Né dans les années 2000 à Paris, ce style de musique est devenu un phénomène de société en Côte d’Ivoire, où il a permis aux jeunes de s’affirmer.

Des fans en folie qui ouvrent la tombe et le cercueil de leur idole, le chanteur DJ Arafat : cette scène inouïe montre combien le coupé-décalé dépasse le cadre musical et est devenu un phénomène de société en Côte d’Ivoire. Samedi, après une nuit d’hommage au grand stade d’Abidjan puis des funérailles pour la star morte le mois dernier dans un accident de moto à 33 ans, des jeunes ont pris d’assaut le cimetière pour exhumer son corps. Dans la société ivoirienne, les images ont créé un choc.

« DJ Arafat a introduit le comportement de la rue dans le coupé-décalé. Et la rue, c’est la jungle », affirme à l’AFP Scovik, producteur et figure de ce milieu musical à Abidjan. « DJ Arafat disait : “Je n’aime pas foutaise” [le protocole, les chichis]. Les fans n’aiment pas “foutaise” non plus. Pour eux, ils font partie de sa famille et ce n’était pas à la famille biologique de l’enterrer. DJ Arafat est déjà une légende », ajoute-t-il pour expliquer ce geste.

Pour les jeunes Ivoiriens, très pauvres dans leur immense majorité, DJ Arafat se faisait notamment appeler « Daishikan », du nom du grand prêtre dans le manga japonais Dragon Ball. Ses fans se sont ensuite surnommés « les Chinois » par un raccourci asiatique mais aussi pour souligner leur nombre.

Amusement et « travaillement »

« Le coupé-décalé, c’est plus qu’un genre. C’est un esprit, un style de vie. C’est devenu un phénomène de société », insiste le chanteur Francky Dicaprio, auteur du tube « Fatigué, fatigué ». Né en 2003 dans les boîtes de nuit parisiennes et œuvre de la diaspora ivoirienne, le coupé-décalé a fait fureur en Côte d’Ivoire, puis en Afrique de l’Ouest, avec ses sons électroniques et son rythme endiablé.

L’origine du nom fait toujours débat, explique le journaliste Usher Aliman, auteur de L’Histoire interdite du coupé-décalé, un ouvrage consacré à Douk Saga (décédé en 2006), considéré comme le pionnier du genre. Pour certains, le nom provient des arnaques ivoiriennes : « On coupe : on arnaque. On décale : on disparaît. »

A cette époque, alors que la Côte d’Ivoire, coupée en deux par un affrontement entre loyalistes et rebelles, traverse une crise dont l’épilogue en 2010-2011 fera 3 000 morts, les artistes du coupé-décalé prônent l’amusement et choquent en flambant dans les discothèques : on jette des billets de banque au public, on s’habille cher et « flashy », le champagne coule à flots… C’est le « travaillement », comme on dit ici. « Les gens avaient envie de penser à autre chose. Quand il y avait un couvre-feu, on allait en boîte et on n’en sortait que le matin, puisque de toute façon on ne pouvait plus rentrer », raconte Usher Aliman.

Les noms des artistes marquent aussi une volonté d’impressionner, voire de scandaliser : Abou Nidal de Genève, Molare, BB sans Os, DJ Kedjevara, Maty Dollar ou… DJ Arafat. Dans les clips abondent désormais grosses voitures, filles en maillot de bain, bijoux « bling-bling » et yachts…

Un style devenu incontournable

« DJ Arafat a offert le coupé-décalé aux jeunes pas trop nantis. Il leur a permis de s’affirmer », estime Francky Dicaprio. « C’est vrai que dans les clips, on peut trouver un mode de vie idéalisé. On peut faire le parallèle avec le hip-hop », reconnaît Franck Alcide Kacou, directeur label d’Universal Music : « La force du coupé-décalé, c’est qu’il a réussi à toucher toutes les classes. C’est la musique des maquis [bars] mais aussi des night-clubs chics. »

Le coupé-décalé a « de beaux jours devant lui malgré la disparition de sa tête de pont », estime M. Kacou, ne craignant pas la concurrence de la naija, la musique venue du Nigeria, qui, aidée par la langue, a conquis le monde ces dernières années. Pour lui, d’ailleurs, « le Nigeria s’inspire parfois du coupé-décalé. Davido était présent à l’hommage de DJ Arafat et Yemi Alade avait collaboré avec lui. Les rythmes voyagent. Le coupé-décalé s’est marié à d’autres genres. »

Plus généralement, M. Kacou juge que le coupé-décalé, comme la rumba congolaise (dont le succès a précédé celui de la musique ivoirienne), est devenu incontournable en Europe et aux Etats-Unis. « C’est parce qu’il y a eu une explosion des diasporas et des communautés qu’on a eu des nouveaux sons », fait-il valoir. Et de citer, parmi les artistes influencés par le coupé-décalé en France, le rappeur MHD, vedette de « l’afro-trap », la chanteuse à succès Aya Nakamura et des tubes comme « Sapés comme jamais », de Maître Gims.

 

Pour le directeur label d’Universal Music, pas de doute : « Après l’Amérique latine et des chansons comme “Despacito”, les prochains gros hits mondiaux viendront d’Afrique. »

S/LMA/Africsol

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