pour « protéger Sonko de toute arrestation ».

Immunité parlementaire

Ces manifestations ont tourné aux heurts avec les forces de l’ordre. Si aucun bilan officiel n’avait été communiqué mardi matin, d’importants dégâts matériels, des arrestations et des blessés ont été constatés dans plusieurs quartiers de Dakar. Une source policière assure que « la police était là pour disperser un rassemblement non autorisé, surtout dans un contexte de Covid-19, et non pas pour arrêter Ousmane Sonko ».

La veille de sa convocation à la gendarmerie, M. Sonko avait déclaré à la presse qu’il ne s’y rendrait pas « si la voie légale [n’était] pas respectée ». « Il faut nécessairement que l’Assemblée nationale soit saisie afin de lever l’immunité parlementaire d’Ousmane Sonko, car cette poursuite a été initiée en dehors d’un flagrant délit. Sans cela, les poursuites ne peuvent pas avoir lieu », explique son avocat, Bamba Cissé, qui assure que M. Sonko répondra aux enquêteurs une fois que son immunité sera levée.

« Il est toutefois impossible que des faits de viol aient pu être commis à cet endroit-là, à cette heure-ci, dans les circonstances décrites par la victime », assure Me Cissé. Ousmane Sonko, lui, parle de « machination politique » pour l’écarter du jeu politique et de la course à l’élection présidentielle de 2024, alors que le président Macky Sall ne s’est toujours pas prononcé clairement sur une candidature ou non à un troisième mandat.

« Une vision pour les jeunes »

« L’opposition s’est dispersée depuis qu’Idrissa Seck [arrivé deuxième à l’élection de 2019] a rejoint la majorité de Macky Sall en acceptant d’être nommé à la tête du Conseil économique, social et environnemental, début novembre. Ousmane Sonko s’est donc imposé comme la principale figure contestataire », décrypte Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis. Quant à la réaction virulente des partisans de M. Sonko, l’analyste l’explique par le fait que « son discours repose sur la rupture et les difficultés socio-économiques du pays : cela a captivé beaucoup de jeunes qui s’identifient à la critique du système politique et à l’appel à davantage de transparence dans la gestion des ressources ».

Près du domicile de l’opposant, lundi, Pape Diam, foulard noir imbibé de vinaigre sur le nez pour contrer les effets du gaz lacrymogène, crie à pleins poumons qu’il est fatigué. « Sonko, il a une vision pour les jeunes qui nous donne de l’espoir. On sera là jusqu’à demain pour continuer de nous battre, c’est une question de vie ou de mort », assure-t-il. Un ras-le-bol nourri par un taux de chômage de 16 % dans un pays de 16 millions d’habitants et par le manque de perspectives dans un contexte de crise économique liée au Covid-19.

M. Sonko a prévu de porter plainte contre son accusatrice pour « atteinte à l’administration de la justice par fabrication d’éléments de preuve, tentative d’escroquerie à jugement et association de malfaiteurs », précise Me Cissé. Elle devrait être déposée ce mardi à la section de recherche de la gendarmerie nationale. Contacté par Le Monde Afrique, l’avocat de la plaignante, Bassirou Baldé, « ne souhaite pas communiquer à ce sujet ».

S/M/AFRICSOL

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