Alors que s'éteignent les projecteurs des défilés parisiens, une enquête de l'anthropologue Giulia Mensitieri met en lumière une face moins glamour de cette industrie, en s'intéressant aux travailleurs de la mode, "autant valorisés que précaires".

Pour son livre "Le plus beau métier du monde" qui vient de sortir aux éditions La Découverte, tiré de sa thèse de doctorat soutenue à l'EHESS, elle a interviewé pendant trois ans près d'une quarantaine de "travailleurs créatifs de la mode": stylistes, mannequins, vendeurs, stylistes photo, stagiaires, photographes, maquilleurs, journalistes ou encore étudiants.

"Je me suis intéressée au décalage existant entre leur statut social et leurs conditions matérielles de vie, souvent de +galère+", explique à l'AFP cette chercheuse à l'université libre de Bruxelles.

Dans cette enquête, où les témoignages sont anonymes, elle suit une styliste photo qui organise des défilés dans des palaces à Hong Kong mais peine à payer le loyer du petit appartement parisien qu'elle habite en colocation, dormant dans le salon.

Elle décrit des mannequins endettées auprès de leurs agences, peu voire pas payées lors des défilés. Une séance photo pour un magazine de mode avant-gardiste pour laquelle personne n'est rémunéré, un journaliste de mode indépendant qui vit dans 15m2 et gagne sa vie en donnant des cours d'anglais...

"La mode est intéressante parce qu'elle agit comme une loupe. C'est le lieu de l'individualité, de la singularité. C'est éminemment néo-libéral", souligne cette chercheuse italienne. C'est "une industrie générant d'énormes bénéfices, où l'argent est distribué de manière totalement inégalitaire".

La chercheuse évoque "des conditions de travail où la pression est extrêmement forte, où on n'est pas payé, où on ne sait pas quand on est payé, où la relation avec la hiérarchie est vraiment très dure". Le roman adapté au cinéma "Le Diable s'habille en Prada" est "emblématique", dit-elle: "c'est la +glamourisation+ de la domination".

Chez les travailleurs de la mode, "il y a cette idée que c'est violent, mais c'est comme ça. Et il y a une compensation non monétaire, celle du prestige social: je reste pour le nom, pour la carte de visite, pour le CV".

Dans ce milieu règne "une perception très négative du salariat, de la routine. Etre dans la norme, c'est presque un stigmate", poursuit-elle.

Et puis "il y a énormément de concurrence. Du coup tu te tais, parce que derrière, il y en a 200 qui veulent ta place", ajoute la chercheuse, qui dit avoir recueilli de nombreux témoignages "de crises d'angoisse, de panique, de dépression, de +burn out+".

S/AFP/AFRICSOL

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