Seize ans après le bombardement de Bouaké, qui a tué neuf soldats français en Côte d'Ivoire, les familles des victimes attendent toujours des réponses sur les commanditaires. Entendu à la barre, le général Henri Poncet a nié la responsabilité de la France.

Depuis plus de seize longues années, au gré des hauts et des bas d'une procédure sans fin et progressant péniblement en terrain miné, les familles des victimes attendaient des réponses. Et celle-ci notamment : le 6 novembre 2004, qui a donné l'ordre aux deux mercenaires biélorusses montés à bord de deux Sukhoï-25 de l'armée ivoirienne de lâcher leurs bombes sur le lycée Descartes de Bouaké, QG de la Force Licorne ?

Des explications, les parents des neuf soldats français tués ce jour-là en ont désormais quelques-unes, que l'on n'ose imaginer préparées de concert entre d'anciens ministres de la Chiraquie ou entre de hauts responsables de l'armée. Les premiers sont à la barre ce lundi et mardi. Les autres, et notamment le général Henri Poncet, l'ancien chef de Licorne précisément, y sont déjà passés.

Ceux, peu nombreux il est vrai, qui escomptaient de la part de ce dernier une version embarrassante sur le rôle des autorités françaises de l'époque en ont été pour leurs frais. Les vérités de cet homme « droit dans ses bottes », militaire un jour-militaire toujours, bien que rendu à la vie civile depuis 2007, préservent l'essentiel : non, a-t-il soutenu, il n'y a eu aucun complot tordu ourdi au sommet de l'État français pour se débarrasser de Laurent Gbagbo. « Si on avait voulu le renverser ou lui tendre un piège on s'y serait sans doute pris autrement. »

Retour donc à une lecture accablant avant tout le régime de l'ancien président, soumis à l'époque aux accords de paix de Marcoussis imposés un an plus tôt par la France mais lancé dans une tentative de reconquête du nord du pays passé sous la coupe de divers groupes rebelles. L'offensive des forces loyalistes ayant échoué, dans une sorte de fuite en avant, les durs du clan Gbagbo auraient alors décidé de frapper la France, sans d'ailleurs prévenir celui-ci. Est-ce crédible ? En tout cas Poncet a le nom des responsables, bien sûr les auteurs physiques du raid jugés par contumace, Youri Souchkine et les deux copilotes ivoiriens, jamais entendus et jamais inquiétés. Mais surtout ceux des supposés commanditaires. « Le colonel Mangou qui dirigeait les opérations sur le terrain et son adjoint de l’armée de l’air, Séka Yapo. Autour d’eux, il y avait les radicaux rassemblés autour de Simone Gbagbo, le conseiller Défense Kadet Bertin, le président de l’Assemblée nationale Koulibaly et celui du FPI (Front populaire ivoirien le parti de Gbagbo) Affi N'Guessan, identifiés comme des extrémistes en termes de résolution de cette crise. »

LES AUTEURS DE L'ATTAQUE LAISSÉS EN LIBERTÉ

À l'image de nombreux témoins entendus par les quatre juges successifs en charge de l'affaire, le général a dédouané Gbagbo, probablement mis devant le fait accompli, mais s'en est pris durement à l'opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI). Ou plutôt à ceux qui la chapeautaient au siège de l'organisation à New York. Informés, selon lui, des risques de chaos liés à l'offensive anti-rebelle menée par l'armée ivoirienne, prisonniers autant qu'acteur de la lourdeur bureaucratique du « machin » comme le qualifiait De Gaulle, ils ont laissé faire. Avec au bout du compte le dénouement tragique de Bouaké.

Il reste désormais une petite semaine aux familles pour être pareillement éclairées - ou pas plus - sur l'autre interrogation au cœur du procès et que leur avocat historique, Me Jean Balan, n'a cessé de porter malgré la solide omerta l'entourant : pourquoi la France a-t-elle délibérément choisi de ne pas récupérer les auteurs de l'attaque ?

"NOUS AVONS REÇU L’ORDRE DE NE RIEN FAIRE"

Le scénario, tout le monde ou presque le connaît dans la salle : une fois leur forfait commis et de retour à l'aéroport de Yamassoukro en compagnie de leurs deux copilotes ivoiriens, Barys Smahine et Youri Souchkine les pilotes biélorusses, seront détenus pendant quatre jours par les militaires français, à peine interrogés avant d'être exfiltrés vers le Ghana puis le Togo en compagnie de leurs assistants, de pseudos techniciens agricoles. Arrêtés à la frontière où les attendaient la secrétaire du marchand d'armes et un ex-agent des services français Robert Montoya, ils auraient pu alors être mis à la disposition de Paris.

Le ministre togolais de l'Intérieur, François Boko, fera tout son possible pour qu'il en soit ainsi. Convaincu, grâce à divers éléments de preuves, qu'il s'agissait bien des auteurs de l'attentat de Bouaké et de leurs complices, il alertera tous les fonctionnaires français locaux concernés, entre autres le représentant de la DGSE et l'attaché de sécurité intérieur. Entendu au procès en visioconférence, François Boko a redit son étonnement face aux réponses lapidaires de ses interlocuteurs de l'époque : « Nous avons reçu l’ordre de ne rien faire, Paris n’est pas intéressé par ces Biélorusses ». Avant d'ajouter : « Dans cette fonction, on en voit des vertes et des pas mûres, on n’est pas à une contradiction près ».

L'audition, la semaine dernière, des dits fonctionnaires et de certains de leurs supérieurs, tel Pierre Brochand, l'ancien patron de la DGSE, n'a pas réellement permis de comprendre la nature de ces « contradictions » ayant finalement abouti à la libération des Biélorusses. Insouciance, incompétence, ratés dans la transmission des informations ou crainte de s'engager dans un processus que personne ne maîtrisait complètement ? Pour un des magistrats de l'instruction, Sabine Khéris, trois ministres de l'époque, Michèle Alliot-Marie (Défense), Dominique de Villepin (Intérieur) et Michel Barnier (Affaires Étrangères) auraient dû s'en expliquer devant la Cour de Justice de la République (CJR). Sa demande sera rejetée et c'est en simples témoins que les intéressés s'adresseront à la Cour d'Assises. Ils n'y risquent a priori pas grand-chose.

S/MARIANNE/Afric'sol

 

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