A peine sortie de sa voiture, Nomaxhosa Pendu rassemble un petit groupe de femmes dans une rue du township de Mfuleni, en banlieue du Cap. « Vous avez toutes entendu parler du préservatif féminin, hein ? », lance-t-elle. La petite assemblée, coincée entre un monticule de terre et des latrines, acquiesce mollement. L’agente de santé gonfle un cube en plastique dont le milieu est troué et procède à la démonstration. Elle extirpe le préservatif aux deux anneaux et l’insère dans ce vagin de substitution. « D’abord, il faut toujours vérifier la date d’expiration. Ensuite, on s’installe dans une position bien confortable, on se relâche et hop, on l’insère ! »
Apparu dans le pays il y a plus de vingt ans, le préservatif féminin fait des merveilles en Afrique du Sud, premier marché du continent pour ce produit de protection. Chaque année, le gouvernement en distribue gratuitement plus de 40 millions dans les hôpitaux, sur les campus universitaires, aux communautés… Avec près d’un cinquième des adultes de 19 à 45 ans contaminés, les Sud-Africains constituent la première population séropositive au monde. Le gouvernement finance à hauteur de 80 % la riposte au sida et le préservatif reste la méthode privilégiée de prévention, également efficace contre les autres maladies sexuellement transmissibles et les grossesses précoces et non désirées.
« Je vise surtout les jeunes »
« Ce qui est bien, c’est que le préservatif féminin apporte beaucoup plus de plaisir, tant à l’homme qu’à la femme. Et puis il n’est pas en latex, donc pas de bruit étrange pendant le rapport ! », poursuit Mme Pendu sous les rires gênés de son public. Agente de santé à domicile, elle se déplace tous les jours de maison en maison pour accompagner les patients atteints de maladies chroniques, mais aussi prodiguer des conseils de prévention au VIH à toute la famille. « Certaines femmes, en général les plus âgées, ne veulent pas en entendre parler et ne surtout pas avoir à se toucher les parties, donc je vise surtout les jeunes », explique t-elle.
En face d’elle, un bébé dans les bras, Nomgaso, 22 ans, affirme savoir comment s’en servir mais n’a jamais essayé. « Avec mon copain, on alterne, un coup le féminin, un coup le masculin », la coupe Nobuthle, 33 ans, avant de s’enquérir auprès de Mme Pendu : « Si on le met avant, ça veut dire qu’on peut le garder toute la nuit ? » Surtout pas, lui répond-elle : « À chaque fois que vous remettez le couvert, il faut changer de préservatif ! »
Ces conseils sont précieux pour ces femmes. Les statistiques sont claires : elles sont plus susceptibles d’être infectées par le VIH que les hommes. Car l’utilisation du préservatif masculin dépend souvent du bon vouloir de ces derniers. « Je dis aux femmes : avec un préservatif féminin, vous êtes plus indépendantes, c’est votre choix, et vous êtes protégées même si votre partenaire va voir ailleurs »,poursuit Mme Pendu. Si besoin, les femmes peuvent même l’insérer quelques heures avant le rapport sexuel.
Entre 0,30 et 0,50 dollar l’unité
Inventé au milieu des années 1980 par le Danois Lasse Hessel (il est mort en avril), le préservatif féminin a été produit à grande échelle, une décennie plus tard, par la Female Health Company (FHC), une entreprise sociale américaine qui était jusqu’en 2012 le seul acteur du marché. « Il nous a fallu plusieurs années pour obtenir le feu vert de la Food and Drug Administration », explique Denise Van Dijk, sa présidente.
D’abord en polyuréthane, ce produit a ensuite été fabriqué en nitrile, un matériau moins cher, et est désormais disponible partout en Afrique. Les acheteurs ? Les gouvernements africains et de nombreux partenaires comme l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid) ou le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap). Au total, FHC vend entre 40 millions et 100 millions d’unités par an, dont le prix varie entre 0,30 et 0,50 dollar (entre 0,27 et 0,45 euro). Un tarif qui tend à diminuer, compte tenu de l’arrivée de nouveaux concurrents.
L’indien Cupid, déjà producteur de préservatifs masculins, a décidé de commercialiser en 2012 un produit destiné aux femmes, comportant un anneau souple et une éponge pour faciliter l’insertion. « Nous avons décidé de faire un pari commercial et de risquer certains financements. Sept ans plus tard, c’est un succès, car nous avons répondu à la demande des femmes de disposer d’un produit abordable et nous sommes assez rentables : nous récupérons pleinement l’investissement que nous avons effectué », explique Om Garg, le PDG.
De belles perspectives de croissance
Au cours des cinq dernières années, Cupid a vendu 60 millions de préservatifs féminins dans plus de 40 pays à travers le monde. Lors de l’appel d’offres lancé en 2014 par le gouvernement sud-africain, ce dernier a choisi d’acheter 35 millions de produits de cette marque (soit 80 % de la commande totale de préservatifs féminins). Aujourd’hui, Cupid prévoit de doubler sa production, qui s’élève pour l’instant à 25 millions d’unités par an. Une ligne de fabrication supplémentaire a été installée dans son usine près de Bombay.
Les perspectives du marché sont impressionnantes : le taux de croissance global sur la période 2017-2023 est estimé à 15,55 % par l’institut Kenneth Research. Hélas, « l’approvisionnement en préservatifs féminins n’est pas toujours accessible ou abordable, ce qui entrave les efforts visant à promouvoir leur utilisation », déplore Rutgers, un centre d’expertise sur la santé et les droits sexuels et reproductifs, qui souhaiterait davantage d’engagement politique et financier de la part des gouvernements, des donateurs et des agences de santé en matière de préservatifs féminins.
A Mfuleni aussi, les femmes en redemandent. Avant de partir, Nomaxhosa fait la distribution : un préservatif pour chacune. « C’est tout ? Mais c’est vendredi aujourd’hui ! Mon homme va venir et ça ne va jamais suffire ! », s’insurge, rigolarde, Nobuthle.
S/LMA/AFRICSOL
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