Quatre ans de prison dont deux avec sursis et deux ferme pour les trois prévenus. L’ancien président de la République, son avocat, et l’ancien haut magistrat sont sortis des réquisitions sonnés.

 
Toute l’après-midi, ces réquisitions ont grondé comme un orage qui couve. Il y a eu le procureur financier en personne, Jean-François Bonhert, venu défendre l’honneur malmené de ses troupes dans un propos préliminaire. Et puis ces heures de démonstration des deux procureurs de l’audience, Céline Guillet et Jean-Luc Blachon, méthodiques, cliniques, précis. La foudre est tombée à 18 h 55. Contre Gilbert Azibert, l’ancien magistrat « dévoyé qui a trahi son serment », quatre ans de prison dont deux ferme. Contre Thierry Herzog, l’avocat fidèle qui « s’est égaré », quatre ans de prison dont deux ferme et cinq ans d’interdiction d’exercer. Contre l’ancien président de la République, tenu « à l’exemplarité et aux devoirs de sa charge », la même peine claque. Quatre ans de prison dont deux ans ferme.
Les magistrats ont aussitôt quitté la salle, abandonnée aux prévenus sous le choc. Un cercle s’est formé autour de Nicolas Sarkozy. Six avocats de la défense, sonnés. Groggy. KO debout devant ces réquisitions. Alors, dans ces minutes incroyables où les destins basculent, il a pris la parole au milieu de ce cercle. C’est lui et lui seul, devant un huissier médusé et une poignée de curieux, qui a harangué ses troupes. La scène a duré un quart d’heure et personne n’a osé l'interrompre, pas même les policiers de l’audience d’ordinaire pressés de vider les lieux. Il a décidé que Jacqueline Laffont, son avocate, dirait quelques mots aux caméras dehors. Il a donné ses consignes et le top du départ dans un cortège lugubre qui s’est formé devant la porte de la salle d’audience. Lui parti, l’avocate est venue dire combien ces réquisitions étaient « disproportionnées »… et que les plaidoiries en « feraient litière », ce mercredi et ce jeudi. Quoi qu’il en soit, le match entre Sarkozy et les juges a changé de nature.

« UN PROCÈS, CE N’EST PAS UN ACTE DE VENGEANCE »

Jean-François Bonhert est un magistrat affable aux allures débonnaires. À 13 h 30, quand la silhouette du chef du PNF se faufile jusqu’à l’estrade, les avocats de l’audience redressent la tête. Tous comprennent dans la seconde que sa présence ici aujourd’hui signifie que le parquet, malgré la prestation fougueuse de Sarkozy la veille, n’allait pas renoncer aux poursuites.

D’entrée, le chef du PNF met les points sur les « i », une réponse aux piques de l’ancien président à la barre, s’estimant « victime » d’un PNF « taillé sur mesure » pour « le traquer » : « Un procès, ce n’est pas un acte de vengeance », commence Jean-François Bonhert, qui revient longuement sur cette enquête préliminaire bis classée par le PNF qui, selon de nombreux avocats (Eric Dupont-Moretti en tête quand il n’était pas ministre), aurait parasité cette affaire Bismuth. « Jamais, assure le chef du parquet financier, le PNF n’est sorti des clous ». « On est bien loin des méthodes de barbouzes dont le parquet national financier n’a cessé d’être critiqué ces derniers mois, tonne-t-il. Le PNF est et restera un fidèle et exigeant serviteur de l’État de droit. »

Les avocats de la défense peuvent se tasser sur leur siège. Cette charge inaugurale contre les tirs de barrage qu’ils ont savamment réglé contre l’accusation, s’adresse à eux. Eux qui misent tout, depuis des mois, sur cette enquête préliminaire cachée qui aurait été déloyale et contiendrait « des éléments à décharge »...

SÉMANTIQUE DES ÉCOUTES

Jean Luc Blachon, le vice-procureur, peut reprendre le fil du dossier. Ce magistrat fluet au physique tranchant va s’employer à démontrer la « légalité des écoutes ». Sa démonstration juridique s’adresse au tribunal, qui prend des notes. Des heures durant, avec Céline Guillet, les deux procureurs reprennent une à une les écoutes Bismuth entre l’ancien président et son avocat. Ils en font la sémantique. En distillent le sens. Rien à voir pour eux avec de « simples bavardages entre amis », comme l’a plaidé l’ancien président.

« Pas de doute » pour le parquet, ces écoutes prouvent à elles seules, que Gilbert Azibert « trafique » de son influence à la Cour de cassation pour soutirer des informations à ses collègues dans le dossier des agendas de Nicolas Sarkozy. Pas de doute non plus que Gilbert Azibert tente d’influencer certains collègues. Pas de doute enfin qu’un « engagement » a été pris lors de cette écoute pivot de tout le dossier, celle du 5 février 2014, quand Thierry Herzog obtient la promesse de Nicolas Sarkozy, à quelques jours de l’audience de la Cour de cassation, d’aider Azibert pour son poste à Monaco.

CONTENU SECRET

Pour Céline Guillet, à la voix de scalpel, « Gilbert Azibert a trahi le secret du délibéré » qui règne à la Cour. Et alors que les trois prévenus se sont échinés à dire que cet ancien avocat général n’avait rien apporté à son ami Herzog autre que des ragots sans importance, les deux procureurs taillent cette version en pièces. Selon eux, Azibert leur procure non seulement l’avis de l’avocat général du dossier Bettencourt à la Cour de Cassation, mais il leur livre aussi le contenu de l’avis du rapporteur, « un contenu secret ». Il leur donne aussi la date des délibérés et même « les opinions de certains conseillers qui siègent à la chambre criminelle », glisse Céline Guillet.

L’enquête pourtant n’est pas parvenue à matérialiser ces « tuyaux », puisqu’aucun des douze magistrats de la chambre criminelle n’a admis avoir livré des informations à Azibert. « Mais pouvait-il en être autrement ? » avance Jean-Luc Blachon, persuadé que le seul contenu des écoutes Bismuth démontre le contraire.

"STRATÉGIE TROUBLE"

L’accusation aligne les tableaux, les recoupements dans les échanges, d’abord entre Herzog et Azibert, puis entre Herzog et Sarkozy. « De façon certaine, insiste Céline Guillet, Gilbert Azibert a bien donné des informations confidentielles à Thierry Herzog dans le but qu’il les donne à Nicolas Sarkozy. » Au passage, les deux procureurs admettent que dans les 145 conversations sur la ligne Bismuth, « ils n’ont pas tout compris ». « Et peut-être tant mieux, glisse Céline Guillet. Mais ce que nous avons compris c’est que la ligne Bismuth a servi à échafauder les stratégies les plus troubles. »

Elle en vient au cœur du sac de nœud : la contrepartie monégasque. Ce fameux « coup de pouce », dont a parlé Sarkozy la veille, le minimisant au rang de « milliers de coups de pouce » qu’il a pu rendre dans ses 40 ans de vie politique. « C’est cette promesse qui fait basculer ces comportements hautement problématiques d’un point de vue déontologiques dans un volet pénal », avance la procureure. Dans le dossier, rien ne prouve que l’ancien président ait soutenu la candidature de Gilbert Azibert. « Ce n’est pas la peine, l’infraction est constituée par la seule promesse de l’intervention », prévient le parquet.

MANQUE DE COOPÉRATION DE MONACO

Mais les deux procureurs vont revenir longuement sur le volet monégasque et de leurs réquisitions, c’est sans doute le passage le plus cinglant contre les trois prévenus. Selon eux, Azibert comprend, début 2014, que le poste de conseiller d’État à Monaco, qu’il convoite depuis deux ans, risque de lui échapper. Les procureurs ne croient pas une seconde, contrairement à ce que prétend l’ancien magistrat, que depuis son accident de santé de l’été 2013, il a renoncé à Monaco. « Une démarche a bien été décidée par Nicolas Sarkozy, assure Céline Guillet. Elle est même certainement intervenue. Elle a ensuite été camouflée, et même invalidée puisque Gilbert Azibert n’a pas eu le poste », assène-t-elle.

Autre désaccord absolu avec le camp Sarkozy, les raisons pour lesquelles Thierry Herzog, le 25 février 2014, descend précipitamment à Monaco pour parler avec son client, qui est alors en cure. À la barre, l’avocat et l’ancien président assurent qu’il s’agissait de discuter du dossier « Patrick Buisson ». « Un dossier qui était dans les journaux depuis plusieurs jours déjà et dont rien ne justifiait cette discussion secrète et subite », raille Céline Guillet. Cette visite « en urgence a tous les airs d’une opération de sauvetage in extremis parce que les écoutes Bismuth ont été éventées », grince-t-elle. « Nous ne savons pas qui a renseigné ce jour-là Thierry Herzog de ces écoutes, ni comment, mais cela ne veut pas dire que Thierry Herzog n’a pas été renseigné. » Pour le parquet c’est même une certitude. C’est l’arrêt du Bismuth qui déclenche la venue de Thierry Herzog à Monaco, puis cette écoute du lendemain, sur son téléphone normal, où les deux hommes parlent pour la première fois en clair d’Azibert. « J’ai réfléchi, je ne vais rien demander », dit Sarkozy à son client à propos du poste monégasque. Une conversation fictive de couverture, pour les procureurs.

CHARGE RUDE CONTRE SARKOZY

Autre tacle à la défense : le montant des honoraires prévus du poste à Monaco. Lundi, Nicolas Sarkozy, cherchant à relativiser le « coup de pouce », a évoqué un maigre salaire « 400 euros de plus par mois ». « Nous avons vérifié, siffle Céline Guillet, décidée à ne rien laisser passer. Il faut rajouter 300 euros par jour de présence à Monaco, plus environ 6000 euros par dossier traité, plus la prise en charge de chaque déplacement, et le logement dans un hôtel 4 étoiles de la principauté ». Les bancs de la défense grondent à nouveau mais encaissent encore.

Il revient à Jean-Luc Blachon de conclure. « Le PNF n’est pas là pour dégoupiller des destins individuels », prévient-il, « ce serait une faiblesse et un manquement aux devoirs de notre charge. » Mais il évoque un double « ébranlement » causé par cette affaire, mettant aux prises « des personnes ayant franchi les frontières de leur serment ». « La République n’oublie pas ses anciens présidents, qui font l’histoire, mais on ne peut pas admettre qu’un ancien président oublie la République et oublie l’État de droit », lâche-t-il dans un souffle. La charge est rude. Sur son fauteuil, Nicolas Sarkozy, jambes croisées, pied tremblant depuis le début de l’après-midi, ne bronche pas. « La probité de Gilbert Azibert s’est égarée », poursuit-il. Thierry Herzog, « l’avocat et auxiliaire de justice, s’est égaré lui aussi, en mauvais génie du dossier, s’affranchissant du serment de ses fonctions ». Les trois hommes « ont déchiré l’image de l’institution judiciaire, de la profession d’avocat, et de la fonction présidentielle que continuait d’incarner Nicolas Sarkozy », grince le parquet. « Ces faits se situent dans le haut du spectre de ce qui est possible en matière de corruption et de trafic d’influence », conclut le procureur avant de faire claquer les peines de prison ferme dans un silence de cathédrale.

S/MARIANE/Africsol

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