La variante du coronavirus au Royaume-Uni aurait été détectée pour la première fois en octobre, sur des échantillons prélevés en septembre. Elle n’a été annoncée que trois mois plus tard par le gouvernement britannique.

Le monde entier a les yeux tournés vers le Royaume-Uni depuis que ses autorités sanitaires ont annoncé, samedi 19 décembre, qu’une nouvelle variante du virus responsable de la pandémie s’y propage plus rapidement. Et pour cause : d’après les dires de Boris Johnson, si celle-ci n’est pas liée à une aggravation des symptômes, elle serait cependant jusqu’à 70% plus contagieuse. Pourtant, les premiers travaux suggèrent qu’elle serait apparue dès le mois de septembre, dans le Kent, comté du sud-est de l’Angleterre, et près de Londres. Un retard des autorités sanitaires problématique ? Les scientifiques expliquent au contraire ce délai par la difficulté à faire le tri entre toutes les mutations : on en dénombre des centaines depuis le premier séquençage du nouveau coronavirus, en janvier dernier.

DES CENTAINES DE MUTATIONS DEPUIS LE DÉBUT DE L’ÉPIDÉMIE

"Depuis le début de la pandémie, des centaines de mutations du coronavirus ont été détectées", explique Brigitte Autran, membre du comité scientifique sur les vaccins Covid-19 et professeure émérite d’immunologie à la Sorbonne Université. En effet, il s’agit d’un virus à ARN, chez lesquels les mutations sont fréquentes. Selon une étude parue début novembre, on dénombre une ou deux nouvelles mutations par mois en moyenne. "Que ce soit pour ce virus ou pour d’autres comme la grippe, ces changements dans le matériel génétique sont surveillés en permanence", poursuit la chercheuse.

Alors entre toutes ces modifications, il faut faire le tri, car la plupart sont sans incidence. Et cela prend du temps. "Avant tout, il faut analyser des échantillons de virus présents chez certaines personnes positives, pour voir s’ils portent ou non des mutations", décrit Bruno Canard, spécialiste des coronavirus au laboratoire architecture et fonction des macromolécules biologiques au CNRS Aix-Marseille. Il s’agit de séquencer le virus : on connaît ainsi toute l’information génétique qu’il contient, et on peut détecter une modification. Pour cela, dans la plupart des pays, on prélève régulièrement le matériel génétique du virus présent chez des personnes atteintes, afin de le séquencer, ce qui dure plusieurs jours. "Certains sont séquencés en priorité, par exemple si on constate qu’une personne a un symptôme inconnu ou particulièrement grave : dans ce cas, on veut savoir à quoi c’est dû", souligne le spécialiste.

DE LONGS TRAVAUX ÉPIDÉMIOLOGIQUES

La plupart des mutations détectées de cette façon ne se répandent pas dans la population. "Il faut attendre de voir si le nombre de personnes porteuses d’un virus avec la même mutation devient de plus en plus important", explique Brigitte Autran. Il faut donc que de nombreux échantillons soient séquencés, ce qui prend également du temps, et que les scientifiques aient accès au patrimoine génétique du virus détecté dans les autres pays. Or si c’est le cas pour cette maladie, cela ne coulait pas de source il y a quelques années. "Par exemple, lors de l’épidémie de SRAS en 2003, nous n’avons eu accès au matériel génétique que trois mois après son séquençage ! Il faut se réjouir que les scientifiques coopèrent depuis le début de cette pandémie" analyse le chercheur marseillais. La plupart des laboratoires partagent ces informations à la base internationale Gisaid, accessible à leurs collègues à l’international.

Plus il y a de virus séquencés, mieux la propagation des mutations peut être détectée. En la matière, chaque pays a ses habitudes, et le Royaume-Uni est un des meilleurs élèves. Selon le centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), 5 à 10% des cas de Covid-19 y font l’objet d’un séquençage. Le consortium COG-UK, qui gère ces analyses outre-Manche, est ainsi le plus gros contributeur de la base de données Gisaid : sur les 270 000 séquences génétiques du coronavirus publiées, au moins 120 000 proviennent du consortium britannique. Cela a justement permis de connaître et d’évaluer rapidement la propagation de cette nouvelle variante. On sait ainsi que mi-décembre, elle était responsable de 62% des contaminations à Londres. Reste ensuite à comprendre les nouvelles propriétés de ce mutant.

DE LA CORRÉLATION À LA CAUSALITÉ

Mais cette détection des mutations ne permet pas de savoir si elles peuvent avoir un impact sur l’épidémie, par exemple des symptômes plus graves, une transmission plus rapide, etc. "En Angleterre, une évolution rapide de la propagation du virus a été constatée. En même temps, on a vu que la plupart des nouvelles infections se font avec cette forme nouvelle du virus : on suppose donc que les deux sont liés, mais on n’a pas encore de preuve", explique Brigitte Autran. Il ne s’agit donc, à ce stade, que d’une corrélation, mais l’augmentation des contaminations peut aussi être liée à d’autres facteurs. Comme le centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) l’a rappelé, cette variante est apparue à un moment de l’année où il y a eu une augmentation des contacts sociaux. Cela pourrait expliquer, au moins en partie, l’augmentation de la circulation du virus : il est donc encore trop tôt pour chiffrer la responsabilité de ces mutations. Pour le déterminer, il faudra attendre le résultat d’analyses en laboratoire.

Il faudra également du temps pour comprendre son origine. Chose étonnante, alors que le taux moyen de mutation du Covid-19 est d’une ou deux mutations par mois, la variante détectée au Royaume-Uni en comporte une vingtaine. L’explication la plus probable est que ces changements se seraient produits chez une personne immunodéprimée, dont les défenses immunitaires sont affaiblies (à cause d’une greffe, d’une maladie...). "Cela permet au virus de rester plus longtemps dans l’organisme, puisqu’il n’est pas combattu par le système immunitaire : il aurait donc eu le temps de muter à plusieurs reprises chez un de ces individus" explique le spécialiste.

Dernière explication du délai entre la détection des mutations et l’alarme du gouvernement britannique : il a aussi fallu du temps à cette variante pour se répandre. Dans les premières semaines après sa détection, elle est restée marginale. C’est lors des quatre dernières semaines qu’elle s’est largement étendue. Cette apparition d’une nouvelle version du virus le montre donc une fois de plus : le temps de la science est long, et mieux vaut ne pas affoler à la découverte de toute mutation. "Au final, trois mois depuis l'apparition d'un mutant, le suivi de son évolution, et la réalisation qu’un ensemble de mutations peut changer certaines propriétés du virus, au contraire, c’est remarquable !", conclut Bruno Canard.

S/MARIANNE/AFRICSOL

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