La série de Netflix, réalisée en partenariat avec la BBC, sur la trace du serial killer français des années 70, Charles Sobhraj, qui sévissait sur le continent asiatique, offre un écrin à Tahar Rahim, impeccable, glacial et manipulateur.
S’attaquer à un fait divers réel, sanglant et récent, alors que protagonistes et familles de victimes sont encore en vie, peut s’avérer périlleux. Pour les justes et exigeants Unbelievable et When They See Us, récompensés de deux Emmy Awards, combien de minables Esprits criminels et autres douteux American True Story, en particulier celui consacré au meurtre du couturier Gianni Versace ? Trop. Le Serpent n’est pas de ceux-là.
La mini-série de huit épisodes, réalisée par Hans Herbots et Tom Shanhland, retrace la traque du tueur en série français d’origine indo-vietnamienne Charles Sobhraj, qui s’attaquait aux routards séduits par les paradis spirituels et opiacés du continent asiatique des années 1970, et s’ancre sur deux années : 1975 et 1976.
L'ENQUÊTE D'UN DIPLOMATE
À cette époque, Charles Sobhraj, surnommé le Serpent en raison de son sang-froid et de sa capacité à passer sans bruit entre les mailles du filet des polices internationales, vit à Bangkok, se fait appeler Alain Gautier, et se prétend marchand de pierres précieuses. Avec sa petite amie, Marie-Andrée Leclerc, une Québécoise rebaptisée Monique, et un homme de main, Ajay Chowdhury, ils rabattent dans leur antre, le Kanith House (combo d’appartements pour expatriés et touristes de toute nationalité où ils donnent des « pool parties » endiablées) des jeunes égarés sur le « hippie trail », les empoisonnent sous prétexte de les guérir de leurs troubles digestifs, les détroussent de leurs liquidités, bijoux et passeport, usurpent leur identité, et, pour nombre d’entre eux, 18 au total, les liquident froidement et salement.
Mais en novembre 1975, alors que deux ressortissants néerlandais vont disparaître pour être retrouvés un mois plus tard, carbonisés dans un champ, un jeune diplomate de l’ambassade des Pays-Bas, Herman Knippenberg, va s’improviser enquêteur et lancer la traque du Serpent, quitte à en perdre raison, poste et épouse. Cette quête sera celle de sa vie, car le Serpent, arrêté en Inde, en 1976, réussira à s’échapper de prison de New Delhi en 1986, en donnant des somnifères à ses gardiens, pour n’être réellement rattrapé qu’en… 2003, au Népal, où il purge une peine à vie.
SEUL OMBRE AU TABLEAU, L'ACCENT DE JENNA COLEMAN
C’est peu dire que Tahar Rahim, acteur césarisé pour Un prophète de Jacques Audiard en 2010 et nommé aux Golden Globes pour Désigné coupable, est impressionnant dans le rôle de Charles Sobhraj. Tout en muscles – lors du tournage, il a fait du sport à outrance pour se purger des noirs instincts de son personnage –, cols pelles à tarte, pantalon pat d’eph, prothèses faciales et regard glacial, il campe avec conviction ce tueur psychopathe, manipulateur, séducteur et mégalomane.
À ses côtés, la star britannique Jenna Coleman (Victoria) incarne sa maîtresse et complice, Marie-Andrée-Monique. Son jeu n’est pas à remettre en cause. Mais, et c’est la seule ombre au tableau du Serpent, on ne saisit pas pourquoi, alors le personnage parle dans un français teinté d’accent oxfordien alors que Jenna Coleman est Québécoise. C’est simple : lorsqu’elle s’exprime en français, on ne comprend rien ! Et pis, lorsque les deux amants meurtriers tissent leur toile criminelle, ils le font sans distinction en anglais et en français, et là, on sent poindre l’alibi britannique requis par la production britannique. De même qu’on ne parvient à réellement élucider les raisons pour lesquelles Charles Sobhraj, petit escroc malin aura basculé dans le crime. Tout juste si sa mère ose confier à Marie-Andrée que son père était comme lui, un pervers « difficile à aimer ».
Il n’empêche : la série esquisse au mieux le maillage de la personnalité de celui que les médias appelèrent le « bikini killer », cet homme qui, disait-il, voulait se venger des bourgeois méprisant un métis et rêvait de construire, à l’instar de Charles Manson, une famille autour de lui. Il aura réussi l’espace de deux années. En recréant très justement l’époque – décors, accessoires, costumes et bande-son – et en tissant une ambiance poisseuse, malsaine et angoissante, Le Serpent distille à merveille son venin.
Le Serpent sur Netflix/Afric'sol
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