La route jusqu'au Ballon d'or fut longue pour Luka Modric, enfant réfugié de la guerre d'indépendance de Croatie, couronné lundi meilleur joueur de la planète.

Héros dans son pays, Modric a été récompensé pour le rôle primordial qu'il a joué pour porter les Croates en finale de la Coupe du monde (perdue face à la France 4-2) et le Real Madrid vers son troisième titre consécutif en Ligue des champions.

"2018 c'est l'année de tous mes rêves. C'est un immense plaisir et un véritable honneur de faire partie de ce groupe de grands joueurs qui ont gagné ce prix. (...) Mes parents ont tout sacrifié pour moi quand j'étais enfant. C'est grâce à eux que je suis là ce soir", a-t-il déclaré en recevant son Ballon d'or au Grand Palais à Paris.

Le chemin de Modric, 33 ans, avait pourtant commencé bien loin de là, sur les pentes du massif de Velebit qui surplombe l'Adriatique, où ne restent aujourd'hui que les ruines calcinées d'une maison du village de Modrici.

C'était le gîte de son grand-père, un autre Luka Modric, tué par les forces serbes dans les premiers mois de ce conflit (1991-95) qui devait faire quelque 20.000 morts. Tout près, un panneau "Danger! Mines!" rappelle ce passé.

Alors âgé de six ans, Luka Modric fuit avec sa famille à 40 kilomètres, dans la ville côtière de Zadar. C'est là, dans le fracas des bombes qui s'abattent sur le petit port, que va éclore l'un des plus grands talents contemporains du football européen.

"J'avais entendu parler d'un petit garçon hyperactif qui, dans un couloir d'hôtel, ne cessait de taper dans un ballon et dormait avec", se souvient Josip Bajlo, alors entraîneur de l'équipe du NK Zadar.

Le talent du garçon apparaît comme une évidence: "Il était une idole pour ceux de sa génération, un leader, un chouchou. Les enfants voyaient déjà en lui ce que nous voyons aujourd'hui", poursuit l'entraîneur de 74 ans.

- Entraînement sous les bombes -

Le phénomène éclot dans une ambiance terrifiante: "C'est arrivé des millions de fois que les bombes se mettent à tomber alors que nous allions à l'entraînement, nous forçant à courir vers les abris", se souvient Marijan Buljat, un camarade de Luka Modric.

Lui-même ancien professionnel, Buljat, 36 ans, est convaincu qu'en lui forgeant une grande force de caractère, les rigueurs de cette période furent "un des facteurs qui ont contribué (...) à ce qu'il devienne un des meilleurs joueurs du monde".

Aujourd'hui en troisième division, le NK Zadar est un club réputé pour avoir formé de nombreux joueurs, de Josip Skoblar à Danijel Subasic, mais aux yeux des supporters, Modric a un statut à part, même s'il n'a jamais porté le maillot de l'équipe professionnelle: il est parti au Dinamo Zagreb alors qu'il avait 15 ans. "Pour Zadar, Luka est un Dieu du football", dit Slavko Strkalj, un métallurgiste à la retraite de 66 ans.

Son immense popularité en Croatie ont toutefois été ternies par son témoignage l'an dernier pendant le procès pour corruption de l'ancien patron du Dinamo Zagreb Zdravko Mamic.

La déposition de Modric semblait de nature à partiellement disculper Mamic, honni de nombreux supporteurs croates qui l'accusent d'avoir mis le football de leur pays en coupe réglée.

- "Pas facile de s'en remettre" -

Faute de preuves, la justice croate a finalement abandonné lundi, jour de remise du Ballon d'Or, les charges pour faux témoignage qui pesaient contre lui et qui auraient pu lui valoir jusqu'à cinq ans de prison.

Et le parcours en Coupe du monde du joueur du Real Madrid a vite effacé le ressentiment qui avait commencé à apparaître chez ses supporters.

Même si la petite nation de 4 millions d'habitants a perdu en finale 4 à 2 contre la France, plus de 500.000 personnes l'ont acclamé en héros à son retour à Zagreb.

Modric, élu meilleur joueur du Mondial, et a également remporté les titres de meilleur joueur de la saison écoulée pour l'UEFA puis de la Fifa.

"C'était une saison incroyable, la meilleure de ma vie", avait-il confié à l'époque.

Revers de la médaille, l'épopée en Russie a été difficile à digérer et il a perdu de sa superbe sur le terrain. "On avait tellement envie de faire quelque chose de grand avec la Croatie, que maintenant toutes ces émotions nous retombent dessus et qu'après ce n'était pas facile de s'en remettre", a-t-il confié en septembre dans une interview au syndicat des joueurs professionnels (FIFPro).

Ce coup de mou n'est cependant pas suffisant pour faire tomber la couronne du "petit prince" croate, petit réfugié devenu géant du football.

S/AFP/AFRICSOL

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