Deux galeries d’Abidjan accueillent pendant deux mois les grandes toiles du peintre ivoiro-américain.
Peindre « le cosmos », peindre « pour comprendre la vie ». A 61 ans, le célèbre peintre ivoiro-américain Ouattara Watts expose pour la première fois dans son pays natal, la Côte d’Ivoire. Un retour événement. Celui qui noua une amitié brève, intense et décisive pour sa carrière avec Jean-Michel Basquiat, quelques mois avant la mort de celui-ci en 1988, ne cache pas son « émotion » d’exposer enfin à Abidjan.
Un retour au pays longtemps différé, à cause de la longue crise politico-militaire qu’a traversée la Côte d’Ivoire pendant la décennie 2000. Deux galeries accueillent ses toiles grand format en même temps pendant deux mois dans la capitale économique ivoirienne, la Rotonde des Arts et la galerie Cécile Fakhoury.
Longtemps absent, Ouattara Watts est ravi de retrouver dans son pays une « scène artistique dynamique ». « La Côte d’Ivoire a besoin d’art, d’ouverture », dit-il. « J’ai tellement envie de rencontrer les jeunes artistes ivoiriens, d’échanger avec eux », confie l’artiste, parti à 19 ans étudier l’art à Paris, avant de s’installer, douze ans plus tard à l’invitation de Jean-Michel Basquiat, à New York où il vit et travaille depuis.
« Un univers de chaos autant que d’énergie »
La rencontre, un mot-clé chez cet homme serein, qui se dit « toujours à l’aise partout », comme « citoyen du monde ». « Son arrivée était très attendue. Les gens ne connaissent pas son travail ici, c’est un événement », explique la galeriste Cécile Fakhoury, pour qui Ouattara Watts est « le plus coté des peintres ivoiriens ».
Documenta de Kassel, Whitney Museum (New York), biennales de Venise et de Dakar, Ouattara Watts a exposé dans nombre de grands rendez-vous mondiaux de l’art contemporain, ainsi que dans des galeries réputées, telles que celle de Larry Gagosian à New York, ou encore à Paris, en Italie, au Japon…
« Ouattara Watts est un architecte, le bâtisseur de la ville du XXIe siècle. Une ville d’union », avec en fond « un univers de chaos autant que d’énergie ». Voilà comment l’historien de l’art Robert Farris Thompson décrit les toiles de Watts, dans le catalogue publié par la galerie Fakhoury. Le peintre confirme : « Ma vision est universelle, elle n’est pas reliée à un pays ou un continent. Elle dépasse les frontières et tout ce qu’on peut repérer sur une carte. C’est le cosmos que je peins. »
Ses immenses toiles abstraites, aux couleurs éclatantes, présentent « des figures géométriques, des myriades de symboles, des formes biomorphes, souples et flexibles, mais aussi des formes nettes et coupantes », écrit la critique d’art Gaya Goldcymer dans le catalogue de la galerie Fakhoury. « Dans l’atelier, une magie s’opère », précise-t-elle.
Une référence aux espaces sans limite de la savane
Ouattara Watts se dit influencé aussi bien par Rothko que par Goya. « La peinture, l’art, c’est pour comprendre la vie », analyse-t-il. S’il revendique une vision « universelle », il reconnaît aussi dans ses toiles « des références aux cultures africaines ». Mais « Ouattara Watts n’est classé dans aucune école ni mouvement. Il n’a jamais voulu être labellisé artiste noir américain ou africain, rentrer dans un carcan, commente Cécile Fakhoury. Il a toujours gardé sa liberté. Il est inclassable, comme Basquiat. »
La musique est une autre clé de l’œuvre de Watts, mélomane éclectique qui peint en écoutant du jazz (John Coltrane, Miles Davis, Sun Ra), mais aussi de l’afrobeat de Fela Kuti, du reggae ou des chants polyphoniques pygmées. Montrant l’une des toiles exposées, intitulée Oté-fê, il explique : « Je l’ai peinte après avoir écouté le dernier album [éponyme] d’Alpha Blondy ». La peinture évoque « la dégradation de l’Afrique, le pillage de ses matières premières ».
« Sons, notes, silences, rythmes… La complexité des morceaux de jazz dont il est féru se retrouve dans ses toiles », estime Cécile Fakhoury. Son exposition est d’ailleurs intitulée : « Before Looking at this Work, Listen at it » (« Avant de regarder cette œuvre, écoutez-la »). Les vastes espaces de ses toiles se veulent une référence aux espaces sans limite de la savane de sa jeunesse dans le nord de la Côte d’Ivoire. « J’ai besoin de respirer », conclut Ouattara Watts.
S/MONDEAFRIQUE/AFRICSOL
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