C'est une petite révolution dans le monde du rugby sud-africain : Siya Kolisi, bientôt 27 ans, a été nommé capitaine des Springboks, la sélection nationale. Pour la première fois en cent vingt-sept ans, un Noir dirige une équipe dont l’histoire est intrinsèquement liée à celle de l’apartheid.

Né dans un township de Port-Elizabeth (sud-ouest), Siyamthanda Kolisi, dit « Siya », a rejoint les Springboks en 2013 et compte vingt-huit sélections. La nomination du troisième ligne, jusque-là vice-capitaine, n’est que la suite logique d’une carrière prometteuse. Il n’empêche, certains y voient une décision politique alors que, comme beaucoup de sujets en Afrique du Sud, le rugby est toujours hanté par la question raciale.

Un emblème du régime ségrégationniste

Les « Boks », en particulier, furent l’un des emblèmes du régime ségrégationniste qui prévalait jusqu’en 1991. Noirs et Blancs, mais aussi métis et Indiens, n’étaient alors pas autorisés à jouer ensemble sur le même terrain, et la sélection nationale était l’apanage des seuls Blancs, ce qui lui valu de faire l’objet d’une campagne internationale de boycott.

A la chute du régime, Nelson Mandela, dans un esprit de réconciliation, avait exhorté tous les Sud-Africains à soutenir les Springboks. Lorsque ces derniers ont remporté la Coupe du monde 1995, à domicile, le nouveau président a même endossé le maillot de l’équipe pour remettre le trophée au capitaine François Pienaar. Un geste hautement symbolique, à l’heure de l’optimisme qui accompagnait la naissance de la « nation arc-en-ciel », même si la sélection ne comptait encore qu’un seul joueur non-Blanc. L’épisode a été porté à l’écran en 2009 par Clint Eastwood dans Invictus.

La discrimination positive et les quotas

Mais vingt-sept ans après la fin officielle de l’apartheid, cette réalité n’a que peu changé : le rugby reste largement dominé par la minorité blanche, qui ne représente pourtant que 8 % environ de la population totale. Si bien que le gouvernement, ces dernières années, a fini par hausser le ton, menaçant de priver les Springboks de Coupe du monde. Pour faire taireles critiques, la Fédération de rugby a introduit des quotas : les équipes doivent intégrer au moins sept joueurs non-Blancs, sur vingt-trois, à chaque match. Au prochain Mondial, en 2019 au Japon, la moitié de la sélection devra être composée de Noirs et métis. De quoi enflammer les débats, entre ceux qui considèrent que seul le mérite doit prévaloir dans le sport, et ceux qui avancent que la discrimination positive est l’unique manière de compenser l’héritage de l’apartheid.

« LE RUGBY NE PEUT PAS SURVIVRE AVEC 8 % DE LA POPULATION. IL DOIT SE TRANSFORMER »KHOTSO SELLO, SPÉCIALISTE DES SPRINGBOKS

Sur les réseaux sociaux, les récalcitrants y vont de leurs commentaires injurieux et souvent racistes pour exprimer leur mécontentement, après quelques mauvaises saisons des Springboks. Siya Kolisi a déjà fait les frais de ces outrages, en 2016, lorsqu’il a épousé une femme blanche, union qualifiée de « gaspillage de bons gènes blancs ».

« Il y a une minorité d’Afrikaners (les descendants des colons néerlandais) qui pensent que ce sport leur appartient, explique le spécialiste des Springboks Khotso Sello. Or les cadres qui administrent le rugby sont les mêmes qu’il y a quarante ans. Ce n’est pas viable, le rugby ne peut pas survivre avec 8 % de la population. Il doit se transformer. »

Le principal intéressé, tout comme le sélectionneur, Johan Erasmus, balaie néanmoins toute connotation politique dans le choix de sa nomination. « L’entraîneur n’est pas un homme politique et moi non plus », a-t-il déclaré. « Tous les membres de l’équipe méritent leur place et je ne suis pas là pour fabriquer quoi que ce soit », a renchéri le coach. Les 9, 16, et 23 juin, Kolisi doit mener les Springboks pour trois test-matchs contre leur grand rival, l’Angleterre. De quoi accroître un peu plus la pression sur les épaules du joueur.
S/Lemonde.Afrique/AFRICSOL

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