Après la folle audience de mercredi, les débats se sont calmés jeudi. Autant Gilbert Azibert a crispé la salle, autant Thierry Herzog, l’avocat de l’ancien président, qu’il appelle "le Sphinx" sur les écoutes, a torpillé l’accusation avec calme.

Il bondit de sa chaise à chaque suspension de séance. Comme un ressort libéré. Tout au long des débats, assis sans avoir la parole, il a l’air de souffrir, dépliant et repliant ses jambes et consultant sa montre. Mais pendant les pauses, la vie revient. Mains dans les poches, ou dans le dos, Nicolas Sarkozy arpente la salle d’audience de long en large. Mercredi, il congratulait une policière, posant sa main sur l’épaule, à l’en faire rougir. Ce jeudi, il fait rire aux éclats les deux greffières. Puis il bavarde avec le dessinateur de l’audience, le félicite pour ses croquis, y compris celui où il a l’air d’être en état d’arrestation entre deux molosses. L’ancien président papote aussi avec les journalistes, y compris celui de Mediapart. Il passe de l’un à l’autre dans sa démarche inimitable. Même de dos, impossible de le rater. Sarkozy ne marche pas, il chaloupe. Il oscille en avançant comme se balance un mât de bateau agité par le clapot. Dans cette salle d’audience quasi comble malgré le covid, son masque sous le nez, il déambule la tête innocente et les yeux en amande. Mais ses yeux se plissent quand il revient vers ses troupes. Au milieu de ses fidèles, son visage change. À un signe de lui, un cercle serré se forme. Alors Nicolas Sarkozy ne badine plus, il commande. Il y a là les avocats de la défense, ses communicants, l’ancien préfet affecté à son cabinet, ses officiers de sécurité, et bien sûr son avocat, aujourd’hui son co prévenu, Thierry Herzog.

Ce jeudi 3 novembre, le pack autour de Sarkozy a grossi. Une vingtaine de robes noires, des pénalistes, sont venus assister à cette audience, celle où Thierry Herzog va devoir s’expliquer en civil à la barre. Ce n’est pas seulement un club, ce n’est pas non plus un groupe de collègues, c’est une famille. Des frères d’arme du barreau venus soutenir l’un des leurs. Ils attendent cette heure depuis des mois…

AZIBERT, UNE GRANDE CAPACITÉ À SE RENDRE ANTIPATHIQUE

À la reprise des débats, en début d’après-midi, l’ambiance de la folle audience de la veille est retombée. À l’ouverture, la parole est au parquet, qui doit terminer de questionner Gilbert Azibert. Cette fois, les avocats de la défense ont rangé les couteaux. Ils sont plongés dans leur dossier et laissent filer sans l’interrompre les questions de la procureure Céline Guillet.

À la barre, Gilbert Azibert, à contretemps des autres, continue ses piques. Il accuse la procureur « de ne pas avoir écouté », ou de n’avoir « rien compris ». Ses remarques déplacées autant qu’inutiles tombent dans le vide. Gilbert Azibert, ancien haut magistrat de la Cour de cassation, qui pendant 40 ans a jugé les autres, n’a à l’évidence aucune intelligence de l’audience, mais en revanche une grande capacité à se rendre antipathique. « Si ça continue, je vais demander une suspension d’audience », grince-t-il, lui qui trouve « inutile et superfétatoire de répondre ». Céline Guillet encaisse sans broncher. « Tirez les conclusions que vous voulez en tirer », s’énerve le pagnolesque Azibert, qui peine à expliquer pourquoi Thierry Herzog a demandé un coup de pouce à Nicolas Sarkozy pour lui obtenir un poste à Monaco. « Je n’ai aucun commentaire à faire sur les propos du président Sarkozy avec mon ami Thierry Herzog, cela ne me concerne pas », se ferme le magistrat, taclant en conclusion « l’ignorance du parquet » sur ses motifs de mise en examen. Sèchement, le procureur Jean-Luc Blachon, lui donne rendez-vous pour ses réquisitions : « Vous verrez, M. Azibert, que vous n’êtes pas si bon juriste que vous le prétendez ». Le professeur Azibert se rassoit. Il a perdu plusieurs occasions de se taire.

À FLEUR DE PEAU

C’est à la défense de Thierry Herzog de monter en ligne. Elle a fait citer Henri Leclerc. À 86 ans, l’avocat de la Ligue des droits de l’homme est une figure respectée du barreau de Paris. Un Badinter qui ne serait jamais devenu ministre. Leclerc s’installe au micro pour un long monologue sur le secret qui doit exister, selon lui, entre l’avocat et son client. « Si vous voulez une défense, il faut qu’il y ait un secret », lance-t-il aux juges de ce dossier, tout entier construit sur des écoutes entre l’ancien président et son défenseur. La salle l’écoute dans un silence qui tranche avec le tumulte de la veille et les piques d’Azibert. Henri Leclerc n’a pas besoin d'élever la voix pour se faire entendre, même au moment de conclure, dans un souffle : « On ne m’a pas demandé de le dire, mais je ne peux pas être à votre barre sans dire que j’ai de l’estime pour mon confrère Thierry Herzog ».

L’avocat de ce dernier, Hervé Temime, se lève. Sa voix est nouée : « Je voudrais, en mon nom personnel mais aussi au nom de tous les avocats, vous dire l’immense admiration que nous avons pour vous et la gratitude infinie pour ce que vous avez fait pour la justice ». Temime a terminé sa phrase en accélérant, rattrapé par sa propre émotion, les larmes montantes. C’est dire, dans ce procès à fleur de peau, si des enjeux invisibles dépassent de loin les ingrédients de ce dossier mal fagoté.

"JE N’AI COMMIS AUCUNE CORRUPTION"

Thierry Herzog s’approche du micro comme on monte sur un parapet de tranchée. Prêt à en découdre. Pour la première fois depuis 40 ans qu’il arpente tous les tribunaux de France, il n’est pas en noir mais en costume. « J’ai une déclaration à faire », demande-t-il à la présidente Mée. « Je voudrais vous dire que j’ai consacré ma vie au métier d’avocat. Ce qui est aujourd’hui pour moi une épreuve est atténué par les soutiens que j’ai reçus de plusieurs milliers d’avocats… et le fait qu’Henri Leclerc ait eu ces mots est pour moi un réconfort », commence-t-il. La voix est claire, mais l’émotion transpire. « Je veux être jugé pour ce que j’ai fait, c’est à dire rien. Je n’ai commis aucune infraction. Je n’ai commis aucune violation du secret professionnel. Je n’ai commis aucune corruption. Je n’ai commis aucun trafic d’influence. »

Herzog est sur ses rails. Il connaît l’affaire par cœur. Sans note, il récite des cotes, des dates, des citations complètes… « Je ne demande rien, je demande à être jugé au vu de ce dossier », dit-il à la présidente. L’avocat est interrogé sur ses relations avec Gilbert Azibert. « Nous avions des atomes crochus ». Thierry Herzog raconte ses débuts, à la fin des années 70, auprès du ténor du barreau Jean-Louis Pelletier et cette époque du vieux palais de justice de l’île de la Cité où les avocats pouvaient débouler dans les bureaux des juges et discuter des dossiers. « Gilbert Azibert était passionné de politique pénale, moi aussi, nous sommes devenus amis ».

"NICOLAS SARKOZY EST QUELQU’UN QUI VEUT TOUJOURS GAGNER"

Concernant le dossier qui intéresse le tribunal aujourd'hui, le pourvoi de Nicolas Sarkozy devant la Cour de cassation dans l’affaire Bettencourt, Thierry Herzog tient à le replacer dans le contexte. En 2013, après avoir été mis en examen puis blanchi dans cette enquête, l’ancien président veut récupérer ses agendas qui avaient été saisis durant l’instruction. « Plus exactement, précise Thierry Herzog, il veut que les mentions de ses agendas dans le dossier Bettencourt soient effacées.» C’est une bataille juridique complexe qui s’annonce. Comme Nicolas Sarkozy a bénéficié d’un non-lieu, il ne fait plus partie de la procédure et ne peut théoriquement plus faire la moindre demande. « La question s’est donc posée de savoir si oui ou non nous faisions ce pourvoi en cassation dans l’affaire Bettencourt », raconte Thierry Herzog. « Nicolas Sarkozy est quelqu’un d’obstiné, qui veut toujours gagner, et qui croit dans la justice, nous avons décidé de le lancer

Pour l’accusation, entre décembre 2013 et mars 2014, Gilbert Azibert, alors magistrat à la chambre civile de la Cour, aurait alors tenté d’espionner et d’influencer des collègues de la chambre criminelle, dans un but favorable aux demandes de la défense Sarkozy. Thierry Herzog explique que pour que la chambre criminelle leur donne raison, il fallait qu’elle commence par inverser toute sa jurisprudence… L’avocat connaît chaque recoin de l’affaire sur le bout des doigts. Remet en place la chronologie. Ce n’est pas Gilbert Azibert qui l’informe de chaque étape, mais Me Patrice Spinosi, l’avocat spécialisé auprès de la Cour de cassation. Certes, il lui arrive de « bavarder » avec son ami Azibert, mais de généralités.

"LE PRÉSIDENT SARKOZY, C'EST UN FRÈRE"

Au fil des explications, le dossier d’accusation rétrécit. « Entre le 10 et le 29 janvier, mes téléphones le prouvent, je n’ai eu aucun contact avec Gilbert Azibert », tonne Herzog. C’est lui au contraire qui informe le magistrat, le 29 puis le 30 janvier, des nouveaux éléments qui lui arrivent de la Cour de cassation. En clair, à entendre Herzog, non seulement Azibert n’a rien influencé  (d’autant qu’au final la Cour a estimé que la demande de Nicolas Sarkozy était irrecevable), mais n’a glané aucune information confidentielle. La présidente est à bout de question et suspend l’audience. L’ancien président vient congratuler son avocat comme un coach à la mi-temps.

À la reprise, Thierry Herzog est interrogé sur son « relationnel avec Nicolas Sarkozy ». Ils se sont connus à leurs débuts d’avocat, puis sont devenus amis. « Pour moi, le président Sarkozy fait partie de la famille, c’est un frère », dit Herzog. En 2006 se noue entre eux une nouvelle relation : « Nicolas Sarkozy était au ministère de l’Intérieur et m’a appelé pour me demander de me constituer partie civile dans l’affaire Clearstream », ce dossier dans lequel un corbeau l’accusait de posséder des comptes occultes à l’étranger. Thierry Herzog devient alors « l’avocat du président ». Les dossiers vont s’accumuler, sans relâche. Bettencourt, Bygmalion, la Libye. Ironie des choses, ce pourvoi en cassation Bettencourt, une queue de comète de l’affaire initiale, était un épisode subalterne de toute une saga…

UN  ÉTRANGE DÉPLACEMENT À MONACO

Questionné par la présidente, Thierry Herzog s’explique sur les téléphones « Bismuth » et cette nécessité, selon lui, d’équiper son client de lignes sûres à l’abri des écoutes. Il relève 150 échanges entre eux entre janvier et avril 2013. Plus de deux fois par jour… « C’était pour pouvoir discuter de nos stratégies de défense. Je ne pouvais pas me rendre tous les jours dans ses bureaux, ni lui venir dans les miens incognito. Mais j’affirme solennellement que je n’ai jamais bénéficié d’une information privilégiée sur les écoutes judiciaires et pas davantage sur les Bismuth », jure l’avocat.

L’accusation le soupçonne pourtant d’avoir quitté Paris précipitamment le 25 février 2014, prévenu par une fuite que les Bismuth étaient sur écoute. Selon le parquet national financier, ce jour-là Thierry Herzog fonce à Monaco où Nicolas Sarkozy est en vacances, pour le prévenir non seulement de ne plus utiliser leur ligne clandestine, mais aussi de ne pas intervenir pour le poste à Monaco promis à Azibert. À la barre, Herzog s’explique par étapes sur ce terrain miné  : d’abord, il avance que ce 25 février, il se rend bien à Monaco pour discuter avec Sarkozy non pas des Bismuth, mais d’une plainte à déposer contre son ancien 

conseiller Patrick Buisson. C’est un « hasard absolu » selon lui, « Nicolas Sarkozy étant en villégiature à Monaco », de lui avoir demandé un coup de pouce pour son ami Gilbert. Le lendemain, cette fois sur son téléphone normal, Nicolas Sarkozy dit à Thierry Herzog qu’il n’a pas « senti » de parler de la candidature Azibert à son contact au sein de la Principauté. Pour l’accusation, ce coup de fil est au contraire la preuve que les Bismuth ont été percés… Thierry Herzog dément.

COMME L'ÉCRIVAIT EDWY PLENEL

Il jure que cette démarche envisagée en faveur d’Azibert « n’est en rien une contrepartie ou un remerciement, mais juste un service ». Sur le papier, ses explications se tiennent, dans une logique inverse de celle de l’accusation, fondée sur les écoutes Bismuth, sur lesquelles Thierry Herzog refuse de s’expliquer, les estimant couvertes par le secret des conversations avec son client. Mais sur une écoute avec Azibert, Herzog lui dit que « la démarche à Monaco a été faite », avant de le prévenir « qu’on été obligé de dire autre chose » Christine Mée l’interroge sur ces propos incohérents avec le reste de son récit. Ironique, Thierry Herzog répond en citant Edwy Plenel, le fondateur de Mediapart, bête noire des sarkozystes. Dans son livre, Les mots volés, écrit à la suite des écoutes dont il avait été la cible quand il était journaliste au Monde, Penel dénonce la pratique des écoutes où chacun « pense tout haut », et « parle trop vite ». Il y fait le « cauchemar d’être jugé par des juges austères brandissant des liasses d’écoutes »  Dans la salle, les robes noires se gondolent. « Pour revenir à votre question, conclut Thierry Herzog, oui, j’ai menti à Azibert en lui disant que la démarche avait été faite. Je comptais lui expliquer ensuite de vive voix. »

Le parquet national financier devra attendre lundi pour poser ses questions à « l’avocat du président ». Puis le « Sphinx » comme l’appelle Thierry Herzog sur les écoutes, aura la parole. « Carole 1 », c’est aussi son nom de code sur les ondes des policiers du palais de justice, sera interrogé en bouquet final de ce procès rocambolesque.

S/MARIANNE/AFRICSOL

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