Des échauffourées ont éclaté mardi à Nairobi entre la police et des militants d'opposition, mais aussi du pouvoir, avant la cérémonie d'investiture du président kényan Uhuru Kenyatta, qui doit prêter serment pour un second et dernier mandat après sa victoire à l'élection d'octobre.
Car la fanfare militaire et la présence de 13 chefs d'Etat - principalement africains - dans un stade bondé de 60.000 personnes du nord-est de la capitale Nairobi, où le président doit sceller dans la matinée son maintien à la tête du pays pour cinq années supplémentaires, sont l'arbre qui cache la forêt.
Cette prestation de serment signale certes la fin d'une saga électorale marquée notamment par l'invalidation en justice du scrutin du 8 août, mais le pays sort meurtri de cet exercice démocratique, qui lui a rappelé ses profondes fractures ethniques, géographiques et sociales.
Mardi matin, la police a bouclé un terrain du sud-est de Nairobi où l'opposition, qui a boycotté l'élection d'octobre, entendait organiser son propre rassemblement.
Lorsqu'environ 200 partisans de l'opposant Raila Odinga ont tenté de se rendre sur les lieux, la police a répondu à coups de gaz lacrymogène et par des tirs de semonce, selon une journaliste de l'AFP.
Le déploiement sécuritaire était important à travers la capitale, et la circulation a été bloquée sur plusieurs grands axes.
Depuis plusieurs semaines, l'opposition répète ne pas reconnaître la victoire de M. Kenyatta et a promis de poursuivre une campagne de "désobéissance civile" suivie jusqu'à présent de manière inégale par ses partisans.
Selon un comptage de l'AFP, les violences ayant accompagné le processus électoral ont fait au moins 56 morts depuis le 8 août, principalement dans la brutale répression des manifestations de l'opposition par la police. Loin toutefois du millier de morts des violences politico-ethniques ayant suivi l'élection de 2007.
Le chaos était également au rendez-vous mardi matin autour du stade de Kasarani, où la police tirait des gaz lacrymogènes sur des partisans du président qui tentaient de pénétrer dans le stade déjà rempli. Ces échauffourées ont fait plusieurs blessés.
"Je veux juste voir le président Uhuru Kenyatta parce que j'ai voté pour lui. Pourquoi sommes-nous frappés comme des partisans de NASA (la coalition d'opposition, ndlr)", a déclaré l'une d'entre eux, Janet Wambua.
- Invectives -
Cette crise politique avait paradoxalement débuté par une décision historique de la Cour suprême, le 1er septembre: saisie par l'opposition, elle évoque des irrégularités dans la transmission des résultats et invalide la présidentielle du 8 août. Une première en Afrique.
Le jugement est salué comme une opportunité pour les hommes politiques kényans de renforcer la démocratie, mais ces derniers n'auront redoublé d'efforts que dans leurs violentes invectives.
C'est donc dans un climat politique délétère que M. Kenyatta, 56 ans et au pouvoir depuis 2013, est proclamé vainqueur de la nouvelle présidentielle, organisée le 26 octobre.
Lorsque la Cour suprême valide finalement ce nouveau scrutin, lundi 20 novembre, le contraste est saisissant entre la liesse qui s'empare de certains fiefs de M. Kenyatta, et les manifestations réprimées dans certains bastions de son opposant, dans l'ouest du pays et certains bidonvilles de Nairobi.
- Fossé croissant -
La victoire de M. Kenyatta avec 98% des voix à l'élection d'octobre est par ailleurs ternie par une faible participation (39%) en raison du boycottage de l'opposition, qui estimait qu'elle ne pouvait en aucun cas être libre et équitable. Les partisans de M. Odinga ont même empêché la tenue du scrutin dans quatre comtés de l'ouest (sur les 47 que compte le pays).
Car dans les fiefs de Raila Odinga, de l'ethnie Luo, cette crise a renforcé le sentiment d'avoir été déclassé, discriminé et laissé pour compte depuis l'indépendance en 1963, principalement par rapport à l'ethnie kikuyu, celle de M. Kenyatta, qui a donné au Kenya trois de ses quatre présidents.
Pour certains observateurs, cette crise est également le signe d'un fossé croissant entre les élites politiciennes et le peuple, dont une majorité silencieuse aspire à ce que le pays tourne la page.
L'économie du pays a été durement affectée par la discorde, et nombreux sont ceux qui se plaignent d'une baisse des revenus, notamment dans les bidonvilles où beaucoup vivent avec moins d'un euro par jour.
S/AFP/Africsol
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