A la veille de la fête musulmane du sacrifice, les prix des ovins s’envolent. Principale cause : l’insécurité qui règne dans la région.

 

« Il y a une pénurie comme on n’en a jamais connu à cause de cette maudite crise sécuritaire ! » Les traits tirés, la tête enveloppée dans un turban bleu, le vendeur de moutons nigérien Ali Zada ne décolère pas. Son travail : acheter des moutons dans sa région, Tillabéri – dans la région en conflit dite des « trois frontières » entre Mali, Burkina Faso et Niger –, puis les revendre dans la capitale du Niger.

Mais cette année, rien ne va : « Avant, je pouvais amener à Niamey jusqu’à 500 têtes de moutons, mais regardez… », précise-t-il en se tournant.

Rencontré jeudi 15 juillet, à peine trente animaux squelettiques le suivaient alors timidement. Il espérait les avoir revendus d’ici à mardi, jour de la fête musulmane du sacrifice, l’Aïd el-Adha, qu’on appelle Tabaski en Afrique de l’Ouest, où les fidèles partagent en famille et avec leurs voisins un mouton sacrifié le jour même.

Comme lui, ils sont des millions d’éleveurs, revendeurs et acheteurs à se lamenter de l’impact de la guerre sur « la grande fête » : des moutons moins nombreux et des prix qui s’envolent.

Banditisme et groupes armés locaux

Depuis 2012 et l’émergence d’un conflit indépendantiste dans le nord du Mali, celui-ci s’est métastasé et étendu dans les trois pays du Sahel central (Mali, Burkina Faso et Niger). Des violences communautaires et djihadistes – de groupes affiliés à l’Etat islamique ou à Al-Qaida – endeuillent désormais quotidiennement ces pays.

En plus d’avoir largement recruté parmi ces populations pastorales marginalisées par les Etats centraux, les djihadistes prélèvent dans les zones où ils sont puissants l’impôt islamique (zakat), souvent sous forme de bétail. Et les pasteurs sont aussi victimes des sécheresses répétitives du Sahel qui ont décimé les cheptels.

A ces pressions djihadiste et climatique s’ajoute enfin l’essor du banditisme et de groupes armés locaux autoproclamés d’autodéfense. Au fil des ans, le vol de bétail est ipso facto devenu un élément central de l’économie de la guerre.

« Les éleveurs n’ont plus la liberté de leur pleine mobilité », résume Abdoul Aziz Ag Alwaly, cadre du Réseau Billital Maroobé, association ouest-africaine de défense des intérêts des pasteurs. « Sur le parcours entre le lieu d’élevage et le point de vente, il y a de plus en plus de risques et de frais” », explique-t-il, en référence aux attaques de groupes armés ou au racket de bandits.

Mort et insécurité

« Tu élèves tes animaux pendant des mois et un bandit vient te les arracher en quelques minutes », souligne Mamane Sani, membre d’une association locale de consommateurs nigérienne. Alors beaucoup d’éleveurs n’ont pas fait le trajet pour la fête, et les marchés des centres urbains ne sont pas bondés comme à l’ordinaire.

Au Sahel, chacun connaît quelqu’un à qui il est arrivé malheur. Pour Issa Ouédraogo, vendeur de 33 ans rencontré sur le marché de Tanghin à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, c’était l’un de ses fournisseurs. « Il s’est vu arracher plus de 200 têtes de bovins et son cousin qui gardait les bêtes a été abattu », raconte-il.

La mort et l’insécurité « sont devenues la norme pour des millions de Sahéliens, et particulièrement nous autres éleveurs. Il faut que les gens s’en rendent compte », souligne un membre d’une association pastorale à Bamako, anonymement.

A Toukarou, principal marché à bétail de Niamey, le percepteur de la taxe d’entrée des bêtes en ville Moussa Abdou regrette le passé et ses « incessantes navettes de camions chargés de moutons ». En ce moment, dit-il, il y a « un ou deux camions avec quelques dizaines de bêtes par jour, c’est tout ! ».

« C’est plus du double ! »

Plus loin dans les rues de la capitale nigérienne, sous les 45 °C du milieu de journée, Maazou Zakou traîne les pieds avec ses quinze béliers. « Je suis bien éreinté et les bêtes ne veulent plus avancer », explique l’éleveur, transpirant à grosses gouttes. Il essaie sans succès de les écouler depuis le matin, mais ne veut pas se résoudre à baisser le prix de vente.

Partout, on entend le même discours pour expliquer la flambée des prix : du côté des vendeurs, on plaide l’insécurité et les soucis rencontrés sur la route vers le lieu de vente pour augmenter le prix. Les acheteurs, eux, ne peuvent débourser plus que de raison dans un contexte économique délétère.

« Les moutons que l’on payait à 35 000 francs CFA [53 euros] sont passés à 80 000 [120 euros]. C’est plus du double !, explique Ahmed Cissé à Ouagadougou, venu acheter le sien pour la fête. Les prix sont trop élevés pour la bourse d’un fonctionnaire. »

Au Mali, le gouvernement a lancé une « vente promotionnelle » à quelques jours de la Tabaski pour « permettre aux populations les plus défavorisées d’acheter un mouton », selon le ministre de l’élevage, Youba Ba.

L’insécurité a fait monter les prix, reconnait-il, mais il affirme que l’armée a « sécurisé » des corridors pastoraux pour permettre l’acheminement des bêtes. Il se veut rassurant : tout a été fait pour que « chaque Malien ait un mouton à égorger mardi ».

Le Monde avec AFP/Africsol

 
 

 

 

 

 

 

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