Elle se taisait depuis toujours. Monique Olivier, la femme de Michel Fourniret, a finalement avoué, ce 1er avril, que la petite Estelle Mouzin avait été séquestrée, violée et tuée dans la maison de Ville-sur-Lumes (Ardennes). Combien d’autres secrets détient encore celle avec qui Fourniret s’est initié au crime, en 1987 ? Un couple hors norme, diabolique, et uni pour le pire… Récit.

La vérité, enfin. Dix-huit ans après, dix-huit ans de temps perdu… Pour les parents de la petite Estelle Mouzin, le temps s’est arrêté ce 9 janvier 2003 à Guermantes, une petite ville de Seine-et-Marne, à l’Est de Paris, qui a poussé comme un champignon autour de ce château de la famille Guermantes, chère à Proust…

À la sortie du bourg, le long de la départementale qui file plein Est vers les champs, un petit parking fait face à une boulangerie et quelques boutiques. C’est là, au milieu des voitures, que début janvier 2003, Michel Fourniret a garé sa camionnette blanche. Il chasse. Et guette ses proies des jours durant.

« C’est le tueur en série français le plus abouti, le plus accompli. »

Ce 9 janvier 2003, malgré la neige qui est tombée et rend les routes glissantes, il sait qu’il en a trouvé une. De retour de l’école, Estelle Mouzin, 9 ans, passe tous les jours devant la boulangerie, longe le parking, traverse la départementale et rejoint le pavillon de son père. Elle quitte l’école en compagnie d’une amie, puis dans les 300 derniers mètres, elle est seule. Fourniret l’a repérée. « Un beau petit sujet », a-t-il dit à Monique Olivier qui l’attend dans leur propriété de Sart-Custinne en Belgique.

En prévision de ce qui va suivre, le tueur en série a assigné à son épouse une mission. Ce 9 janvier autour de 20 heures, Monique Olivier doit passer un coup de fil à Selim, le fils de Fourniret, dont c’est l'anniversaire. Monique Olivier s’exécute, sachant parfaitement à quoi elle participe : à la fabrication d’un faux alibi. La voilà complice. Comme toujours depuis 1987 et leur premier crime. Une chose est sûre, en janvier 2003, quand Estelle Mouzin monte dans sa camionnette, Fourniret assassine déjà depuis seize ans. « C’est le tueur en série français le plus abouti, le plus accompli, parce que c’est probablement celui qui a pu déployer sa réalisation aussi longtemps… sans se faire prendre », confie l'expert-psychiatre Daniel Zagury à Marianne.

Ce 9 janvier 2003, la porte de la camionnette blanche se referme sur la petite fille au pull rouge dont la France entière va bientôt connaître le visage d’ange.

« J’ai cru que j’allais tomber dans les pommes quand il s’est mis à parler de ses victimes avec adoration. »

À Guermantes, la nuit est tombée. Personne n’a rien vu. Fourniret a su s’y prendre pour berner la fillette. Il a aussi eu de la chance. Même la neige ne gardera aucune trace du rapt. Les policiers, faute d’indice, dupés par le faux alibi du coup de fil, se casseront les dents pendant des années dans ce qui aura été une des plus importantes enquêtes criminelles françaises. Même les satellites de la Nasa, survolant Eurodisney pas loin auront été mis à contribution. En vain. Des centaines de milliers d’appels téléphoniques reliés aux bornes des environs seront épluchés. En vain.

Ce soir-là, Fourniret, sans portable à son nom, file ni vu ni connu en direction de Ville-sur-Lumes dans les Ardennes. Via l’A4, puis Reims l’A34, 208 km. Sur les hauteurs de ce village austère, un discret pavillon blanc l’attend. C’est l’ancienne maison de sa sœur décédée. Le rez-de-chaussée donne sur le garage, puis quelques marches à droite permettent de rejoindre l’étage. En 2003, une haute haie de thuyas cache entièrement la maison depuis la rue. Fourniret rentre sa camionnette blanche dans le garage. Estelle Mouzin n’en ressortira jamais vivante.

En 2007, Daniel Zagury a expertisé le couple Fourniret. Il garde de lui des souvenirs douloureux : « Fourniret est un bloc de granit terrifiant, liquéfiant. Une fois, dans mes deux rencontres avec lui, j’ai cru que j’allais tomber dans les pommes quand il s’est mis à parler de ses victimes avec adoration… » se souvient l’expert. Ce psy de grand renom, consulté dans de très nombreuses affaires criminelles, se refuse à parler de « monstre ». Une terminologie de journaliste. Mais décrit un être dénué de la moindre molécule de culpabilité et comme jouissant à l’infini de ses crimes monstrueux : « Fourniret appelait ses victimes des "membranes sur pattes" puisqu’il recherchait leur virginité. Il était taraudé, disait-il dans sa langue chirurgicale terrifiante, par le mystère de la virginité. Son scénario c’était le passage du sublime au sordide, décrypte le psychiatre. S’il n’avait pas été interpellé, parce qu’une fillette s’est échappée de sa camionnette en Belgique, il ne se serait probablement jamais arrêté de tuer de lui-même. »

Comme si dans les secrets les plus sombres partagés par ce couple, des limites obscures ne devaient pas être franchies.

Monique Olivier entre en scène en 1986. Fourniret, incarcéré à Fleury-Mérogis pour des viols a passé une annonce dans Le Pèlerin pour des échanges épistolaires. Au fil de leurs correspondances, par un hasard machiavélique, ces deux-là se trouvent. Un pacte se noue par écrit. Pour Me Seban, « c’est elle, le deus ex machina de Fourniret. C’est elle qui a fait ce qu’il est devenu ». L’avocat parle de « tueurs à quatre mains ». « Avec elle, j’ai le souvenir, d’une femme plaintive, au physique ordinaire, tassée, pas spécialement intelligente… Elle était dans une posture de victime de la vie en général et de Fourniret », raconte Daniel Zagury.

Me Didier Seban se souvient d’une scène terrible lors d’une reconstitution, en présence de juges et enquêteurs : « Elle a dit quelque chose qui lui a déplu, à propos d’attouchements post mortem qu’aurait pratiqués Fourniret sur une victime et ça l’a mis aussitôt dans un état de rage ». Comme si dans les secrets les plus sombres partagés par ce couple, des limites obscures ne devaient pas être franchies. « Brutalement, Fourniret l’a aussitôt menacée de divulguer des choses, poursuit Me Seban. Elle a répliqué qu’elle aussi pouvait en divulguer, et cela en est resté là… » Mais l’espace d’un échange, l’avocat et les autres spectateurs de la scène ont pu mesurer l’intensité du rapport de force entre ces deux personnages. « Elle lui a fait la courte échelle à sa sortie de prison, c’est elle qui lui a permis de passer du viol aux crimes », estime Daniel Zagury.

En 1987, lors de leur première « association », Monique Olivier conduit la voiture et s’arrête pour faire monter Isabelle Laville… Fourniret la violera et la tuera. Quelle fillette s’inquiéterait de monter dans la voiture conduite par une mère de famille ? « Autant on admet volontiers la perversité masculine, autant on a du mal à concevoir une telle perversité chez une femme, c’est lié à l’idéalisation de l’image maternelle », analyse Daniel Zagury.

« C’est la grande faute de la police d’avoir pensé que, comme Fourniret était un pervers, il ne fallait pas l’écouter. »

Dans la perversité aussi, Monique Olivier atteint des sommets. Concrètement, il lui arrive aussi de devoir stimuler sexuellement Fourniret avant qu’il viole une de ses victimes… « Entre eux, il y a la force de ce pacte d’amour sordide qui les lie », estime Daniel Zagury : « Grâce à lui, elle sort de sa posture de victime, et en contrepartie, elle va travailler dix-sept ans à son service ». Pour le psychiatre, « Monique Olivier n’est pas, au sens strict, une tueuse en série : elle cherchait un homme capable de la venger des autres hommes qui l’avaient fait souffrir, son père, ses frères, le type dont elle disait avoir été abusée, son mari… Avec Fourniret, elle trouvait son costaud, son "Lino Ventura", comme il le prétendait. » Le pacte tiendra des décennies. Concernant Estelle Mouzin, dix-huit ans… Et pour combien d’autres tient-il encore ?

C’est devant une codétenue, une Serbe, Milicia Petrovic, que Monique Olivier, en 2015, va laisser filer une première parcelle de vérité. Dans leur cellule de la prison de Rennes, elle lui glisse que pour la petite Mouzin « elle a servi d’alibi ». Milicia Petrovic prévient la police. Monique Olivier est entendue et dément… Un premier rendez-vous raté. « De toute façon, les policiers en charge de l’affaire Mouzin étaient persuadés que ce n’était pas Fourniret », se désole Me Seban. Tout comme l’avocat déplore que le tueur en série n’ait jamais été pris au pied de la lettre : « C’est la grande faute de la police dans cette affaire, d’avoir pensé que comme Fourniret était un pervers, il ne fallait pas l’écouter. En fait, Fourniret a toujours placé dans ses récits des petits cailloux blancs, comme des parcelles de vérité qu’il aurait fallu entendre… » Comme la fois où il a déclaré qu’il avait tué « deux fois par an ». « Je pense qu’il disait la vérité », glisse Me Seban, ouvrant la possibilité de dizaines de crimes…

En 2018, Me Didier Seban dépose au nom des Mouzin une plainte contre l’État pour « faute lourde », dénonçant le fiasco des investigations policières et judiciaires. Il est vrai que face aux tueurs en série, la justice française n’a toujours pas pris la mesure des changements qu’elle devait opérer. Bien sûr, à Charleville-Mézières, Fourniret a été condamné à la perpétuité incompressible pour sept meurtres, mais de combien d’autres est-il responsable ? La plupart des enquêtes sur les victimes potentielles de « l’Ogre des Ardennes » sont toujours disséminées dans plusieurs tribunaux, aux mains de juges d’instructions successifs, qui changent, sont mutés
À chaque fois, un nouveau magistrat vient tout reprendre à zéro…

Devant la juge, Fourniret dit qu’il faut « le considérer comme coupable ».

En 2019, aiguillé par les avocats Mes Didier Seban et Corinne Herrmann, qui représentent plusieurs familles de victimes, la juge parisienne Sabine Kheris récupère quatre dossiers de victimes potentielles de Fourniret. Parmi eux, celui d’Estelle Mouzin, dont accepte de se dessaisir une juge d’instruction de Seine-et-Marne. « Ce n’est jamais simple ce genre de dessaisissement, admet Me Seban. Regardez Nordahl LelandaisAlors que l’enlèvement de la petite Maelys est à l’évidence l’œuvre d��un tueur aguerri, comme le montre d’ailleurs le meurtre précédent du caporal Noyer, les juges d’instruction de Grenoble et de Chambéry ne parviendront jamais à s’entendre. Bilan des courses, il y a eu deux enquêtes distinctes, quand une seule aurait probablement été plus efficace… »

Avec Fourniret, en 2019, la centralisation de dossiers par la juge Kheris va tout changer. Dans l’affaire Mouzin, la magistrate parisienne aux allures austères dessaisit la police et désigne les gendarmes. Sabine Kheris reprend tout à zéro, travaille les détails du dossier. Emmagasine tout. Face à elle, la « taiseuse » Monique Olivier promet de parler… Entre ces deux femmes, une relation de confiance va se nouer lentement. Monique Olivier avance par palier. D’abord, en novembre 2019, elle admet avoir fourni le faux alibi de 2003. Dans la foulée, Michel Fourniret est mis en examen pour « enlèvement, séquestration suivie de mort ». Devant la juge, il dit que « sa mémoire fiche le camp », mais qu’il faut « le considérer comme coupable ». En 2020, Monique Olivier l’accuse ensuite d’avoir emmené la petite Mouzin à Ville-sur-Lumes. Fourniret, réentendu, ne confirme pas. « Rien ne fait tilt », dit-il.

La juge Kheris ne désarme pas face à ces demi-aveux. Comme les avocats de la famille Mouzin, la magistrate a la certitude que la vérité est à portée de main. Des analyses ADN, effectuées sur un matelas passé par Ville-sur-Lumes, confirment la présence d’Estelle Mouzin. La juge ordonne des fouilles d’abord dans le garage de la maison, où une dalle de béton a été coulée par le nouveau propriétaire, puis dans le jardin. Rien. En décembre 2020, sur des indications de Monique Olivier, la magistrate ordonne aussi des fouilles dans le château de Sutton des Fourniret. Toujours rien. Puis le 1er avril 2021, depuis la gendarmerie de Charleville-Mézières, elle décide de réentendre l’épouse du tueur. Extraite de sa cellule de Fleury-Mérogis, cette dernière refait le chemin des Ardennes. L’audition va durer six heures, face à la juge et à sa greffière, qui connaît elle aussi le dossier sur le bout des doigts. Mi-bras de fer, mi-accouchement… « Monique Olivier va à deux à l’heure », disaient les enquêteurs belges. L’audition est un combat. Mot à mot. Pied à pied.

Fourniret avait préalablement repéré l’endroit et éventuellement préparé une tombe.

Me Seban assiste au point de bascule. « Cela ne s’est pas fait d’un coup, mais cela a été un long processus. Il fallait très bien connaître le dossier, mille et un détails, des factures, des SMS… Des questions ont appelé des réponses, puis d’autres questions », raconte l’avocat. Dans cette gendarmerie des Ardennes, la compagne de Michel Fourniret finit par admettre que le lendemain de l’enlèvement d’Estelle Mouzin, elle s’est rendue elle aussi à Ville-sur-Lumes. Et que la fillette était en vie, séquestrée. À des détails qu’elle livre à la juge, pas de doute qu’il s’agit bien de la petite fille de Guermantes. Ce jour-là, le lendemain du rapt, Fourniret doit s’absenter et lui demande de garder la jeune captive. Encore une fois, sa complice Monique Olivier s’exécute. Elle dit ensuite quitter les lieux et ne revenir que le 11. Ce jour-là, Estelle Mouzin est morte. Violée et étranglée.

Monique Olivier est là quand Fourniret transporte le corps de sa victime dans sa camionnette et qu’ils filent vers Rumel, un village voisin en bordure de forêt. Aux enquêteurs, Monique Olivier va désigner un lieu, au bout d’un chemin, où elle aurait attendu dans la camionnette. « Pas très longtemps », a-t-elle dit. En tout cas un laps de temps suffisamment court pour que les enquêteurs estiment que Fourniret avait préalablement repéré l’endroit et éventuellement préparé une tombe.

Sur la base de ces indications, les gendarmes vont circonscrire un périmètre qui sera déboisé à compter de la semaine prochaine. Des recherches approfondies y seront ensuite menées. Après tant de temps perdu et d’occasions ratées, la juge Kheris a décidé de tout mettre en œuvre pour retrouver des traces d’Estelle Mouzin. Quoiqu’il en coûte.

De nombreux ADN inconnus ont été mis au jour dans la camionnette blanche de l’Ogre des Ardennes.

« Tous les éléments étaient là pour confondre Fourniret, depuis tant d’années, dans les scellés, les témoignages », soupire Me Seban, amer : « Aujourd'hui encore d’autres disparitions de fillettes imputables à Fourniret font l’objet d’enquêtes éparses dans différents tribunaux ! Des comparaisons ADN traînent en longueur. La juge Kheris doit encore insister auprès de certains parquets pour qu’ils obtiennent des familles des ADN, c’est long », dénonce l’avocat. De nombreux ADN inconnus ont été mis au jour depuis des années dans la camionnette blanche de l’Ogre des Ardennes…

Comme si dans cette course contre la montre entre le tueur et les juges, le temps avait fini par jouer en sa faveur. Selon nos sources, Michel Fourniret, trop atteint désormais de sénilité, ne serait aujourd’hui plus en état de comparaître devant un magistrat. « L’Ogre des Ardennes », qui a eu 80 ans le 4 avril, n’aura vraisemblablement plus de rendez-vous judiciaire dans cette vie. Et dans l’autre, si elle existe, un seul face-à-face l’attend : avec le diable en personne.

 

S/MARIANNE/Afric'solprod

 

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