Le Conseil d'État devrait rendre, ce jeudi 29 juin, sa décision sur l'interdiction pour les femmes de jouer voilées lors des compétitions de football en France. En début de semaine, le rapporteur public recommandait d'annuler l'article 1 des statuts de la FFF qui proscrit le voile. Le professeur de droit public à l’université Toulouse Capitole, Joël Andriantsimbazovina, revient pour « Marianne » sur les arguments invoqués.

Un avis qui fait réagir, une décision attendue. Ce lundi 26 juin, le Conseil d’État examinait un recours des « Hijabeuses », un collectif de joueuses qui se battent pour autoriser le port du voile islamique (hijab) sur les terrains de football, contre la Fédération française de football (FFF). Cette dernière avait réaffirmé, en février 2022, l’interdiction pour les femmes de jouer voilées lors des compétitions. Selon Le Figaro, au cours de l’audience, le rapporteur public a recommandé d’annuler l’article 1 des statuts de la FFF qui proscrit « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse », jugeant ni « prosélyte » ni « provoquant » le port du hijab sur un terrain sportif.

Après de nombreuses réactions politiques aux déclarations du rapporteur, notamment du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui s’est dit « très opposé » au port du foulard islamique pendant les compétitions de football, le Conseil d’État a dénoncé, ce mercredi 28 juin, des « attaques » contre l’indépendance de la justice. « Mettre en cause le fonctionnement [d'un] service public de la justice, c'est attenter à une institution essentielle pour la démocratie », s’est indigné la plus haute juridiction administrative du pays. Avant la décision du Conseil, qui est attendue ce jeudi 29 juin, le professeur de droit public à l’université Toulouse-Capitole, Joël Andriantsimbazovina, revient pour Marianne sur l’avis du rapporteur public.

Marianne : Le rapporteur public du Conseil d’État considère que le hijab n’est pas prosélyte et que la Fédération Française de Football ne peut exercer d’autorité sur les footballeuses puisqu’elles ne sont pas des agents du service public, a contrario des arbitres. Qu’en pensez-vous ?

Joël Andriantsimbazovina : J’ai lu l’article 1 des statuts de la FFF. Or, sur le premier point, l’alinéa qui est concerné, c’est celui qui interdit notamment la manifestation de signes d’appartenance religieuse. Mais l’alinéa d’avant et celui d’après disent bien qu’on doit être neutre dans le sport. Ce qu’on peut avancer, c’est l’interprétation du principe de neutralité qui est une des branches du principe de laïcité. Il exige un traitement égalitaire devant les services publics. Et dans ce cas précis, pour garantir cette stricte égalité sur un terrain de football, c’est la tenue qui entre en jeu. L’organisateur peut donc exiger que l’on respecte l’égalité de tenue.

Il y a aussi des revendications de traitement particulier lié notamment à la religion. Là-dessus il y a la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais aussi celle du Conseil d’État, qui disent qu’en principe, on ne peut pas afficher l’appartenance religieuse pour s’affranchir des règles de vie communes. C’est une interprétation de l’article premier de la Constitution faite par le Conseil Constitutionnel en 2010, à propos de la burqa.

C’est un point très important dans ce cas-là et on l’oublie toujours. De ce que j’ai lu, la Ligue des Droits de l’Homme et ses avocats s’arc-boutent sur ce principe qui dit que la laïcité s’applique aux agents et pas aux usagers. C’est déjà parfois faux, dès lors qu’il y a une loi, comme pour l’école par exemple où le principe de laïcité s’applique aux élèves et donc aux usagers.

Et en dehors de l’école ?

En dehors de l’école, c’est donc une question d’interprétation des principes constitutionnels qui doit être faite. D’ailleurs, avec le référé sur le burkini, le Conseil d’État a déjà commencé à la faire en considérant que c’est la neutralité et l’égalité qui sont le principe.

Si la FFF souhaite appliquer la neutralité et l'égalité de ses adhérents, ils sont dans également dans ce principe. Après, on peut revendiquer des traitements particuliers. C’est ce que font ces associations activistes et là aussi, la FFF doit pouvoir, avec l’appui de l’État, limiter ce traitement différencié. Le principe doit être le respect de la règle commune. Car après, au nom de quoi les footballeuses musulmanes pourraient revendiquer ce qu’on refuserait à d’autres ?

Le rapporteur public a souligné que les signes religieux étaient déjà présents dans le monde du football : tatouages, joueurs qui se signent, croix de Malte sur le maillot de l’AJ Auxerre, etc. Il a invité le Conseil d’État à prendre en compte cette évolution de la société…

Ce sont des arguments qui ne tiennent pas. Déjà, se signer dure une seconde, même pas. C’est juste un geste, faire un signe de croix, passer sa main sur son visage, cela se limite à ça. Pour les tatouages, en principe, ils ne sont pas très visibles sauf si vous le mettez sur le visage. Le plus souvent d’ailleurs, on n’arrive pas les distinguer. Je regarde un peu les compétitions de sport, le football ou le MMA, et on remarque que l’athlète est tatoué mais pas les signes, symboles ou inscriptions sur son corps. Pour ce qui est de la croix de Malte de l’AJ Auxerre, il faut être honnête, il n’y a pas de revendications particulières derrière. Cela ne nuit pas aux règles communes d’après moi. En revanche, l’affichage individuel ou collectif d’un signe religieux revendiqué, ça, c’est un problème.

Est-ce qu’interdire le hijab dans les compétitions de football vous paraît discriminatoire ?

Là aussi, il y a beaucoup de choses à dire. Selon moi, le principe de non-discrimination doit être encadré. Actuellement, il est utilisé dans beaucoup de cas pour s’affranchir des règles communes. En tant que tel, dans les fédérations sportives, il ne s’agit pas de discrimination dès lors que la règle est imposée à tout le monde. Il faut différencier la discrimination directe de la discrimination indirecte. La première intervient quand la loi interdit très clairement qu’on refuse quelqu’un en raison d’un facteur discriminatoire. La deuxième intervient lorsque la loi donne l’apparence d’appliquer la même règle à tout le monde mais qu’en réalité, l’interdiction ne vise qu’une catégorie de personnes.

C’est cette dernière qu’utilisent beaucoup les activistes musulmans parce que certains types d’interdiction ne visent que la femme musulmane. Mais là-dessus, il n’y a pas de texte, c’est une question d’interprétation de la jurisprudence et elle est en train de se construire, plutôt dans l’autre sens, avec notamment, comme je le disais, le cas du burkini. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont offensifs. Il y a un rapport de force à construire et donc, ils vont là où ils espèrent gagner.

Quelle est la position du Conseil d’État, selon vous ?

Il est toujours dans la logique de 1989. Il n’a pas changé mais comme il y a eu la loi de 2004 sur l’école, il a dû s’y plier. Le fond de la jurisprudence du Conseil d’État, c’est que la laïcité s’applique uniquement aux agents publics et non aux usagers. Ça, c’est la base. Mais une évolution semble se dessiner avec l’ordonnance sur le burkini. Après, je ne sais pas ce que dira le Conseil sur ce cas-là.

Le rapporteur a également indiqué vouloir autoriser le hijab dans les compétitions de football mais pas pour l’équipe de France. Pourquoi, selon vous ? Est-ce que cela correspond à quelque chose ?

Ça n’a aucune justification ! Au nom de quoi ? Il faudrait introduire ce qui a déjà été dit par l’ordonnance de juin 2022, en matière de neutralité des services publics, à savoir la distinction des espaces. Quand c’est un espace ouvert comme les plages, la rue, une gare, a priori on ne peut pas interdire aux gens d’afficher quoi que ce soit. Mais dès lors que vous rentrez dans un espace de service public comme un terrain de football – même associatif – on devrait pouvoir exiger la stricte neutralité de tous. C’est-à-dire les agents, ce qui est déjà acquis, mais aussi des usagers.

De toute façon, si rien n’est fait par le conseil d’État, qu’il ne veut pas prendre la responsabilité de le faire, c’est le législateur qui va adopter une loi et je ne vois pas comment il ne pourrait pas exiger la neutralité dans les fédérations françaises de sport.

Le hijab est déjà autorisé en compétition dans certaines fédérations comme le handball…

C’est pour cela qu’il faut une jurisprudence très claire qui le dise ou que le législateur intervienne. Finalement, ce qui est problématique dans la situation actuelle c’est le coup par coup. Prenez la question des avocates dans les audiences, certaines réclamant également de pouvoir porter le voile. Actuellement, la Cour de cassation a rendu une jurisprudence qui renvoie à la question de la déontologie des avocats. Mais cette dernière peut varier en fonction des barreaux. C’est le même problème.

Quand le rapporteur explique que si l’on interdisait le hijab dans les compétitions de football, on laisserait la porte ouverte à l’interdiction dans l’espace public, il sort du juridique pour donner un argument d’un autre type. Est-ce son rôle ?

C’est ce qu’ils appellent les arguments d’opportunité. Cela peut peser dans la discussion. C’est pour cela qu’il faut être solide sur le plan juridique mais aussi ne pas hésiter à invoquer d’autres types d’arguments. Il est par exemple possible d’invoquer le principe de cohésion nationale. Principe invoqué par le Conseil d’État dans l’ordonnance contre Dieudonné. Pour moi, il faut en tenir compte. J’ai également un autre argument massue. C’est la question de dignité de la femme. On occulte complètement la question alors que le principe de non-discrimination et de dignité de la femme devrait interdire toute manifestation de signes de soumission de la femme, même lorsqu’elles sont d’accord. J’assimile ça à la protection des personnes contre elles-mêmes. Cela a toujours été un problème à la fois philosophique et théologique.

S/Marianne/Africsol

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