Après l'affaire du contrat de sous-marins rompu par l'Australie, Emmanuel Macron devait hausser le ton contre Joe Biden. C'est fini. Tel un enfant sage, il est rentré dans le rang. Le billet d'humeur de Jack Dion.

Ce devait être le combat du siècle. On allait voir ce que l’on allait voir. Fini de rigoler. Pas question pour la France de Valmy, de la Commune, du général de Gaulle et de la Résistance de se laisser humilier par un pays qui se prend pour le gendarme du monde et qui se permet de couler les sous-marins français au large des côtes d’Australie pour livrer les siens à sa place, des engins à propulsion nucléaire, qui plus est.

C’était décidé. Emmanuel Macron qui avait fait rentrer à Paris son ambassadeur à Washington, allait prendre son téléphone et appeler Joe Biden pour le remettre à sa place une bonne fois pour toutes, en attendant des mesures de rétorsion spectaculaires.

Résultat ? Les deux présidents se sont parlé… et tout est rentré dans l’ordre. C’est comme s’il ne s’était rien passé, comme si la France n’avait pas vu le marché australien lui passer sous le nez, comme si le locataire de l’Élysée n’avait pas été humilié en rase campagne diplomatique.

LE FESTIVAL ATTAL

Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, qui brasse plus de vent qu’une armada d’éoliennes, est venu expliquer la chose sur les ondes de France Inter. À l’écouter, on pouvait avoir l’impression qu’Emmanuel Macron avait envoyé Joe Biden au tapis dès le premier round de l’échange téléphonique. On l’a entendu expliquer que le président américain avait « reconnu la responsabilité des États-Unis dans la crise », qu’il y a eu « des avancées importantes », et que « l’incident n’est pas clos ». La preuve : « Les présidents français et américains doivent se revoir à la fin du mois d’octobre. »

OK. Très bien. Mais concrètement ? Concrètement, il n’y a pas le début d’une esquisse d’amorce de changement. L’ambassadeur de France retourne aux États-Unis avec ses dossiers sous le bras, allégés de celui consacré à l’affaire des sous-marins, désormais enterrée. En échange, Washington a promis d’aider la France au Sahel, ce qui ne mange pas de pain. Enfin, parole de porte-parole : « Joe Biden a compris que l’Europe ne cherche pas un grand frère mais un partenaire. » Fin de la blague.

L'ART DE SE COUCHER

On n’attendait certes pas de la France qu’elle déclarât la guerre aux États-Unis, quand bien même s’agirait-il de la guerre diplomatique. Mais elle n’était pas obligée de se coucher et de rentrer dans le rang comme un enfant qui boude mais qui revient vite à la table par crainte d’une admonestation paternelle.

On a beau appartenir à la grande famille occidentale, on peut avoir une certaine idée de la dignité, de l’indépendance et du rôle d’un pays détenant un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. À quelques semaines de la présidence française de l’Union Européenne, on peut au moins essayer d’entraîner ses partenaires sur la voix de l’autonomie – on n’ose pas parler de souveraineté européenne, tant le terme paraît incongru.

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Encore faudrait-il avoir le courage de passer à l’acte, de parler haut et fort, bref d’assumer ses responsabilités. En mars 1966, le général de Gaulle, alors président de la République, n’avait pas hésité à taper du poing sur la table et à quitter le commandement intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique, s’attirant des critiques véhémentes, dont celles d’un dénommé François Mitterrand, déjà converti à l’atlantisme.

Plus près de nous, en 2003, lorsque les États-Unis avaient envahi l’Irak, le président Jacques Chirac avait refusé de s’embarquer dans cette aventure. Non sans courage, il avait ignoré les remarques acerbes de certains de ses partenaires européens et de quelques intellectuels parisiens qui crient à l'« antiaméricanisme primaire » dès que l’on ne s’aligne pas derrière l’hyperpuissance américaine.

HUMILIATIONS À RÉPÉTITION

Rien de tel aujourd’hui. La France est revenue dans le commandement intégré de l’Otan sous le règne de Nicolas Sarkozy ; elle y est restée sous le quinquennat de François Hollande ; et elle y est toujours nonobstant les humiliations à répétition imposées par les hôtes successifs de la Maison Blanche, quels qu’ils soient.

À intervalles réguliers, on nous chante la petite musique d’une défense européenne jouant le rôle de l’Arlésienne, dont on parle beaucoup mais qui n’arrive jamais. Et pour cause : pour une majorité des membres de l’UE, il n’est pas question de s’émanciper des États-Unis. À leurs yeux, la seule défense qui compte s’appelle l’Otan, braquée vers la Russie, et qui se tourne maintenant aussi vers la Chine. En vertu de quoi l’Atlantique nord s’étend désormais jusqu’à l’Asie, avec le soutien d’Emmanuel Macron, lancé dans la croisade de « l’Indopacifisme » sous bannière américaine, laquelle n’a de pacifique que le nom.

Dans ces conditions, on comprend mieux le mutisme de la France en réaction à l’affaire des sous-marins. Elle est tellement engluée dans le marasme atlantiste qu’elle en est réduite à avaler les couleuvres tout en prétendant le contraire, à charge pour Gabriel Attal d’assurer le service après-vente, ce qu’il fait avec le culot qui fait son charme.

Pierre Dac disait : « Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l'ouvrir ». Pour un porte-parole, c’est un défi quotidien.

S/M/Africsol

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