Après la mort de George Floyd, des manifestants antiracistes ont appelé à « dé financer », voire à « abolir » la police américaine. Pourtant ce slogan s’est heurté à une hostilité de la part de nombreux élus, y compris Joe Biden. Qu’en est-il un an plus tard ?

Dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, l’institution policière américaine a été mise en cause dans sa totalité. À Minneapolis, où est décédé George Floyd, le 25 mai dernier, la ville avait souhaité réduire les budgets de la police, en anglais « defund the police ». En clair, il s'agissait de rediriger les moyens financiers vers d'autres organismes gouvernementaux. Ces 40 dernières années, le budget alloué à la police aux États-Unis a triplé, atteignant 115 milliards de dollars en 2017, selon le média Bloomberg.

En dépit de cette hausse structurelle, le mouvement antiraciste peut se targuer de quelques victoires. Selon le site d’enquête TruthOut, au moins 20 grandes villes américaines ont réduit les budgets de police à hauteur de 840 millions de dollars. Parmi ces fonds, 160 millions ont été redistribués notamment pour faciliter la réinsertion des délinquants. À Minneapolis, épicentre de la contestation, les pourparlers sont encore en cours. Finalement un an après le début des revendications, la volonté de réduire les financements de la police reste limitée. Au début du mois de mars, une réforme d'encadrement de la force publique a été votée. Celle-ci interdit les prises d'étranglement, réduit les transferts d'équipements militaires aux forces de l'ordre et a permis de créer un registre national fichant les policiers auteurs d'abus. Pour analyser l'état de la situation, Marianne s’est entretenu avec Jean-Eric Branaa, maître de conférences à Paris-2, et spécialiste de la politique américaine.

Marianne : Quelle était la visée de ce slogan, « defund the police » à l’aune de l’affaire George Floyd ?

Jean Eric Branaa : L’idée partait du principe que la police recevait trop d’argent, et que celui-ci devait être utilisé pour les questions sociales. Notamment afin d’aider les délinquants plutôt que d’alimenter le dispositif sécuritaire et le volume répressif. C’est une vision portée majoritairement par l’extrême gauche. Ce slogan a été immédiatement repoussant pour beaucoup de gens, y compris chez les démocrates.

Dans quelle mesure l’idée a fait son chemin dans le milieu politique en un an ?

Aujourd’hui, on observe un attentisme quant à la réponse que va apporter Joe Biden à cette demande. Le président américain est toutefois fondamentalement opposé au démantèlement de la police. Il compte en revanche adopter plusieurs lois sur les droits civiques, qui sont actuellement discutées. L’extrême gauche est bien placée pour les faire avancer, et notamment grâce à Bernie Sanders qui est devenu responsable du budget au Sénat. Par exemple: permettre aux électeurs de prendre davantage part aux votes, et ainsi d’aider le système à se réformer de l'intérieur. Tandis qu' en France nous allons aux urnes le dimanche, aux États Unis, le vote se fait en semaine. Ainsi de nombreuses personnes avec des petits salaires et des emplois précaires ne peuvent pas voter. L'idée de Biden consiste à multiplier les bureaux de vote, une stratégie qui devrait selon lui permettre de renouveler le personnel politique.

« Les élus locaux de Minneapolis ont changé certaines personnes à la tête de la police, mais pas tout à fait les pratiques. »

Le président américain souhaite aussi augmenter les budgets, afin d’améliorer les formations dispensées aux policiers. Quant à la vice-présidente Kamala Harris, elle est alignée sur le discours du président. Lorsqu’elle était procureure du district de San Francisco, elle militait déjà pour améliorer la formation des forces de l’ordre. Elle a défendu lors de son mandat le fait que tous les policiers n’étaient pas des pourris et que c’était un métier difficile.

Y a-t-il des candidats aux élections locales qui soutiennent la réattribution du budget de la police à d'autres instances ?

Il y a par exemple Maya Wiley, candidate démocrate à la mairie de New York, actuellement en quatrième position dans les intentions de vote. Elle est soutenue par Alexandria Ocasio-Cortez, l’une des étoiles montantes de la gauche américaine, alors qu’au sein du mouvement Black Lives Matter les visions sont très disparates. Du côté de l’extrême gauche, qui représente 30 % du parti démocrate, il y a une forte adhésion. C’est la minorité agissante du parti qui parle fort, et cela compte. Cependant ce ne sont pas eux qui remportent les élections internes au parti démocrate, mais les modérés. En regardant de très loin, on a l’impression qu’ils sont puissants mais pas tant que ça.

À Minneapolis, épicentre de la contestation antiraciste, les lignes ont-elles bougé ?

C'est surtout une affaire de réflexion qui est en cours. Pour le moment les élus locaux de Minneapolis ont changé certaines personnes à la tête de la police, mais pas tout à fait les pratiques. Ça va prendre du temps, il va falloir que les idées maturent. De plus les élus démocrates modérés sont toujours les mêmes, et ils ne vont pas se dédire brutalement et changer de cap pour aller vers l’extrême gauche. Minneapolis est une ville plutôt centriste. Aujourd'hui, peu de grandes villes américaines sont prenables par l'extrême gauche, il est plus facile pour eux de récupérer des postes de députés. Nous sommes au cœur de politiques budgétaires. Dès lors que vous n'augmentez pas les impôts, vous prenez dans le budget d'un service pour le transférer dans un autre, tels des vases communiquant.

S/Marianne/Africsol

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