Déjouant la surveillance de l’aéroport d’Abidjan, l’adolescent s’était agrippé à l’avion juste avant son décollage pour Paris.
« Je suis affolé. Je me sens perdu. Le choc est brutal. On pensait à une fugue… C’est terrible à supporter ! », assure Antoine Mel Gnangne, éducateur, qui encadrait régulièrement le jeune Laurent-Barthélémy Ani Guibahi, retrouvé mort à l’aéroport de Roissy, mercredi 8 janvier au matin, dans le train d’atterrissage d’un avion reliant Abidjan à Paris.
L’adolescent originaire de Yopougon, grand quartier populaire de la capitale ivoirienne, a voulu rallier l’Europe sans prévenir ses parents. Aveuglé par ce rêve d’eldorado, il est mort à 14 ans, n’imaginant pas que le froid et l’altitude le tueraient à coup sûr.
L’équipe pédagogique de l’énorme lycée Simone Gbagbo de Yopougon est sous le choc après la révélation de l’identité de l’enfant retrouvé mort à Roissy. Son décès ne devait être annoncé à ses camarades que lundi.
Tricot de sport du lycée
Ici, 7 000 élèves s’entassent dans des salles bondées. 115 élèves par classe. Trois ou quatre enfants par banc prévu pour deux. Le lycée pratique la « double vacation » : la moitié des élèves vient le matin, l’autre l’après-midi. Laurent-Barthélemy était en 4e 2 le matin. En ce vendredi après-midi, la salle 29 qu’il fréquentait est occupée par une autre 4e. Ses copains de classe ont quitté l’école sans avoir appris la nouvelle. Les derniers à l’avoir vu étaient avec lui dimanche, selon une surveillante qui a parlé à ses « camarades de quartier ». Laurent-Barthélémy a disparu le lendemain.
« Lundi, l’enfant a pris ses affaires. Il était censé venir au cours. Ce n’est que le soir que ses parents ont constaté son absence », se souvient Liliane NGoran, la censeure du lycée. « Le mardi matin, ils sont venus à l’école parce que leur fils n’avait pas dormi à la maison. Nous avons constaté avec eux qu’il n’était pas en cours et c’est ainsi qu’ils ont fait l’avis de disparition que nous avons affiché partout dans et autour de l’établissement », raconte-t-elle.
L’affiche montre un jeune homme frêle et pensif en tenue traditionnelle. Bon en maths et en physique, mais très faible en sciences humaines et en français, il venait d’écoper d’un avertissement « pour travail insuffisant » sur son bulletin du premier trimestre avec cette mention : « Concentrez-vous davantage ! » Toutefois, M. Mel, à l’instar de l’équipe pédagogique, note qu’il se comportait bien : « Ce n’était pas un enfant à problèmes. Il n’est pas mauvais. Il n’y a pas de grief d’un professeur ou d’un autre élève à son égard sur le plan disciplinaire. »
Pour pouvoir atteindre l’aéroport, situé à une trentaine de kilomètres de son quartier, le jeune homme a dû traverser toute la ville. Puis il a réussi à accéder au train d’atterrissage d’un Boeing 777 et s’y est s’agrippé au moment où l’avion s’apprêtait à s’élancer pour son décollage vers 22 h 55, mardi soir, explique le communiqué du ministère des transports.
Le ministre, Amadou Koné, a précisé que « sur la vidéo de surveillance, on aperçoit un individu vêtu d’un tee-shirt (…) Nous pensons qu’il a eu accès à l’espace aéroportuaire en escaladant le mur. Ensuite, il s’est caché dans les espaces verts et s’est agrippé au train d’atterrissage de l’avion au moment du vol ».
« Quand on a appris la mort d’un jeune à Paris, on n’imaginait pas que c’était lui », témoigne encore M. Mel. Mais, « jeudi, la gendarmerie de l’aéroport d’Abidjan est venue avec une sacoche trouvée près du tarmac qui contenait les affaires d’un enfant. Ils nous ont demandé si on reconnaissait le tee-shirt. C’était le tricot de sport qui portait l’effigie de l’établissement. Celui des élèves de 4e. On a fait le rapprochement », explique Mme N’Goran qui a eu confirmation de l’identité vendredi après-midi.
« Séances de sensibilisation »
« Nous allons annoncer ça aux élèves lundi à la montée des couleurs. Nous avons l’habitude de donner des informations et des consignes aux élèves à cette occasion », explique la censeure, qui veut mettre en place « des séances de sensibilisation pour expliquer » combien ce type d’action est « dangereux ».
Chaque année, plusieurs milliers d’Ivoiriens, sur les 25 millions d’habitants que compte le pays, tentent d’immigrer clandestinement. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), la Côte d’Ivoire se situe en troisième position des pays d’Afrique de l’Ouest en nombre de migrants clandestins. En 2017, 8 753 Ivoiriens arrivés en Italie de manière illégale étaient âgés de 14 à 24 ans, selon les chiffres du Centre de volontariat international (CEVI), une ONG italienne.
« Je n’ai jamais imaginé prendre l’avion pour fuir. Je suis triste pour lui, affirme Yasmine Gnekebo, élève de 4e, qui a appris la nouvelle par un gardien du lycée. Je ne le connaissais pas, mais ça me fait mal. Il n’a rien vu de 2020 et il est mort. »
S/LMA/AFRICSOL
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