Alors que les funérailles du roi du coupé-décalé étaient célébrées durant deux jours à Abidjan, des émeutes ont eu lieu et ses fans ont profané sa tombe.
Les adieux parfaits ont viré au spectacle macabre. Les obsèques nationales et musicales de DJ Arafat, décédé le 12 août dans un accident de moto, devaient être un moment de rassemblement de toute la Côte d’Ivoire. Mais samedi 31 août au matin, des pierres et des gaz lacrymogènes ont été lancés dans un sens et dans l’autre après l’inhumation de l’artiste, en petit comité, au cimetière abidjanais de Williamsville.
Des dizaines de « Chinois » - les aficionados d’Arafat comme le chanteur surnommait lui-même son immense fan-club -, en colère après avoir été refoulés à l’entrée, ont été jusqu’à profaner la tombe de l’artiste à peine enterré. « Ce n’est pas Arafat dans le cercueil, arrêtez de nous mentir », entend-on sur les vidéos de la dépouille, postées sur les réseaux sociaux par certains, refusant toujours de croire au décès de leur idole. « Si, c’est le Yôrô, c’est lui ! », répondent d’autres, en zoomant sur son visage.
Pourtant, tout avait bien commencé. Les portes du grand stade d’Abidjan se sont ouvertes dès 6 heures du matin vendredi. À événement exceptionnel, mesures de sécurité exceptionnelles : le Plateau, poumon économique de la ville, est alors bouclé, les administrations, les banques et les commerces fermés pour la journée. Devant l’immense enceinte, les entrées sont filtrées, les fouilles obligatoires, l’alcool et les mineurs interdits.
« On sera là toute la nuit, même deux, trois jours s’il faut ! »
A l’intérieur du stade, la folie d’Arafat semble se réincarner dans la peau des participants. DJ Dolivares, dreadlocks sur le haut du crâne, lunettes de soleil, pantalon déchiré, lêkês (sandales en plastique), bagues et tatouages, bouge de manière frénétique sur les sons qui passent en boucle depuis la matinée. « C’est mon modèle, je cherche à le copier partout. Mais il m’a déçu, il nous a laissés en cours de chemin », dit-il. Plus loin, une vieille dame, de son surnom « Mama Yôrôbô », attire les regards et les appareils photo en dansant devant des jeunes réjouis. Juste à côté, une vendeuse ambulante, plateau de pastèques sur la tête, réussit la performance de se trémousser sans catastrophe.
« Je suis venu alors que j’ai la jambe cassée, indique Alassane, une béquille à la main, un bandage autour du pied et la danse fragile. Moi aussi je suis tombé à moto. Mais cet accident m’a ouvert les yeux, ce n’est plus ‘Moto Moto’, mais mollo mollo », blague-t-il en référence au dernier tube de l’artiste. Tribune après tribune, le stade se remplit au compte-gouttes tout au long de la journée. Certains ne comptent pas repartir de sitôt. « On est avec lui depuis 2004 et là c’est le dernier jour, on ne peut pas manquer ça. On va le suivre pour lui rendre un dernier hommage, on sera là toute la nuit, même deux, trois jours s’il faut ! », dit l’un de ses fans.
Les organisateurs attendaient 100 000 personnes à l’intérieur et à l’extérieur du stade où des écrans géants étaient installés pour pouvoir suivre l’événement d’un coût de 230 000 euros, intégralement payé par l’Etat. En plus des 10 000 policiers, 400 vigiles ont été mobilisés. « Les gens disaient : ‘ils vont agresser, ils vont venir avec les couteaux’, il y avait trop de rumeurs, il fallait renforcer la police », insiste Mamadou Cissé, l’un des membres de la sécurité.
Dans l’enceinte, un homme s’est jeté d’une tribune et a dû être évacué, quelques bagarres ont éclaté mais le bilan était plutôt positif pour les autorités ce vendredi soir. Et les performances musicales des amis du roi du coupé-décalé étaient au rendez-vous. Comme celle de Sidiki Diabaté, aussi classe qu’hilarante. A 23 heures, l’artiste malien, chaussures et veste brillantes, monte sur la scène du stade Félix Houphouët-Boigny, en jouant de son habituelle kora électrique. Il prend le micro, lance un « Est-ce qu’on est prêts ? » à une foule survoltée, avant de sauter de la scène, traverser la pelouse pour aller danser sur une voiture de pompiers, des dizaines de gendarmes complètement dépassés à ses trousses pour assurer sa sécurité.
« C’est le petit frère de toute la Côte d’Ivoire »
Après le show de Sidiki Diabaté, Hamed Bakayoko, ministre de la Défense et ami du défunt, casquette à l’envers et T-shirt à l’effigie du chanteur, harangue la foule sur scène. « Merci la Chine ! On a dit beaucoup de choses. Les Chinois au stade Félix Houphouët-Boigny, on a dit c’est pas possible parce que les Chinois vont tout gâter [casser]. Est-ce que les Chinois ont gâté quelque chose ? », demande-t-il. « Non ! » répond le public à Hamed Bakayoko qui poursuit : « Tous les grands peuples grandissent avec la culture. »
Il en profite pour régler quelques comptes au passage : « J’ai toujours eu envie d’être avec les artistes, et Yôrôbô, c’était mon fils, je l’assume ! Les gens m’ont critiqué, ‘mais tu es ministre et tu es avec un petit artiste’. Mais ministre, ça m’empêche pas d’avoir un cœur. » Son collègue à la culture, Maurice Bandaman, remet au chanteur l’ordre national du mérite ivoirien à titre posthume, alors que Sidiki Diabaté lui offre symboliquement son disque de platine.
Outre les hommes d’Etat, de nombreuses personnalités ont fait le déplacement, comme les chanteurs nigérians Davido et J.Martins, les Congolais Fally Ipupa et Koffi Olomidé et l’ancien footballeur ivoirien Didier Drogba, particulièrement ému derrière ses lunettes de soleil. « Vous le voyez ici, beaucoup l’aiment, c’est mon petit frère, c’est le petit frère de toute la Côte d’Ivoire. C’est triste, c’est un moment difficile, on fait de notre mieux pour lui rendre hommage et je pense qu’il serait fier, mais c’est rien à côté de ce qu’on doit faire pour lui », estime-t-il.
Les stars et les espoirs de la musique africaine ont déchainé le public jusqu’à 6h du matin. L’ambiance a alors radicalement changé. Le corbillard a fait le tour du stade puis le cercueil a été entreposé à moitié ouvert au milieu du terrain de football, sur une estrade fleurie. Les fans sont passés de la joie aux larmes, et les proches de l’artiste, fébriles, ont été invités à lui dire un dernier au revoir. Peu après, l’événement a finalement dégénéré.
S/LMA/Africsol
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