« Un concert de commentaires enthousiastes a salué une décision présentée comme historique. Mais entre la pression considérable des médias américains et le soulagement de Joe Biden face à de potentielles violences, ce jugement est clairement un choix politique », écrit Régis de Castelnau, avocat et blogueur.

Déferlement de réactions enthousiastes, aux États-Unis et ailleurs, après le jugement de culpabilité prononcé à l’égard de Derek Chauvin par un tribunal de Minneapolis retenant les trois infractions qui lui étaient reprochées à la suite de la mort de George Floyd. Des chefs d’État aux militants en passant par les journalistes, c’est un concert de commentaires enthousiastes saluant une décision présentée comme historique. La justice américaine serait ainsi lavée de tous ses péchés antérieurs pour avoir rendu un jugement sans prendre en considération la couleur de peau des protagonistes.

On peut avoir été révulsé par l’horrible séquence filmée de l’agonie de George Floyd, considérer que Derek Chauvin était coupable de lui avoir volontairement donné la mort, penser qu’un verdict d’acquittement serait apparu comme un déni de justice porteur de risques de violence.

Mais il n’est pas possible de considérer que nous sommes en présence d’une décision de justice régulière et par conséquent judiciairement légitime. Le choix fait par le jury de Minneapolis - complètement contraint - est clairement un choix politique à la suite d’une procédure elle aussi menée de bout en bout sous la pression politique.

JOE BIDEN SOUS PRESSION

Toute l’audience s’est déroulée sous l’œil des caméras, accompagnée d’une pression considérable des médias américains, devant une foule rassemblée tous les jours devant la salle d’audience et ovationnant le jugement à l’annonce de son prononcé. Comme elle a été rythmée par les multiples prises de position publiques d’hommes politiques, d’artistes, d’intellectuels et de sportifs, jusqu’au président des États-Unis en exercice s’asseyant sur la séparation des pouvoirs et la Constitution américaine, proclamant « les preuves comme accablantes » et appelant de ses vœux la condamnation avant même qu’elle ne soit décidée. Deux poids deux mesures : rappelons-nous Nicolas Sarkozy accablé, pour avoir annoncé, comme ministre de l’Intérieur, l’arrestation d’Yvan Colonna en le qualifiant « d’assassin du préfet Érignac ». Joe Biden a récidivé ensuite en exprimant « son soulagement » pour cette décision de nature à nettoyer l’âme de l’Amérique que son « racisme entache ».

Les policiers américains tuent d’abord des pauvres parmi lesquels les Noirs sont effectivement nombreux.

On peut comprendre son soulagement, car toute autre décision aurait entraîné des violences considérables, ce qui montre d’ailleurs à quelle pression étaient soumis ceux qui ont eu à statuer. On peut aussi avoir quelques doutes sur la valeur de ce « nettoyage d’âme » pour un pays violent et surarmé, construit sur l’éradication d’un peuple et la réduction en esclavage d’un autre.

Ceci en rappelant que les policiers américains tuent d’abord des pauvres parmi lesquels les Noirs sont effectivement nombreux. On invitera aussi les belles âmes à éviter de saluer un tel jugement, rendu « malgré la couleur de la peau » de la victime. Car ce serait oublier qu’il y a 26 ans O.J. Simpson, pourtant évident assassin de sa femme blanche, a été acquitté sous les acclamations précisément parce que sa peau était noire.

SURENCHÈRE DE DÉMAGOGIE TRIVIALE

À propos de toutes ces interventions, on se permettra une observation juridique, en relevant que la procédure pénale est toujours en cours. La décision n’est pas définitive car Derek Chauvin dispose du droit de faire appel. Dans une surenchère de démagogie triviale, cela n’a pas empêché Kamala Harris, Barack Obama, Bill Clinton, Boris Johnson (!), et tant d’autres de multiplier à nouveau ce qu’on peut qualifier de pressions, qui entachent lourdement le processus judiciaire, mettant en cause sa régularité.

La façon dont s’est déroulé le procès de Derek Chauvin n’est pas à l’honneur des États-Unis.

Sur le plan des principes, qui doivent gouverner la procédure pénale et font partie de ceux qui nous permettent de penser que nos sociétés, sans être parfaites, préservent quand même quelques acquis de civilisation, la façon dont s’est déroulé le procès de Derek Chauvin n’est pas à l’honneur des États-Unis. Ni à celui de ceux qui se bousculent pour acclamer une décision dont chacun sait qu’elle ne pouvait être différente et n’a par conséquent de légitimité que politique. Et lorsque l’on assigne à la justice des objectifs qui ne sont pas les siens, cela se fait fatalement au détriment des principes et des libertés, ceux qui nous protègent tous.

S/M/Africsol

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