A la périphérie de la capitale malienne, dans le quartier de Sénou, près de 800 personnes survivent sur un terrain prêté par un ancien gouverneur de la ville.

 

La portière à peine ouverte, une horde d’enfants accourt vers le pick-up. La scène a des allures de meeting politique et, pourtant, le général Ismaëla Cissé ne fait que rentrer chez lui, à Sénou, un quartier périphérique de Bamako, saluer les familles peules à qui il a prêté son terrain en mai. « Ils étaient installés sur la décharge voisine et c’était très dur de voir des femmes et des enfants vivre dans des conditions que même des animaux refuseraient », justifie l’ancien gouverneur de Bamako.

Car, désormais, les villageois qui fuient le nord et le centre-nord du pays devant le risque terroriste et les conflits intercommunautaires s’arrêtent dans la capitale malienne. Un phénomène nouveau, qui a amené 1 884 personnes à s’installer à Bamako (et quelque 22 000 à Ségou, à 200 km au nord), selon un rapport de la Commission mouvement de populations (CMP) datant d’août. 168 515 personnes ont déjà quitté leur village en raison de la fréquence des attaques.

Et le phénomène s’accélère au point que, pour le seul mois de juillet, le nombre de déplacés a augmenté de 20 600 personnes. Un record depuis 2014. « Lors de leur fuite, les Maliens ont toujours emprunté les chemins menant aux ressources du sud. Mais, avant, des villes comme Bamako ou Ségou n’étaient qu’un transit », observe le ministre de la solidarité et de l’action humanitaire, Hamadou Konaté. C’en est fini : « Avec la multiplication des foyers de violences, les grandes villes où se trouvent la sécurité et les décideurs politiques deviennent des destinations à part entière. »

L’inaction du gouvernement

Pour tenter de calmer le mouvement, les gouvernements des cinq pays de la bande sahélienne se sont réunis à Bamako les 11 et 12 septembre pour « un dialogue régional de protection et de solutions dans le cadre des déplacements forcés au Sahel ». A l’issue de cette rencontre, organisée à l’initiative du gouvernement malien et du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, des engagements ont été pris pour adoucir le sort de ces victimes, notamment en leur facilitant l’accès à une assistance. Mais, pour l’heure, c’est surtout la société civile qui prête main-forte, à l’instar du général Cissé et de son terrain de cinq hectares.

En ce jour d’Achoura, 500 000 francs CFA (quelque 750 euros) sont remis aux gestionnaires du camp pour les 800 déplacés de Sénou. « Les donateurs viennent de Belgique, de Gambie, du Mozambique et de Mauritanie », se réjouit une bénévole en refermant une enveloppe remplie de billets, sous l’œil du propriétaire du lieu – le général – dont le portrait en tenue militaire trône à l’entrée du salon de ce qui a été sa maison. « Nous avons réalisé des vidéos et des appels aux dons sur Facebook ou encore WhatsApp », détaille Boubou Diallo, ravi que l’argent vienne du monde entier pour aider la communauté peule fragilisée au Mali.

Assis sous une tente à l’entrée du site, il fustige l’inaction du gouvernement et attend une mobilisation plus large encore de la société civile. « Lorsqu’il s’agit de déplacés, il n’y a pas à avoir d’ordre du haut ou du bas. On est juste ensemble », plaide-t-ilSelon le comité de gestion du lieu, près d’une vingtaine d’acteurs indépendants interviennent sur le site de Sénou, du volontaire malien à l’ONG Médecins sans frontières. Une aide nécessaire, lorsque l’on sait que la nourriture distribuée le vendredi était quasiment épuisée le mardi suivant. Si les résidents du site disposent d’eau courante et de douches, ils ont perdu leurs moyens de subsistance en quittant leurs villages et leurs vaches.

Rescapée du massacre d’Ogossagou

Arrivé il y a cinq mois à Bamako, Hamidou Dicko, qui travaillait comme chauffeur, se sentait menacé en raison de ses liens avec des Occidentaux. « En partant, beaucoup disaient que nous trouverions la paix à Bankass, à l’ouest de Mopti [centre du Mali]. Ça n’a pas été le cas. [Alors comme] nous avions entendu dire qu’à Bamako il y avait la paix, nous sommes venus », raconte-t-il. Pourtant, tous les soirs, à la tombée de la nuit, Hamidou participe à des tours de garde, dans la crainte d’une nouvelle attaque.

La plupart des personnes installées sur le site de Sénou viennent des cercles de Koro, de Bankass et de Douentza, des régions du centre du pays où plus de 600 civils ont été tués depuis le début de l’année selon les Nations unies, soit plus que sur l’ensemble de l’année 2018.

Cachée derrière le chef de village, Djemaba, 23 ans, écoute discrètement les discussions. Le 23 mars, jour du massacre d’au moins 157 personnes dans le village d’Ogossagou, elle était là. Ses avant-bras marqués de tâches blanches racontent les douilles encore chaudes des assaillants qui se sont glissées dans ses manches et lui ont brûlé les bras. Le reste, elle préfère ne pas le raconter. Hamidou l’assure : « Le calme revenu chez nous, nous ne passerons pas une nuit de plus à Bamako. »

S/LMA/Paul Lorgerie/AFRICSOL

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