FOOTBALL Auréolé d’un Ballon d'or et d’une main pleine de Ligue des champions, Karim Benzema a gagné le droit de s’asseoir au côté des plus grands Français de l’histoire. Mais où, au juste ?
C’est un petit jeu sans conséquences pour occuper ces rares moments de fierté nationale. Maintenant que Benzema peut poser avec ce Ballon d’or mille fois mérité, où le situer au palmarès des meilleurs joueurs de tous les temps sans rentrer dans des querelles de génération insolubles ? Forcément dans le top 5, évidemment, devant des joueurs comme Thierry Henry, Franck Ribéry, Jean Tigana, Antoine Griezmann, montés sur le podium, parfois, mais jamais à la première place ? Mais forcément derrière Platini, Zizou, Kopa, ou Papin, ses prédécesseurs ? 20 Minutes se lance dans ce débat glissant la tête la première
Le poids du Ballon d’or : Avantage Platini, malgré tout ?
Tous les Ballons d’or ne se valent pas dans le temps long, et l’importance qu’on peut leur prêter dans le temps court non plus. Une évidence rappelée par Platoche himself au micro de RMC, mardi soir. Après avoir rendu un hommage appuyé à son lointain successeur, « un joueur remarquable dans son interprétation du jeu », le numéro 10 frisson des quinquas de France et de Navarre s’est arrêté sur la dimension prise par ce trophée individuel par rapport à son époque.
« A mon âge avancé, quand je me promène et que les gens veulent me faire signer un autographe, les gamins ne me connaissent pas. Quand on leur dit que j’ai gagné trois Ballon d’or, ils ouvrent les yeux grands comme ça. Le Ballon d’or est devenu très important dans la jeunesse d’aujourd’hui, plus qu’à notre époque. Aujourd’hui, tu gagnes un ballon d’Or et tu rentres dans le gotha des grands footballeurs. »
Platini touche un point sensible : sans même évoquer une répercussion médiatique beaucoup moins bruyante, les ballons d’Or remis avant 1995, ceux qui ne concernaient que les joueurs européens, ne peuvent pas s’asseoir à la même table que ceux des années 2000, en raison de la concurrence accrue entre les candidats et la montée des statistiques individuelles dans l’analyse du jeu. Comment comparer le Ballon d’or gagné de Kopa grâce à 16 votants tous issus de l’Europe de l’Ouest ou presque, à celui de KB9 en 2022 ? Impossible.
Néanmoins, il faut aussi échapper au travers inverse. Les Ballons d’or de Benzema et Zidane ne valent pas plus que ceux de Platini par décret. D’ailleurs, une idée reçue avance souvent que Maradona aurait béqueté au moins un ou deux BO au meneur de jeu tricolore avec le règlement actuel : une plongée approfondie dans les années 1980 invite à réviser ce jugement. L’idole argentine aurait gagné en 86 et 87, mais avant, jamais de la vie. Les puristes diront que l’immense Socrates aurait pu l’emporter en 83 autant pour le titre du Corinthians que pour l’engagement politique de son capitaine, mais ce n’est pas pour rien qu’on a attendu 2022 pour inventer un prix du fair-play. Jusqu’ici, les votants n’en avaient rien à carrer des bonnes œuvres des uns et des autres.
Le poids du palmarès : Zidane injouable grâce aux Bleus
Commençons par les faits bruts. Benzema, par sa longévité au plus haut niveau dans le plus grand club du monde, son impact statistique et le nombre de Ligue des champions dans l’armoire à trophées, est largement au-dessus de tous les autres, qu’on le veuille ou non. Pour rappel, à 35 ans, l’âge de KB9 dans un mois, Platini avait fait son pot de départ depuis longtemps (il était même sélectionneur des Bleus), Zizou venait de ranger les crampons, après deux dernières saisons en club hachées par les blessures et les ellipses, et Papin, pour le mentionner, était rentré au pays pour un dernier tour de char aux Girondins.
Le talon d’Achille de Benzema dans ce petit concours sans prétention ? L’équipe de France, of course. Tout en haut Zidane, champion du monde 98 et champion d'Europe 2000, juste en dessous Platini, le grand artisan de la victoire des Bleus à l’Euro 84, le premier de l’histoire des Bleus. KB9 ne peut pas lutter, lui qui a traversé quatre phases finales sans gloire en sélection, même si le début de la Coupe du monde 2014 a un temps diffusé le parfum des grandes aventures. Même Papin à fait mieux, avec une demi-finale en 86, même si l’attaquant marseillais avait regardé ses copains du banc de touche tout du long.
Il existe toutefois une autre façon de voir la chose : on peut considérer que les rebondissements extra-sportifs que l’on sait ont « privé » Benzema de deux phases finales en équipe de France, comme par hasard les plus prolifiques depuis 2006. Si ce n’est que pour dire que les absents ont toujours tort, peut-il être jugé à l’aune d’une carrière internationale amputée de cinq années pleines, les meilleures de l’histoire récente de la sélection tricolore ?
Le poids du symbole : Benzema loin derrière, vraiment ?
« Le Ballon d'or du peuple », rien que ça. Karim Benzema a beau avoir réussi à accoler un caractère mystique - mais pas politique - à sa récompense, il lui sera bien difficile d’égaler ses deux aînés sur l’aspect purement symbolique. Encore une fois, l’équipe de France pèse lourd dans la balance. Il conviendra de remettre une dernière fois les choses à plat en cas de troisième étoile miraculeuse au Qatar, mais pour l’heure, Karim est avant tout une légende à Madrid. Il y a du mérite à être revenu à la sueur de son front dans le cœur des Français, après en avoir été ostracisé, mais le retard pris dans l’affaire Valbuena paraît franchement irrattrapable.
Michel Platini a quant à lui connu le chemin inverse. Figure intouchable du temps de sa splendeur, leader emblématique de la première génération bleue victorieuse, il a vu son image s’éroder sur le banc de l’équipe de France, avant de prendre un ultime coup dans la gueule avec les affaires de corruption à la Fifa. Faut-il séparer l’homme de l’artiste ? Vous avez quatre heures.
Pour Zizou, c’est plus linéaire. Une anecdote en direct du théâtre du Châtelet pour témoigner de l’énorme capital sympathie dont jouit toujours l’homme, seize ans après son départ à la retraite. A son arrivée sur place, le double Z a été autant ovationné que la star de la soirée, c’est dire à quel point il paraît irremplaçable dans les cœurs. Après tout, Zidane est l’homme de la première étoile, de l’unique doublé, celui dont on a diffusé le portrait sur l’arc de Triomphe. Au-dessus de lui ? Le Général de Gaulle à la libération, tout au plus.
Le poids des actions qu’on reverra dans trente ans : Zizou, encore et toujours
De l’importance d’avoir été le premier. Se souviendra-t-on autrement de la panenka de Benzema contre Manchester City comme de la réplique parfaite de celle de Zidane en 2006 ? Le constat est cruel, d’autant plus que celle de Karim est mieux exécutée et le moment à peine moins crucial (2-4 à l’Etihad, il restait sur deux penaltys ratés). Mais les faits sont là, la plus belle action de sa carrière est l’un des move signature de son idole - même si on fait volontiers une petite place pour son numéro le long de la ligne face à l’Atlético. Son épopée européenne en 2022 est, en revanche, unique en son genre. Qui peut se vanter d’avoir éliminé tout seul ou presque trois équipes en quelques fractions de minutes ?
Pour caricaturer, Benzema a pondu l’intégrale des Rougon-Macquart en six mois, mais ses prédécesseurs avaient le chic pour se faire beaux les grands soirs. De Michel Platini, on se souviendra de ce coup franc contre les Pays-Bas en 1981, synonyme de qualification pour la Coupe du monde 1982 et de tout le reste. Du but vainqueur en prolongations face au Portugal, lors de la fabuleuse demi-finale de l’Euro 1984, ponctuée, bien sûr, par un coup franc autrement plus chanceux devant Arconada. En 1985, c’est aussi lui qui offre la victoire en C1 à la Juve, au Heysel, dans une finale où le football demeurera secondaire. On pourrait continuer, mais on laisse ça à Wikipédia.
Zinédine Zidane était finalement un savant alliage des deux. Entre l’épopée totale et la compil YouTube d’un match. Ses matchs contre le Brésil résument bien ça. En 1998, ses deux coups de tête sont pratiquement les seuls faits d’armes de son Mondial, mais valent de l’or. En 2006, sa masterclass est le point d’orgue d’une campagne allemande géniale, un chant du cygne encore inégalé. Il a aussi brillé là où l’a fait Platini, en demie de l’Euro contre le Portugal (Euro 2000) et sur le terrain de chasse de Karim : son but contre Leverkusen avec le Real en finale de C1 est régulièrement cité parmi les plus beaux de l’histoire. « Chacun a son joueur préféré, conclut ZZ, pas fan de l’étiquette de plus grand Français qu’on lui colle. Certains vous diront que c’est Papin avec ses buts exceptionnels, d’autres parleront de Michel Platini. Pour moi c’est Karim, parce que je l’ai côtoyé, je sais ce qu’il vaut. » Si Zinédine le dit.
S/20M/Africsol
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