Quel avenir pour la présence militaire au Sahel après la mort du président tchadien Idriss Déby ? Pour « Marianne », Michel Goya ancien colonel des troupes marines, analyse les dangers potentiels qu'engendre la disparition du « Maréchal du Tchad ».

Alors que les circonstances de la mort d'Idriss Déby continuent de faire l'objet de nombreuses spéculations, le Conseil militaire de transition (CMT) qui a pris les rênes du pays a fait connaître une « charte » de la dite transition abrogeant purement et simplement la constitution. Prévue pour durer dix-huit mois, elle doit ouvrir la voie à des élections « transparentes et démocratiques ».

De ce long texte riche de 93 articles, il ressort que le Général Mahamat Idriss Deby Itno, fils du défunt, aura pratiquement tous les pouvoirs : celui de définir la politique mise en œuvre par un futur gouvernement dont il désignera non seulement le secrétaire général, (l'équivalent d'un Premier ministre) mais aussi tous les ministres. Si l'opposition y voit la matérialisation d'un coup d'État, celui qui aurait dû normalement assurer l'intérim, Haroun Kabadi, le président de l’Assemblée nationale, a donné son blanc-seing aux militaires au nom des « circonstances exceptionnelles » que traverse le pays.

Un argument repris pareillement à Paris par Jean-Yves Le Drian. Appelant de ses vœux, presque pour la forme serait-on tenté de dire, « une transition la plus rapide possible », le ministre des Affaires étrangères a surtout insisté sur ce qu'il considère comme la priorité des priorités : « sécuriser la situation ». En d'autres mots : assurer la continuité de l'opération Barkhane comme les engagements des détachements tchadiens au sein du G5 Sahel comme de la Mission de l’ONU au Mali (Minusma). Pour Marianne, Michel Goya ancien colonel des troupes marines, spécialiste de l’histoire militaire et des conflits, analyse les dangers potentiels qu'engendre la disparition du « Maréchal du Tchad ».

Marianne : Jean-Yves Le Drian et Florence Parly n'ont guère attendu pour entériner ce que l'opposition tchadienne considère comme un coup d'État ?

Michel Goya : La vérité c'est que nous sommes trop Tchado-dépendants. Il faut avoir à l'esprit qu'il s'agit d'un pays où nous n'avons jamais cessé d'intervenir depuis l'indépendance. C'est aussi le territoire comptant le plus grand nombre de militaires français tués depuis la guerre d'Algérie. À la longue, l’armée tchadienne est devenue la force auxiliaire de la France. Eux d'un côté, et nous de l'autre, sommes tout simplement les seules forces capables de se projeter à l'extérieur. Que cela plaise ou non, c'est ainsi. Ils sont des alliés essentiels, décisifs et, pour garantir cette alliance, nous avons fermé les yeux sur beaucoup de choses, nous avons soutenu Déby et l'État tchadien quand ils étaient menacés. Directement quelquefois, pas plus tard qu'en 2019 quand nous avons foudroyé une colonne de rebelles.

Ceux-ci affirment d'ailleurs que des militaires français sont sur le front des combats des dernières semaines.

C'est fort possible. Nous avons des bases à Faya-Largeau, à Abéché, évidemment à N'Djamena. Nous avons souvent donné un coup de main à Déby. Et c'est un problème. Quand, lors de la crise au Centrafrique, il s’est associé à la Seleka (la coalition de groupes musulmans anti-Bozizé), cela a retardé et brouillé l'intervention de nos troupes pour ramener la paix. Au lieu de désigner clairement les fauteurs de troubles - la Seleka - nous avons navigué à vue… Le Tchad - dirigé par Déby - a d'innombrables ennemis qui ne sont pas forcément les nôtres, la Libye, le Sud-Soudan, Boko Haram ou bien les rebelles « intérieurs », ceux du Fact (le Front pour l'alternance et le concordat au Tchad) ou ceux agissant dans l'est du pays, d'autres encore dans des zones « faillies ». Officiellement nous ne combattons pas Boko Haram, ni le Fact. Mais notre extrême proximité avec Déby nous associe de fait à leurs conflits avec lui…

Mais nous avons fait un choix stratégique de le soutenir envers et contre tout.

L'avantage stratégique de tels régimes autocratiques, c'est la stabilité, laquelle est nécessaire afin d'organiser la riposte d'ampleur que nous menons contre les groupes djihadistes. Mais en réalité, il y a toujours eu de l'instabilité dans ce pays et nous en avons quelquefois subi les conséquences. Entre 1978 et 1980, plus d'une dizaine de factions armées s'affrontaient et nous étions au milieu, dans le cadre de l'opération Tacaud. Et nous avons essuyé une défaite militaire.

Quels sont les dangers aujourd'hui ?

Le plus évident serait bien sûr que le Tchad décide de retirer ses troupes du G5 Sahel et de la Minusma. Cela affaiblirait très sérieusement le dispositif en place face aux groupes djihadistes. Cela préoccupe nos dirigeants. On peut le comprendre.

« Se retirer maintenant est une option peu réaliste. Il n'y a pas d'autre force militaire susceptible de tenir le front face aux djihadistes. »

Au point de s'empresser de soutenir un système de pouvoir quasi héréditaire… ?

Effectivement, le fils remplaçant le père au pied levé, cela rappelle un peu la situation du Gabon. On s'est beaucoup empressé et d'autant plus que nous semblons avoir été pris au dépourvu par la mort de Déby. C'est fou à quel point nous sommes souvent surpris ces temps-ci en Afrique… Ceci posé, le deuxième danger tient au risque d'affrontements durables entre le régime et les groupes rebelles. Cela compliquerait certainement notre position.

Au point de devoir partir et réviser tout le dispositif Barkhane ?

On n'en est pas là. Mais il faut envisager toutes les hypothèses. Le QG de Barkhane se trouve effectivement à N'Djamena. Ce n'est pas le point le plus délicat. Un état-major cela se déplace. Les éléments terrestres présents ne constituent pas le noyau actif du combat contre les djihadistes. Reste la base aérienne. C'est plus compliqué. Il n'y a pas des dizaines d'aéroports dans la région susceptibles d'accueillir des avions de combat et de ravitaillement et tout ce qui va avec. La base de Niamey au Niger peut-être.

N'est-ce pas tout simplement l'intervention française qui est désormais en cause ?

J'étais partisan de l'opération Serval tant qu'il s'agissait d'une intervention limitée dans le temps, plus sceptique sur son prolongement dans la durée. Je l'ai souvent dit. Mais se retirer maintenant est une option peu réaliste. Il n'y a pas d'autre force militaire susceptible de tenir le front face aux djihadistes. Pas d'alternative.

Peut-être mais la « détestation de la France » gagne du terrain peu peu partout. On l'a encore vu lors des émeutes de Dakar il y a quelques semaines.

On nous demande de dégager et demain on nous demandera d'intervenir. L'ambivalence est constante depuis si longtemps. Notre présence même nous associe aux problèmes que nous sommes censés résoudre. Quand nous n'y parvenons pas, ou pas assez bien, nous devenons le problème aux yeux des populations. Il faut certainement réfléchir à des façons d'être actif mais plus discrètement. Se faire oublier sans pour autant tout abandonner. Non ce n'est pas simple....

S/M/Africsol

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