Un raid contre un lieu de culte protestant à Hantoukoura, dans l’est du pays, a fait quatorze victimes, dont le pasteur et cinq mineurs.

Pour des raisons encore inconnues, les assaillants qui ont attaqué, dimanche 1er décembre, les fidèles de l’église protestante d’Hantoukoura, localité de l’est du Burkina Faso située non loin de la frontière nigérienne, ont épargné les femmes. Pas les enfants. Parmi les quatorze victimes figurent le pasteur et cinq mineurs, le plus jeune étant âgé de 12 ans. Tous portent le même patronyme, Ouoba, sans qu’on puisse confirmer que les défunts appartiennent à la même famille.

Selon des sources sécuritaires citées par l’AFP, le massacre a été perpétré par une « dizaine d’individus lourdement armés » et « signalé aux environs de 12 heures ». Une « opération de ratissage » a été lancée par le groupement militaire de Foutouri, le chef-lieu départemental, pour retrouver les « traces des assaillants », qui se sont « enfuis à bord de motocyclettes ». Aucune revendication n’a encore été formulée. Mais tant au niveau gouvernemental que pour les populations ou les observateurs de cette région, il ne fait guère de doute que la tuerie a été menée par l’un des groupes djihadistes actifs sur le territoire burkinabé.

Depuis le dimanche 28 avril, date de la première attaque recensée sur un lieu de culte chrétien (déjà une église protestante et déjà un jour d’office religieux), les chrétiens ont pu mesurer qu’ils étaient devenus des cibles désignées. Des prêtres et des fidèles ont été abattus ou enlevés. « Par ces actes ignobles, les ennemis du Burkina Faso veulent porter atteinte à notre vivre-ensemble. Nous les vaincrons », s’est empressé de déclarer sur son compte Facebook le président Roch Marc Christian Kaboré après l’« attaque barbare » de dimanche.

Des imams modérés assassinés

Comme au Mali, où ils ont su attiser les rivalités et tensions qui pouvaient exister entre ethnies, les groupes djihadistes travaillent à défaire la coexistence religieuse qui caractérise le Burkina Faso, un pays qui compte environ 60 % de musulmans, 30 % de chrétiens et 8 % d’animistes, et où les mariages intercommunautaires font partie du quotidien. Des imams considérés comme trop modérés ont également été assassinés par les islamistes armés qui prolifèrent depuis 2015.

Aux attentats lancés depuis le Mali par des cellules affiliées à Al-Qaïda sont venus s’ajouter les combattants d’Ansaroul Islam, le premier groupe djihadiste local, dirigé avant sa mort par le prédicateur Ibrahim Malam Dicko. Leurs opérations se sont concentrées dans les provinces du nord du pays, à proximité de la frontière malienne, visant en premier lieu les forces de défense et de sécurité, les représentants de l’Etat sous toutes ses formes et tous ceux considérés comme ses complices, avant de s’en prendre directement aux communautés chrétiennes et à ceux qui refusent de se plier à leur conception de la foi.

Depuis 2018, l’insécurité s’est aussi étendue aux provinces de l’est du Burkina. Des militants de l’autre grand mouvement djihadiste sahélien, l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), se seraient implantés dans cette région boisée et historiquement délaissée par l’Etat, avec l’appui de dignitaires locaux. En mars, les autorités y ont lancé une opération militaire, « Otapuanu » (la foudre), et de nouveaux détachements de l’armée sont venus renforcer, en théorie, le maillage sécuritaire de la zone.

Les gens vivent « la peur au ventre »

Cependant, pour le chercheur Mahamadou Savadogo, spécialiste de la radicalisation au Sahel, « des indicateurs montrent que les djihadistes reprennent la main dans cette région : depuis septembre, nous avons noté une multiplication des attaques dans l’est, avec une moyenne d’une vingtaine d’incidents terroristes par mois ». Le plus meurtrier a eu lieu le 6 novembre, avec l’attaque de cinq bus de la compagnie canadienne Semafo, qui exploite la mine d’or de Boungou. En dépit de la protection du convoi par l’armée, l’attaque a provoqué la mort de 39 employés.

A Hantoukoura, la « première attaque contre des chrétiens dans cette zone où les églises continuaient de fonctionner » pourrait avoir été envisagée, selon le chercheur, comme un acte de vengeance sur des populations accusées d’avoir collaboré avec les soldats burkinabés lors de l’opération « Otapuanu ». Mahamadou Savadogo s’inquiète surtout, pour l’heure, de « la situation intrareligieuse, avec la montée des deux côtés d’ailes rigoristes et radicales qui pourraient remettre en cause la coexistence » entre les cultes.

A Fada Ngourma, la grande ville de l’est où se croisent les routes à destination du Niger, du Bénin et du Togo, un enseignant relate le climat « délétère » qui règne sur place : « Un étranger ne verrait pas de prime abord nos problèmes, mais les gens vaquent à leurs occupations la peur au ventre, raconte-t-il sous couvert d’anonymat. Depuis la nuit dernière, de nouveaux déplacés arrivent des villages. Les gens parlent de l’attaque sur l’église et se demandent de quoi seront faites les fêtes de fin d’année. On se dit que si on est encore vivant, c’est qu’on n’a pas encore été désigné comme cible. »

S/LMA/AFRICSOL

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