Le décès d’Hamed Bakayoko, 56 ans, homme politique populaire, conciliant et ambitieux, a suscité une très vive émotion dans le pays.

 
« Je suis choqué, abasourdi », « Je n’ai pas les mots », « Nous t’aimons… » Les réactions émues de responsables politiques, de célébrités et d’anonymes affluent sur les réseaux sociaux en hommage à Hamed Bakayoko. Le premier ministre ivoirien est mort des suites d’un cancer, dans la soirée du 10 mars, à Fribourg, en Allemagne. Hospitalisé à Paris depuis le 18 février, celui qui était aussi ministre de la défense venait d’être transféré quelques jours plus tôt dans la ville allemande.
L’annonce de sa mort a été faite par le président de la République, Alassane Ouattara, sur son compte Twitter : « Notre pays est en deuil (…). C’était un grand homme d’Etat, un modèle pour notre jeunesse, une personnalité d’une grande générosité et d’une loyauté exemplaire », a-t-il écrit, à côté d’une photo du défunt, son « fils et proche collaborateur ». Un message solennel, qui a rappelé celui posté huit mois plus tôt, en juillet 2020, annonçant le décès brutal du précédent premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, malade du cœur.

Voyant l’état de santé de son premier ministre se dégrader, le président Ouattara avait procédé à des remplacements par décret, le lundi 8 mars : Patrick Achi, secrétaire général de la présidence, est devenu premier ministre par intérim. Téné Birahima Ouattara, ministre des affaires présidentielles, frère cadet du président, a été nommé ministre de la défense par intérim. Hamed Bakayoko était considéré comme un candidat sérieux à la succession d’Alassane Ouattara en 2025. Sa mort vient rebattre les cartes au sein du parti au pouvoir, qui perd, une fois encore, l’un de ses espoirs.

Réseau transpartisan

Le 28 février, sur Facebook, celui qui était surnommé « Hambak » écrivait son dernier message public, commençant par ces mots : « Le mois de mars est un mois spécial pour moi. » Le 8 mars, il venait d’avoir 56 ans et, le 9, d’être proclamé député de Séguéla, sa ville d’origine, dans le centre-ouest du pays, après les élections législatives du 6 mars. Il était déjà élu, en 2018, maire d’Abobo, grande commune de la capitale économique ivoirienne. Son ascension a été fulgurante. Avant de devenir l’un des plus hauts personnages de l’Etat, le golden boy ivoirien s’est construit hors du sérail. Leader étudiant influent, il devient journaliste, puis directeur de publication du quotidien Le Patriote, à 25 ans, journal qu’il fonde et qui devient rapidement la voix du Rassemblement des républicains (RDR), le parti de M. Ouattara.

Politiquement aussi, il gravit rapidement les échelons. Proche des deux camps lors de la guerre civile ivoirienne des années 2000, il entre, dès 2003, dans le gouvernement d’union nationale. Remarqué pour son expérience et son réseau, il est nommé ministre des nouvelles technologies de l’information et de la communication, un poste qu’il occupera jusqu’en 2011. Cette année-là, il intègre le gouvernement du président Ouattara en devenant ministre de l’intérieur. Il quitte cette fonction six ans plus tard, en 2017, pour celui de la défense, en réponse aux mutineries qui ébranlent alors l’armée et le pouvoir. En juillet 2020, il est nommé premier ministre après la mort d’Amadou Gon Coulibaly.

Grâce à son réseau transpartisan et ses amitiés de tous bords, il était « l’homme du consensus, indique le politologue Sylvain N’Guessan. Il avait ses entrées dans toutes les formations politiques, y compris chez Gbagbo et Bédié. C’était le liant de la vie politique ivoirienne ». Dans un paysage politique en pleine reconstruction, il sera difficile de prendre la relève de cet homme politique conciliant. « Il va laisser un vide », ajoute le politologue. Surnommé « M. Tout-le-Monde », pour son côté accessible, il jouissait d’une image positive auprès de nombreux Ivoiriens, notamment des plus jeunes.

Enfant d’Adjamé, quartier pauvre d’Abidjan, il rappelait souvent ses origines modestes et galvanisait la foule lors des meetings. « Il est proche du peuple, il partage ses goûts, fréquente parfois les mêmes lieux. Ce n’est pas un politique en costume et cravate », disait de lui A’salfo, le leader du groupe Magic System. Son réseau construit au sein de la radio Nostalgie, dont il a été le premier PDG, son goût prononcé pour la fête et le show-business, avaient fait de lui un ami des artistes. Lors de l’hommage national rendu à DJ Arafat, mort en août 2019 dans un accident de la route, il avait électrisé les fans du roi du coupé-décalé en le présentant comme son « fils », dans un stade Félix-Houphouët-Boigny déchaîné, à Abidjan. Un show à son image.

S/Youenn Gourlay LMA/Africsol

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