Alors que la Fashion Week s’ouvre ce lundi à Paris, le parquet de Paris annonce l'ouverture d'une enquête pour viols et agressions sur mineures à l'encontre de Gérald Marie, ancien directeur de la branche Europe de l'agence de mannequins, Elite. Les faits seraient prescrits. 

 

Les faits seraient survenus en 1980 et 1998, soit il y a plus de 20 ans. Mais ils sont suffisamment graves pour que le parquet de Paris ouvre une enquête, le 28 septembre, pour "viol et agression sexuelle ainsi que viol et agression sexuelle sur mineur" à l'encontre de Gérald Marie, directeur Europe de l'agence Elite pendant 25 ans.

Confiée à la Brigade de protection des mineurs, l'enquête fait suite au dépôt d’une plainte et de trois signalements, le 21 septembre, émanant de Lisa Brinkworth, ex-journaliste  de la BBC et de trois anciens mannequins. Samedi, Gérald Marie, 70 ans, toujours en activité et propriétaire de l'agence de mannequins parisienne Oui management, a "catégoriquement démenti" auprès du Sunday Times les accusations le visant.

Une sommité du monde de la mode

Depuis le début des années 1980, Gérald Marie est une sommité du monde du mannequinat. Entré en 1987 chez Elite, il devient rapidement l'ex-bras droit de John Casablancas, fondateur de l'agence. C'est lui qui popularise le concours Elite Model Look à la fin des années 1980, lui aussi qui a fait éclore les top modèles, Naomi Campbell, Cindy Crawford ou Linda Evangelista - qui fut un temps son épouse. 

L'agence, longtemps leader du marché, fait rêver des milliers d'aspirantes mannequins, donnant à Gérald Marie un statut dont il aurait tirer avantage.  Gérald Marie se taille une réputation de dragueur impénitent, intraitable en affaires, peu soucieux de l'intégrité des mannequins. Dans 'Model : The Ugly Business of Beautiful Women' (Mannequin : le sale business des belles femmes", de Michael Gross, le photographe Jacques Silberstein dit de lui : "Il aimait coucher avec les filles. Sa philosophie, c’était 'Si tu veux travailler, il faut me baiser'''. 

L'organisation "Model alliance", qui promeut un juste traitement des femmes dans le monde de la mode estime pour sa part sur twitter que Gérald Marie "était connu comme prédateur sexuel depuis des décennies" et dénonce le fait qu'il soit toujours en activité. 

Enquête en caméra cachée 

En 1998, les journalistes de la BBC Lisa Brinkworth et Donald MacIntyre mènent - sous couvert - une enquête sur les abus sexuels dans le monde de la mode. Ils infiltrent à ces fins l'industrie de la mode, Lisa Brinkworth se faisant passer pour une mannequin et Donald MacIntyre pour un photographe. 

C'est dans ce cadre que la journaliste se retrouve dans un dîner à Milan, en Italie, le 5 octobre, avec plusieurs cadres d'Elite, filmés en caméra cachée. Selon son témoignage consulté par 20 minutes, l'agent a d'abord proposé à la jeune femme de payer son repas en faisant des fellations à l'ensemble des convives.

Ensuite Gérald Marie, qu'elle a suivi dans un club, l'aurait "chevauchée alors qu'elle était assise sur une chaise" et "a commencé à lui enfoncer son sexe dans le bas ventre". "J'ai cru qu'il allait me violer. À table, tous les agents d'Elite riaient", a-t-elle témoigné. 

Un accord à l'amiable entre la BBC et l'agence Elite 

Le reportage de Lisa Brinkworth et de  Donald MacIntyre  est diffusé sur la BBC en 1999. Ces images, bien que volées, révèlent un monde où la drogue circule à flot et où des femmes, toujours plus jeunes, mineures parfois, sont traitées comme des marchandises. On y voit notamment Gérald Marie proposer 600 euros (3000 francs à l'époque) à la prétendue mannequin - Lisa Brinkworth - pour coucher avec elle.

Après sa diffusion qui fait scandale, Elite porte plainte contre la BBC pour diffamation. En 2001, au terme d'une longue expertise à charge contre le reportage aux méthodes peu orthodoxes, les deux parties parviennent à un accord à l'amiable : Elite abandonne ses charges si la BBC s'engage à ne plus diffuser ou vendre le programme. 

Le dossier est clos et Lisa Brinkworth elle, reste "gravement traumatisée", mais n'a plus le droit d'évoquer les faits publiquement. "Elle n'était pas légalement liée par cet accord (...), mais la BBC lui a affirmé qu'elle n'était en aucun cas autorisée à évoquer publiquement les événements qu'elle avait vécus au cours de son enquête", affirme la plainte, qui y voit un motif pour suspendre le délai de prescription.

"Je ne peux que saluer cette décision qui, au vu des éléments apportés par les différentes victimes, s'imposait", a réagi l'avocate de Mme Brinkworth, Me Anne-Claire Lejeune. "Cette enquête permettra, je l'espère, à d'autres d'avoir le courage de prendre la parole. C'est une première étape encourageante et un soulagement pour les victimes", a ajouté Me Lejeune.

Trois signalements pour viol 

La plainte de Lisa Brinkworth est accompagnée de trois signalements d'ex-mannequins pour des "viols" à Paris. Dans leurs témoignages, Jill Dodd, Carré Otis-Sutton et Ebba Karlsson décrivent comment l’ancien patron d’Elite Europe a réclamé des faveurs sexuelles alors qu’elles avaient respectivement 19, 17 et 21 ans.

Carre Ottis-Sutton dénonce "d'innombrables" viols en 1986, alors qu'elle n'avait que 17 ans, dans l'appartement de Gérald Marie. Elle y résidait à l'époque, espérant percer dans le milieu du mannequinat.

La Suédoise Ebba Karlsson dénonce un viol qui se serait produit en 1990, alors qu'elle avait 21 ans. Elle passait un casting dans les bureaux d'Elite à Paris. Selon son témoignage, Gérald Marie lui a dit : "Si vous voulez être comme [une mannequin scandinave], vous devez donner quelque chose en retour", puis aurait enfoncé sa main dans sa culotte et l'aurait pénétré avec le doigt. 

Le dernier signalement est celui de l'Américaine Jill Dodd, qui venait elle aussi d'arriver à Paris et dit avoir été violée par Gérald Marie, également chez lui, alors qu'elle avait 19 ans. Des faits qui seraient prescrits aujourd'hui.

S/FRANCE 24/AFRISOL

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