Après deux jours de plaidoiries mordantes, les avocats des trois prévenus du procès Sarkozy plaident la relaxe. Le 1er mars prochain, quand le tribunal rendra son jugement dans cette salle Victor Hugo, ce sera un Waterloo… Mais pour qui ?

Maintenant, les dés roulent. Le lundi 1er mars prochain, Nicolas Sarkozy et ses deux co-prévenus - son avocat et ami Thierry Herzog, et l’ancien haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert - seront fixés sur leur sort. Tout le monde a compris, dans cette salle d’audience Victor Hugo, transformée le temps de ce procès en une morne plaine, tant l'intensité des débats a vu passer « comme une onde qui boue dans une urne trop pleine », qu’il n’y aura pas de match nul. Le 1er mars prochain, ce sera un Waterloo. Soit du parquet national financier, qui a soutenu l’accusation, soit des défenses qui se sont employées à la détruire. D’un côté Sarkzoy, et de l’autre le parquet… « Choc sanglant ! » comme l’a écrit Hugo.

Ce 1er mars, il n’y aura pas de match nul, parce que seul le résultat comptera : le tribunal décidera soit de relaxer soit de condamner. Trois résurrections en cas de relaxes, ou trois « morts » comme a dit à la barre l’avocat Dominique Allegrini : « une mort sociale, celle de Gilbert Azibert, une mort professionnelle, celle de l’avocat Thierry Herzog, et une mort politique, celle de Nicolas Sarkozy ». Qui pourra alors croire, même si le PNF n’a pas réclamé de peine complémentaire d’inéligibilité à son endroit, que l’ancien président pourrait effectuer le moindre retour en cas de condamnation ?

INFAMIE ET TRAGÉDIE

« Cette affaire a été pour moi un chemin de croix, même si c’était le prix à payer… Je vous ai dit la vérité. J’ai encore confiance dans la justice de mon pays », a conclu l’ancien président à la barre, ce jeudi à 20 h 15. C’était les derniers mots d’un procès rugueux. Tendu. Nerveux. « Une infamie », a aussi martelé à plusieurs reprises Nicolas Sarkozy, accrochant toute sa défense à cet autre mot du célèbre vers du Cid, « N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? », dont la suite semble aussi avoir été écrite par Corneille spécialement pour cette audience : « Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers, Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ? »

Une morne plaine, une infamie… Une tragédie. Ces dix journées de procès où pour la première fois une peine de prison aura été requise à l’encontre d’un ancien président auront été une longue et sourde lutte entre les trois prévenus et les deux procureurs, rejoints lors des réquisitions par le chef du parquet national financier. Trois contre trois, le temps d’une journée. Un match fait d’escarmouches, de coups feutrés et de coups directs. Au soir de l’audience du jeudi de la première semaine, la tension fut telle, que la salle a dû être évacuée…

Paraissant dans les cordes pendant les débats, souvent taclé lors de ses prises de paroles, le parquet a ensuite surpris par la violence de ses réquisitions enflammées au terme desquelles les procureurs Jean-Luc Blanchon et Céline Guillet ont réclamé 4 ans de prison dont deux avec sursis et deux ferme à l’encontre des trois prévenus. « La République n’oublie pas ses anciens présidents, mais ses anciens présidents ne doivent pas oublier la République et l’État de droit », a martelé Jean-Luc Blachon… La scène de 18 h 55 ce mardi 8 décembre, après ce coup de tonnerre des réquisitions, quand Nicolas Sarkozy a rassemblé tous ses proches autour de lui, avait des allures de dernier carré… Dans cette salle, dans le silence des longues minutes qui ont suivi après la charge du parquet, flottait comme une odeur de poudre.

"ABSENCE DE PREUVE"

Puis pendant deux jours, mercredi et jeudi, les avocats de la défense ont fait front, sonnant la charge contre l’accusation. Tour à tour, ils se sont livrés à un feu roulant d’artillerie contre un dossier « vide », et à des assauts à la baïonnette, stigmatisant des « fautes » des juges d’instruction et du parquet.

Jacqueline Laffont, pour l’ancien président, a tiré la première. D’une voix douce et calme, dans un registre d’autant plus efficace qu’il était sobre, elle s’est employée à mettre le dossier en charpie, construit selon elle sur des « postulats faux ». « Nous nageons dans des hypothèses et des conjectures », « dans les triples suppositions », dans les « interprétations erronées »… et surtout « sans le début du commencement de preuve ». C’est le mantra des trois défenses : « l’absence de preuve ».

De son côté, le parquet s’appuie exclusivement sur les 19 écoutes des téléphones Bismuth entre Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog, pour dire qu’un « pacte de corruption » se serait noué avec le haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, en échange d’un coup de pouce pour un poste à Monaco. Sauf que selon Jacqueline Laffont, il n’y a pas la moindre preuve de la moindre influence d’Azibert au sein de la Cour de cassation quand celle-ci a dû statuer sur la restitution des agendas présidentiels de Nicolas Sarkozy après l’affaire Bettencourt… Selon elle aussi, il n’y a pas non plus la preuve du moindre coup de pouce pour Monaco. « Un désert de preuve », insiste-t-elle. « La thèse de l’infiltration de Gilbert Azibert s’est effondrée lamentablement malgré des investigations historiques », résume-t-elle, après avoir repris un à un tous les soupçons du parquet pour les retourner. Exactement comme l’a fait à la barre son client Nicolas Sarkozy, l’avocate résume le dossier à de simples « bavardages », « des échanges informels entre amis » dont les interprétations seraient « hasardeuses ».

"TOUS DES POURRIS À MONACO"

Jeudi, Dominique Allegrini, pour la défense de Gilbert Azibert, compare le dossier à une sorte de « Frankenstein judiciaire », avec le « juge Serge Tournaire à sa tête, les juges Thépaut et Simon en bras droit et gauche, et le cœur, le PNF ». La salle sourit. Le jeune avocat marseillais appelle l’affaire « le virus Azibert ». Multipliant les formules fleuries, il résume l’accusation à ces suppositions selon lesquelles son client, en « contaminant » à lui tout seul tous les magistrats de la Cour de cassation en faveur de Nicolas Sarkozy, en aurait fait « un cluster Azibert ». Sauf qu’au final… la décision de la Cour a été défavorable à l’ancien président qui réclamait, on le sait, la restitution de ses agendas présidentiels. La salle se gondole. Nicolas Sarkozy fait de grands gestes d’acquiescement depuis sa chaise. « Dans ce dossier, les doutes se transforment en certitude, mais en guise d’accusation, nous n’avons que du vent…  Un doute, plus un doute, plus un doute, on nous dit que cela fait un faisceau d’indice, mais 0+0+0, cela fait toujours 0 », insiste l’avocat. Grâce à lui, l’espace d’une plaidoirie, on quitte la tragédie pour le boulevard.

Paul-Albert Iwens, ancien bâtonnier de Paris, n’a pas ces facilités comiques. La défense de Thierry Herzog revient aux fondamentaux. « Ce dossier est vide, plein de fantasmes et va d’hypothèses bancales en hypothèses bancales. » Iwens dresse le portrait de son client, « un avocat loyal », « un grand pénaliste », et dans la salle les nombreuses robes noires qui ont fait le déplacement approuvent de la tête. « Thierry Herzog est aimé », a dit Jacqueline Laffont d’une voix si douce que la phrase n’appelait aucun autre commentaire. Iwens reprend le dossier : « aucun document de la Cour de cassation n’a été transmis par Gilbert Azibert à Thierry Herzog », insiste-t-il. En perquisitionnant au cabinet de l’avocat de Nicolas Sarkozy, en mars 2014, les enquêteurs étaient pourtant persuadés, se fondant sur les écoutes Bismuth, qu’ils allaient trouver des pièces secrètes. Rien. Comme rien ne prouve que la moindre démarche a été faite à Monaco en faveur d’Azibert. « Et comme il n’a rien trouvé là-bas, le parquet suppose que c’est tous des pourris à Monaco », ironise l’ancien bâtonnier. « Et nous, comme nous sommes avocats, nous sommes proches de la mafia », ironise-t-il encore. Pour finir, il cite le juge Renaud Van Ruymbeke, qui dans une interview a comparé cette affaire « à une dérive ». « Vous rendrez sa vie, sa liberté et son honneur à Thierry Herzog », conclut Paul-Albert Iwens.

LIENS INVISIBLES

Hervé Temime se déplie de sa chaise. Depuis des jours, cet autre avocat de Thierry Herzog, tourne en rond dans cette salle d’audience, tête baissée, lèvres remuantes trahissant qu’il se prépare à plaider. La défense, sur les quatre avocats plaideurs, a choisi de le placer en dernier. Comme la vieille Garde…

Dans cette même salle, devant cette même juge, Christine Mée, Hervé Temine a obtenu la relaxe de Bernard Tapie au bout d’une plaidoirie fiévreuse. Ici, c’est la relaxe de son ami, de son camarade, il ne le dit pas par pudeur, mais de son frère, Thierry Herzog, qu’il vient chercher. Et dans ce dossier qu’il estime lui aussi vide de preuve qu’il entend mettre en brèche, Temime a un défi secret : son émotion. Une fois déjà, dans cette pièce, quand il a interrogé Henri Leclerc, elle l’a trahie. Sa voix s’est éraillée. Tous les avocats présents savent que pour lui, en plaidant « pour Thierry », l’enjeu est immense. C’est aussi un des ingrédients de ce procès hors normes, une des clés pour comprendre son intensité. Des liens invisibles traversent cette salle Victor-Hugo, des liens d’amitié, et de sang.

"ON EST CHEZ LES FOUS"

Temime va plaider trois heures. En avocat d’exception qu’il est, il sait parler à la fois à la tête et aux tripes de ceux qui l’écoutent. Temime sait aussi donner des coups de poignard avec douceur et mordre avec le sourire. D’entrée son ennemi, c’est le parquet et « sa sévérité sans nom ». « Non pas l’institution PNF », dont il dit se réjouir de l’existence, mais des procureurs de cette audience. « Pas une fois vous n’avez prononcé le mot preuve », lance l’avocat, main pointée dans leur direction. Premier de nombreux coups de dague à venir en réplique à « ces peines réclamées aussi démesurées qu’humiliantes ». L’avocat matraque les « dérives de l’instruction », et « les déraillements judiciaires » de cette enquête. En tête de gondole, la volonté des deux juges enquêteurs de poursuivre leurs auditions alors qu’elles avaient été suspendues. Il souligne cette « première historique », une perquisition à la Cour de cassation, le saint de saint de la justice française… pour ne rien y trouver. Mais surtout, il plaide que ces écoutes Bismuth entre Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog, n’auraient jamais dû être retranscrites. « Personne n’aurait jamais dû écouter ces propos, cela était même formellement interdit. » Pour Temime, au nom du respect du secret professionnel de l’avocat, qui protège, ni l’avocat, ni le client, mais la Justice, « toute cette procédure aurait dû être annulée ». Selon lui, le tribunal correctionnel, « indépendant et impartial » peut passer outre les décisions judiciaires antérieures qui en ont décidé autrement, et écarter ces 19 écoutes Bismuth. Il ne resterait alors plus rien à juger…

Hervé Temime reprend ensuite les étapes de l’accusation, stigmatise « la débauche d’investigations » qui toutes se sont soldées « par des éléments à décharge qui ont été écartés. » « Pas de preuve », martèle-t-il en refrain. Pas de preuve de l’influence d’Azibert auprès de la Cour de cassation : « Est-ce que vous vous rendez compte du caractère grotesque des poursuites ? », interroge-t-il, selon lesquelles Azibert tout seul « comme un parrain serait allé voir les conseillers de la Cour de cassation pour leur dire quoi statuer. Mais dans le dossier, les douze conseillers de la chambre criminelle ont été interrogés et pas un n’a admis avoir parlé avec Azibert ! » L’avocat raille les « élucubrations intellectuelles »  du parquet. Il fait afficher sur écran géant un procès-verbal dans lequel le policier enquêteur a écrit « qu’il n’a pas pu être prouvé que d’autres magistrats de la Cour de cassation ont été approchés par Gilbert Azibert ». « L’accusation s’est effondrée », siffle l’avocat. Il démonte aussi l’existence du moindre « pacte » préalable nécessaire à une infraction de corruption. « Et puis, Azibert n’était même pas candidat pour un poste à Monaco », lance-t-il à son tour, bras levés au ciel. « Pardon, si on n'était pas devant un tribunal, je dirais qu’on est chez les fous, s’énerve l’avocat. Nous sommes face à une accusation diabolique, où s’il n’y a rien, c’est qu’on est coupable ». Lui aussi, au bout de trois heures, conclut à l’innocence de son client et ami. « Bien sûr, je sais l’importance symbolique de cette affaire, mais si vous maniez simplement les règles de droit, vous le relaxerez et ce sera justice ».

La balle est dans le camp des trois juges du tribunal correctionnel présidé par Christine Mée. Trois scénarios s’offrent à eux. Le premier, dans l’ordre chronologique des débats, c’est de suivre les réquisitions du procureur et de condamner. Un Waterloo judiciaire pour l’ancien président, ses co-prévenus. Les deux autres scénarios sont de relaxer. Soit, comme le demandent les avocats, en constatant l’absence de preuves, et donc d’infraction. Cette relaxe signerait le Waterloo des juges d’instruction et du parquet qui auraient mené pendant six ans cette enquête hors normes accouchant d’une déroute devant le tribunal correctionnel. Troisième possibilité, le tribunal peut aussi ordonner la relaxe, comme l’a plaidé Hervé Temime, en décidant purement et simplement d’écarter les écoutes Bismuth. En retirant ces 19 écoutes du dossier, il n’en resterait rien, comme une baudruche vide… Au nom du principe, le tribunal relaxerait ainsi les trois prévenus sans avoir à trancher sur la réalité de ce pacte corruption qui aura été, dix jours durant, le sujet enfiévré de cette salle Victor-Hugo.

S/M/Africsol

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