Simples, austères, géométriques, les quatre blocs du bâtiment reflètent l’esprit cérébral qui anime la marque de luxe. Dans ces locaux épurés, 500 employés s’affairent sur les collections qui définissent les contours de la mode Italienne.
 
Le bureau de Patrizio Bertelli, époux de Miuccia Prada et président du groupe, à Milan.

C’est un drôle d’objet qui accueille le visiteur. Une fois passé l’épaisse porte de béton armé, sur laquelle aucun logo n’identifie le lieu, se dresse au milieu d’une cour pavée un toboggan fermé en aluminium de 33 mètres de long. Baptisé The Slide N°5, il trône ainsi au cœur du siège social milanais de la maison Prada. Sa partie supérieure se niche dans l’un des murs du bureau de Muccia Prada. Il s’agit de la seule excentricité visible au premier coup d’œil.

Ces imposants locaux installés à deux pas de la Porta Romana, dans le sud-est de Milan, sont connus des habitants de la ville comme le « Fogazzaro », du nom de la rue qui les abrite depuis l’an 2000. Divisés en quatre bâtiments, blocs gris clair à la géométrie parfaite se répondant face à face, ils composent les différents services : direction, administration, communication, bureau de styleateliers de création, ainsi qu’une pièce immense, soutenue par de grandes arcades et destinée à accueillir les défilés de mode de la maison. Ces 10 000 mètres carrés, qui regroupaient plusieurs sites industriels par le passé, ont été entièrement repensés par Roberto Baciocchi, également architecte attitré des boutiques du groupe (Prada, Miu Miu et Church’s).

 
La légende veut que certains designers de mode aient besoin d’un environnement d’une absolue neutralité pour laisser leur esprit créatif se déployer sans être pollué. Avec des bureaux d’un dépouillement clinique, le deuxième étage du bâtiment principal, qui héberge les cabinets de travail de Miuccia Prada et de son époux, Patrizio Bertelli, président du groupe, répond parfaitement à ce principe. Lui aux finances, elle au style… Ces deux-là ont construit l’une des réussites les plus fulgurantes du monde du luxe.
« Mme Prada est la discrète du couple, elle ne prend que très rarement la parole, qu’elle laisse d’ailleurs volontiers à son époux. Ils ont ainsi trouvé leur équilibre », précise Denis Darpy, directeur du master « management du luxe » à l’université Paris-Dauphine. Ici, les canapés épurés sont signés Arne Jacobsen, les bureaux, dont rien ne dépasse, sont en bois noir – Muccia Prada n’a pas d’ordinateur, elle travaille sur des carnets –, et les tables emplies de magazines de mode et d’ouvrages de recherche méticuleusement empilés.
 
Lâ??espace dédié aux défilés, dans les locaux de Prada, à Milan.
 

Séparés par un long couloir aux murs blancs – évidemment – et au sol en béton ciré (qui est partout), les espaces lumineux que constituent leurs bureaux reflètent à la perfection l’esprit réputé cérébral de la marque. Défiant la notion de bon goût, la créatrice se plaît à convoquer l’étrange et le chic pour mieux retranscrire l’air du temps.

Miu Miu au dernier étage

Tout aussi studieux, les ateliers de confection de Prada et Miu Miu (petite sœur de la première, lancée en 1993) se partagent le même vaste espace au dernier étage du bâtiment ouest. Vêtus de leur immuable blouse blanche, couturiers, tailleurs et petites mains s’affairent entre portants de vêtements et machines à coudre avec une dextérité que rien ne semble pouvoir ébranler. Ici prennent vie les collections qui ont fait la réputation mondiale de cette maison fondée en 1913 par les frères Mario et Martino Prada.

 
Les ateliers de confection, dans les locaux de Prada, à Milan.
 

A l’origine petite entreprise de maroquinerie spécialisée dans l’importation de bagages en provenance d’Angleterre, elle s’est peu à peu tournée vers le prêt-à-porter et le luxe sous l’impulsion de Miuccia Prada, petite-fille de Mario, entrée dans l’entreprise en 1978. Un empire qui définit depuis les contours de la mode Italienne.

« Le groupe Prada est l’un des rares qui a réussi le pari de lier avec succès industrie, art, création et commerce. Cet équilibre définit en ce sens la personnalité de Mme Prada, constate Denis Darpy. De plus, à l’inverse de certaines grandes maisons, Prada s’inscrit dans la durée : il y a une constance dans le style et il n’y a pas de changements de directeur artistique intempestifs puisqu’elle est seule aux manettes. Cette transmission familiale est un trait très italien, on le constate avec des maisons comme Fendi ou Max Mara. »

 
A l’image de leur patronne, les quelque 500 employés du groupe savent se faire discrets. Si l’on perçoit bien l’effervescence créative dans le labyrinthe que constituent les locaux, elle opère sans bruit, à pas feutrés. Dans la salle dite des « tissus », au rez-de-chaussée d’un autre bâtiment, le silence règne malgré l’affairement des employés. On trouve, sur des rouleaux empilés jusqu’au plafond, toiles, tulles, cotonnades et autres soieries drapées, colorées ou brodées. Une collection qui n’est pourtant que la partie émergée de l’iceberg, le stock le plus important étant en Toscane.
 
Les ateliers de confection, dans les locaux de Prada, à Milan.
 
Outre la mode, l’art est l’autre passion connue et revendiquée du duo Miuccia Prada-Patrizio Bertelli. Et la Fondation Prada, inaugurée en 1993 à Milan, en est la traduction. Au sein du Fogazzaro, œuvres et installations artistiques sont également très nombreuses, mais le couple, auparavant peu avare de détails les concernant, se fait désormais beaucoup plus discret. Une précaution pour ne pas froisser les assureurs ? Tout juste connaît-on le nom de Carsten Höller, l’artiste qui a donné vie à l’emblématique toboggan en métal de l’entrée. On dit que Miuccia Prada s’adonne, de temps en temps, à ce plaisir régressif.
 
Seule étrangeté de la cour jouxtant le bâtiment Prada, à Milan, un toboggan. Imaginé par lâ??artiste Carsten Höller, The Slide No5 part du bureau de Miuccia Prada.
 
S/Monde.fr/AFRICSOL
 

Commentaires