À Cuba, Raúl Castro quitte la tête du Parti communiste à quelques jours du soixantième anniversaire de l'épisode de la « baie des cochons », qui avait échoué grâce à son action. Coartisan de la révolution de 1959, ministre de la défense de Fidel, le frère du Lider Maximo avait y compris joué un rôle dans le rapprochement de l'île avec l'ex-puissance soviétique.

À la tête du Parti communiste (PC) de Cuba depuis la retraite de son frère Fidel, Raúl Castro n’a jamais rien laissé au hasard, pas même sa sortie de la vie politique. Son départ à quelques semaines de son quatre-vingt-dixième anniversaire, a été annoncé au moment où Cuba célébrait les soixante ans de la riposte victorieuse des forces armées de la révolution à la tentative de coup d’État fomentée par la CIA, laquelle avait été sommée par le président Kennedy d’en finir au plus vite avec ce pouvoir révolutionnaire installé aux portes des États-Unis. Si la légende retient la figure du Che, Ernesto Guevara, repoussant le 17 avril 1961 les commandos d’émigrés, appuyés par la marine américaine dans la baie des Cochons, l’histoire doit rendre justice à l’organisateur de cette riposte-éclair.

En effet, John Fitzgerald Kennedy et ses conseillers avaient sous-estimé Raúl Castro, ministre de la Défense depuis la proclamation du gouvernement révolutionnaire, en janvier 1959. En deux ans, Raúl Castro, a doté Cuba d’une véritable armée populaire, encadrée par les anciens guérilleros et intégrant des officiers d’ancien régime, après une sélection pour le moins sévère. Rien de tel, pour calmer les ardeurs contre-révolutionnaires que l’exécution sans autre forme de procès de 71 militaires et policiers, fusillés à Santiago de Cuba, sur l’ordre direct de Raúl Castro.

CHEVILLE OUVRIÈRE DU RÉGIME

Le petit frère du Lider Maximo avait été formé à bonne école. Dès 1952, alors que Fidel, licencié en droit et docteur en sciences sociales, envisage une carrière d’avocat, Raúl effectue un long séjour derrière le rideau de fer. De retour à Cuba, en 1953, il adhère au Parti communiste, ce qui ne l’empêche pas le 26 juillet de la même année de lancer avec Fidel une attaque armée contre la caserne Moncada, à Santiago de Cuba.

L’objectif était de récupérer des armes, pour armer les paysans et engager la lutte contre le dictateur Batista. L’échec de l’opération vaut aux frères Castro la prison, puis l’exil. La suite est connue : ils reviennent sur l’île en compagnie d’un jeune médecin argentin en quête d’aventure romantique, Ernesto Guevara, et lancent une guérilla qui sera victorieuse en deux ans.

Raúl Castro, qui commande la région de Santiago de Cuba, réussit un coup de maître : en 1958, il capture des Américains à l’extérieur de la base de Guantánamo, si bien que Washington interdit à Batista tout bombardement aérien et toute action mettant en péril la vie des otages. Quelques mois plus tard, le 8 janvier 1959, la révolution triomphe : Fidel Castro est à la tête du pays. Raúl ne se contente pas d’assurer la sécurité du nouveau régime, il est aussi la cheville ouvrière de la transformation du M-26, mouvement d’intellectuels et de paysans armés, en parti révolutionnaire, puis en parti communiste.

SOUTIEN DE MOSCOU

Les bévues accumulées par les Américains, qui croient pouvoir renverser Fidel sans trop de difficultés, accélèrent le rapprochement de Cuba et de l’URSS. Tandis que Fidel Castro et Ernesto Guevara tentent de construire une vaste alliance tiers-mondiste, qui semble se réaliser, à partir de 1962, sur l’axe Alger–La Havane, Raúl Castro, par réalisme autant que par conviction communiste, demande et obtient le soutien de Moscou.

En dépit ou à cause de l’échec du débarquement de 1961, Kennedy n’a de cesse de menacer Cuba. Ministre de la Défense, Raúl Castro se rend à Prague et à Moscou. Les forces armées de Cuba sont rapidement équipées d’armes tchèques et soviétiques, et les officiers cubains seront formés dans les académies militaires de l’URSS.

Le monde est au bord du cataclysme, en octobre 1962, quand les navires soviétiques s’approchent de Cuba pour livrer des missiles nucléaires, menaçant directement les États-Unis. Le barrage de l’US Navy et la fermeté de Washington obligent les Soviétiques à un retrait prudent. Mais les Américains doivent renoncer à envahir Cuba et se contenter d’un embargo. Fidel Castro et Ernesto Guevara cherchent une alternative à l’aide exclusive de l’URSS. Le Che, qui s’est rendu à Pékin dès 1960, rêve d’un rassemblement révolutionnaire débordant l’URSS. Les frères Castro le laissent poursuivre ses chimères à Alger et l’écartent du pouvoir en 1965, quand le coup d’État de Boumediene enterre les rêves révolutionnaires d'Ahmed Ben Bella.

AVENTURE RÉVOLUTIONNAIRE CONTRARIÉE

Dès lors, le pouvoir se concentre entre les mains de Fidel et Raúl Castro. Numéro deux du parti communiste, Raúl n’a de cesse de resserrer les liens avec Moscou. Sucre contre pétrole, éducation et santé conçues et organisées par des conseillers tchèques, Cuba survit en devenant dépendant. Le Che peut bien tenter de propager la révolution en Afrique puis en Bolivie, Raúl Castro consolide le socialisme à Cuba. L’aventure révolutionnaire reprendra, beaucoup plus tard, quand les Soviétiques demandent à Cuba des soldats pour l’Angola, mais aussi pour sauver le régime de Mengistu en Éthiopie.

Homme de confiance de l’URSS au sein du PC de Cuba, Raúl Castro est cependant le premier à tirer les enseignements de l’effondrement de l’empire communiste, en 1991. Il prône alors une réforme économique, mais sans les réformes politiques qui ont précipité la chute de Gorbatchev. Il entend s’inspirer du modèle chinois lancé par Deng Xiaoping. « Ce ne sont pas les missiles américains qui nous menacent, déclare-t-il en 1994, ce sont les haricots. Ceux que les Cubains ne mangent pas ».

L'ÉCHEC DE LA PETITE CHINE

Fidel affaibli par la maladie, laisse Raúl lancer quelques timides réformes. Premier vice-président de Cuba depuis 1976, il devient président en 2008. Il n’a de cesse de briser l’isolement de Cuba, mais ne parvient pas à redresser la situation économique. Barack Obama, président des États-Unis, lève partiellement l’embargo et effectue une visite historique à Cuba. Mais cette embellie tourne court quand Donald Trump rétablit les sanctions.

Raúl Castro n’a pas réussi à faire de Cuba une petite Chine, accédant à la prospérité sous la férule du Parti communiste. Mais il se retire après avoir battu un record de longévité politique. Qui aurait imaginé, en 1961, que la crise de Cuba serait fatale aux chefs des deux superpuissances et que, longtemps après l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy et l’éviction de Nikita Khrouchtchev, Raúl Castro quitterait le pouvoir, sans violence ni crise, à l’âge de 90 ans ?

S/M/Africsol
 

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