Le ministre de la Santé Olivier Véran en avait fait la promesse au début de l’été : les soignants contaminés par le Covid-19 obtiendraient la reconnaissance en maladie professionnelle. Et ils sont des dizaines de milliers à avoir contracté le coronavirus en soignant leurs patients, que ce soit en unité Covid, aux urgences, en Ehpad ou en médecine de ville. A leur tour, ils ont subi la fatigue intense, les douleurs ou encore les difficultés respiratoires propres à cette maladie encore inconnue il y a quelques mois.

Certains soignants ont même perdu la vie et de nombreux autres ressentent encore des effets au long cours du Covid-19 plusieurs mois après leur contamination. Alors, beaucoup espèrent se voir reconnaître leur Covid-19 en maladie professionnelle et ainsi bénéficier d’une prise en charge plus complète. Un décret publié le 14 septembre au Journal officiel définit ainsi les critères permettant d’obtenir une reconnaissance automatique du coronavirus en maladie professionnelle. Mais en pratique, les critères retenus rendent cette reconnaissance très difficile à obtenir.

Des critères très restrictifs pour obtenir la reconnaissance automatique

Conformément au décret, ne peuvent bénéficier de la reconnaissance automatique en maladie professionnelle que les soignants ayant souffert d'« affections respiratoires aiguës causées par une infection au SARS-CoV2, (…) et ayant nécessité une oxygénothérapie ou toute autre forme d’assistance ventilatoire, attestée par des comptes rendus médicaux, ou ayant entraîné le décès ». En clair, seuls les soignants ayant développé les formes les plus sévères du coronavirus sont concernés.

« C’est ignoble, s’insurge Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). On a été contaminés par la faute du gouvernement. Faut-il rappeler que l’on n’avait pas de masques, pas de surblouses, que l’on a travaillé avec des sacs-poubelle sur le dos ? Et là, on nous dénie ce droit à la reconnaissance en maladie professionnelle ! C’est vraiment une gifle ». Un sentiment partagé par Ludovic Boillon, référent santé du syndicat FO : « On nous a dit que nous étions en guerre, on s’est mobilisés au péril de notre propre santé pour voir qu’aujourd’hui encore, le gouvernement se moque de nous ».

« Tout est fait pour ne pas accorder cette reconnaissance automatique »

Selon un recensement effectué par Santé publique France, à ce jour, environ 31.000 soignants hospitaliers ont contracté le Covid-19. « Dans le détail, les infirmiers (28 % des cas) et les aides-soignants (23 %) sont les professions les plus touchées par les contaminations au coronavirus et ce décompte exclut les soignants de ville, souligne Thierry Amouroux. Mais surtout, le décret exclut 98 % des soignants contaminés de cette reconnaissance automatique. C’est de la maltraitance institutionnelle, cela nous laisse dans la désillusion et la colère, parce qu’on s’est donné sans compter et là, le gouvernement mégote sur nos droits, on ne peut pas faire plus bas ».

A y regarder de plus près, « ce tableau des critères de reconnaissance automatique du Covid-19 comme maladie professionnelle pour les soignants tel qu’il a été établi dans le décret est extrêmement restrictif, observe Me Eric Rocheblave, avocat spécialiste du droit du travail et du droit de la Sécurité sociale. Le critère du placement sous oxygénothérapie ne concerne qu’une infinité de malades du coronavirus. D’autant que l’amélioration constante de la prise en charge thérapeutique des patients tend à réduire encore plus le recours à l’oxygénothérapie. La définition très restrictive retenue par ce décret n’est pas corrélée avec la réalité de la maladie, note l’avocat. Le but du jeu est qu’il y ait le moins possible de reconnaissances en maladie professionnelle qui soient automatiquement accordées ». « C’est exactement ça : tout est fait pour empêcher au maximum les soignants d’obtenir cette reconnaissance », abonde Ludovic Boillon.

Pourquoi restreindre autant l’accès à cette reconnaissance automatique ? « Obtenir la reconnaissance en maladie professionnelle assimile le coronavirus à un accident du travail : le salarié est alors protégé et des droits spécifiques lui sont ouverts : la durée de sa prise en charge et le montant de ses indemnités journalières ne seront pas les mêmes, décrypte Me Rocheblave, et tous les frais de santé afférents à la maladie professionnelle seront entièrement couverts, rien ne sera à la charge du soignant contaminé ».

Et ce n’est pas tout : « Le salarié ou agent public bénéficiant de cette reconnaissance en maladie professionnelle pourra ensuite rechercher la faute inexcusable de l’employeur en faisant la démonstration qu’il ne l’a pas suffisamment protégé, ajoute l’avocat. Ce qui est typiquement le cas des soignants de la première vague qui n’avaient pas l’équipement nécessaire de protection. Dans ce cas, l’employeur peut potentiellement être considéré comme fautif parce que s’il n’a pas mis tout en œuvre pour assurer la sécurité de ses agents ou salariés : il a manqué à son obligation de moyens renforcés ». L’engagement de la faute inexcusable de l’employeur « ouvre au salarié des droits à une indemnisation liée à cette faute, complète Me Rocheblave. Forcément, tout est fait pour restreindre l’accès à cette reconnaissance automatique pour ne pas agrandir le trou de la Sécurité sociale ».

Un parcours du combattant

Dès lors, « tous les soignants souffrant de Covid persistant, qui ont généralement fait des formes jugées peu graves du coronavirus, mais qui endurent des effets secondaires et des séquelles à longs termes sont exclus de la reconnaissance automatique en maladie professionnelle, dénoncent de concert Thierry Amouroux et Ludovic Boillon. Pour eux, c’est le parcours du combattant qui s’annonce ». « Au risque de voir leurs droits réduits, ce qui est dommageable », commente Me Rocheblave. Or, « on ignore encore quelle sera l’évolution au long cours des cas de Covid persistant, l’évolution des séquelles, c’est pour cela que la reconnaissance en maladie professionnelle est capitale », insistent Ludovic Boillon et Thierry Amouroux.

Pour tous ces soignants qui ont développé une forme jugée peu sévère du Covid-19, il faudra en passer par une demande classique de reconnaissance en maladie professionnelle. « Ce n’est pas parce que l’on ne rentre pas dans les critères du tableau de maladie professionnelle que l’on ne peut pas obtenir cette reconnaissance, rassure Me Rocheblave. Mais dans un parcours de demande classique, on ne bénéficie pas de la présomption automatique de reconnaissance. Les démarches sont plus difficiles et plus longues. Il faut saisir une commission régionale de reconnaissance en maladie professionnelle. C’est plus compliqué parce que l’on doit rapporter la preuve que l’on a été exposé au Covid-19 dans l’exercice de ces fonctions, que c’est dans ce cadre qu’on l’a contracté et que cela a entraîné une dégradation de son état de santé. Et les délais peuvent être très longs : des mois au minimum, voire jusqu’à quatre à cinq ans si la procédure passe au contentieux », indique-t-il.

Infirmier intérimaire, Jean-François a contracté le coronavirus durant la première vague, au mois de mars. « J’étais en mission au service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat à Paris, en plein dans l’œil du cyclone, et sans masques FFP2. J’ai 'ailleurs appris par la suite que presque tous mes collègues du service avaient contracté le Covid-19 ». Arrêté quinze jours, Jean-François a ensuite repris le travail et connaît régulièrement depuis sa contamination des épisodes de fatigue intense. Sur les conseils de son médecin, il a entrepris il y a quelques mois les démarches auprès de l’Assurance maladie pour obtenir la reconnaissance de son coronavirus en maladie professionnelle. « Mais à ce jour, je n’ai eu aucun retour, j’ai relancé, on m’a simplement répondu que mon dossier était à l’étude, mais je n’ai aucune idée des délais dans lesquels j’aurai une réponse et je ne sais pas du tout si j’obtiendrai cette reconnaissance ».

S/20M/Africsol

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