Près de cinq ans après la mort d’Adama Traoré à la suite de son interpellation par des gendarmes, la bataille judiciaire continue à coups d’expertises et contre-expertises médicales. Mais se joue aussi largement sur le terrain médiatique.

Qui croire dans l'affaire Adama Traoré ? Depuis quatre ans et demi, les différentes expertises médicales demandées par la famille du jeune homme décédé en juillet 2016 ou par l’autorité judiciaire présentent des conclusions variées, parfois opposées, quant aux causes de la mort. Et plusieurs médias eux-mêmes semblent avoir des difficultés à prendre de la hauteur.

Ainsi, la dernière expertise de médecins belges consultée lundi par l’AFP et commandée par les juges d’instruction français avance, avec précaution, les possibles origines du décès. Qu’importe, certains titres, immunisés contre le doute, partagent leurs convictions. RFI ne cache pas ses certitudes, titrant : « Mort d'Adama Traoré : une nouvelle expertise met en cause les gendarmes ». En réalité, les experts belges sont moins catégoriques. Ils expliquent la mort du jeune homme de 24 ans par un « coup de chaleur à l’exercice » après la course-poursuite avec les gendarmes (37 degrés ce fameux 19 juillet 2016 à 16 h 15), « aggravé » par les manœuvres lors de l’interpellation et, dans une « plus faible mesure », par ses antécédents médicaux. Les professeurs de médecine précisent qu’une période d’asphyxie « par contrainte physique » lors de l’intervention « ne peut être écartée », tout en rejetant la piste de l' « asphyxie positionnelle » qui se produit lors d’un plaquage ventral ou en serrant le cou d’un individu.

PLAQUAGE VENTRAL

Très présent dans les médias, l’avocat de la famille Traoré est bien plus définitif que les médecins eux-mêmes : les « conclusions sont très claires ». Maître Yassine Bouzrou fait une lecture particulière de ce nouveau rapport à France Info : « Nous savons aujourd’hui que parmi les causes de la mort, il y a la violence de l’interpellation et notamment un plaquage ventral qui aujourd’hui a clairement un rôle important dans le décès d’Adama Traoré. »

De son côté, France Inter n’hésite pas à conclure : « Les médecins belges mettent finalement eux aussi en cause la technique de plaquage ventral, comme la famille d'Adama Traoré. »

"CULTURE OUTRAGEANTE DE L'IMPUNITÉ"

À l’Obs, on a choisi son camp. L’expertise de synthèses de septembre 2018 déchargeant les forces de l’ordre d’une quelconque responsabilité semble suspecte. Le rapport met en lumière des pathologies dont souffrait Adama Traoré alors que « la victime et sa famille n’(en) avaient pas connaissance », précise la journaliste. La couverture médiatique donne une large place aux plaignants. Si le camp Traoré intervient régulièrement dans les colonnes de l’hebdomadaire, les conseils des gendarmes occupent peu de place malgré toute l’ambiguïté de l’affaire. Les titres se suivent et se ressemblent : « Mort d'Adama Traoré : les gendarmes évitent une mise en examen », « Assa Traoré : ‘Cette culture outrageante de l’impunité policière doit cesser’ », entre deux papiers sur les livres de la sœur de la victime, ou consacrés à l’acharnement de la Justice à l’égard de la famille Traoré. Comme celui-ci « Mes frères sont en prison. Que paie ma famille ? » titre l’Obs, citant Assa Traoré.

Un traitement médiatique orienté mais cohérent : la journaliste couvrant cette affaire depuis plusieurs années, Elsa Vigoureux, est aussi celle qui a signé le livre "Lettre à Adama" (Seuil, 2017) avec Assa Traoré. Dans un papier consacré à un autre ouvrage d’Assa Traoré, écrit cette fois-ci avec le sociologue Geoffroy de Lasgasnerie, la journaliste Elsa Vigoureux titre, sobrement : « Adama Traoré, mort ‘parce qu’il était noir’. »

Si Adama Traoré est mort d’un syndrome asphyxique, la cause reste encore floue. La famille et ses soutiens crient à la violence policière, à une intervention trop musclée. Pour les gendarmes, sa mort trouverait ses origines dans les efforts produits pour éviter l’interpellation. Les médecins peinent à déterminer la cause, de quoi agacer des journalistes, persuadés de détenir une vérité que l’on cacherait. Heureusement, certains auraient trouvé le mobile du crime : la couleur de peau de la victime.

S/M/AFRICSOL

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