Dans le camp présidentiel, on ne s’attend pas à une censure du report de l’âge de départ à la retraite. À la fois parce que la composition du Conseil constitutionnel n’est pas défavorable à Emmanuel Macron et parce qu’une telle décision reposerait sur un raisonnement juridique inédit.

En philosophie, on appelle ça la cristallisation. Stendhal a théorisé ce phénomène dans lequel le désir nous conduit à parer l’être aimé de toutes les qualités, qui sont en réalité le fruit de nos fantasmes. En ce moment, dans le microcosme politique, c’est le Conseil constitutionnel qui est au point de convergence de bien des projections. Et qui risque, par conséquent, de provoquer bien des déceptions quand il rendra son verdict sur la réforme des retraites, le 14 avril.

En coulisses, certains cadres macronistes ont distillé dans la presse leur crainte de Laurent Fabius, président de l’institution nommé par François Hollande en 2016, et pas réputé pour porter Emmanuel Macron dans son cœur. Mais le camp présidentiel peut compter sur des sympathies dans le collège des neuf membres, dont deux anciens ministres d’Emmanuel Macron, qu’il a lui-même nommés au Conseil : Jacques Mézard et Jacqueline Gourault. « Il n’y a pas de majorité au Conseil constitutionnel pour casser le texte », tranche un cadre du MoDem.

Sur le plan juridique, l’institution composée en majorité d’anciens politiques (dont les ex-premiers ministres Laurent Fabius et Alain Juppé) doit répondre à une seule question : le texte de la réforme est-il conforme à la Constitution ? Les opposants se focalisent sur la méthode employée par le gouvernement : un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif (PLFSSR), prévu par l’article 47.1, qui permettait à la fois une procédure chronométrée et le recours au 49.3. Le gouvernement est accusé d’avoir, en activant plusieurs outils disponibles pour accélérer la discussion, porté atteinte à la « sincérité » et la « clarté » des débats, érigées en principe par le Conseil constitutionnel.

« ON A BEAUCOUP TIRÉ SUR LE DROIT »

Une censure fondée sur un tel motif serait une première, et d’autant plus spécieuse que ces procédures sont inscrites noir sur blanc dans la Constitution. « Le problème, ce n’est pas la lettre, c’est l’esprit. On a beaucoup tiré sur le droit », admet un député Renaissance, qui ne croit pas pour autant à une censure sèche : « Si le Conseil constitutionnel annule la loi, il deviendrait un acteur surpuissant du débat politique, ce qu’il ne doit pas être. » Un sentiment partagé dans l’exécutif, où l’on s’attend à ce que l’institution coupe la poire en deux. « Une censure basée sur la constitutionnalité du levier, c’est peu probable, glisse un conseiller ministériel. En revanche, il faut s’attendre à des petites censures ou des réserves, comme pour tous les textes complexes. » La Macronie anticipe ainsi un passage à la poubelle de l’index senior institué par l’article 2, au motif qu’il s’agirait d’un cavalier, c’est-à-dire d’une mesure sans rapport avec l’objet du texte, qui est d’équilibrer les comptes de la Sécurité sociale. Un simple dommage collatéral, aux yeux du gouvernement.

Ce qui est certain, c’est qu’en demandant au Conseil constitutionnel, par l’intermédiaire de la Première ministre, d’examiner l’intégralité du texte, Emmanuel Macron a envoyé provisoirement la balle dans un autre camp que le sien. Lui qui a regretté, dans son interview télévisée de la semaine dernière, de n’avoir « pas réussi à partager la contrainte » de la réforme, transfère une partie de la responsabilité au Conseil constitutionnel, dont le verdict clôturera une période de suspens. C’est dire si, derrière sa façade juridique, l’institution de la rue de Montpensier joue un rôle éminemment politique. Selon un adage qu’aimait citer Christian Jacob, ancien patron des Républicains, « le Conseil constitutionnel ne rend pas que des décisions, il rend aussi des services ».

S/M/Africsol

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