Ce 2 décembre, Antonio Guterres a appelé le peuple soudanais au « bon sens » en l'invitant à cesser les manifestations contre la junte au pouvoir. Une sortie apocalyptique de la part du secrétaire général de l'ONU quand on sait que parmi les militaires aux manettes, certains ont contribué aux pires atrocités, notamment au Darfour, au cours des vingt dernières années.

Le secrétaire général de l’ONU a-t-il perdu la raison ? Ce jeudi 2 décembre, Antonio Guterres a appelé sans rire le peuple soudanais « au bon sens ». C’est-à-dire à accepter sans ciller le retour au poste de Premier ministre d’Abdallah Hamdok – évincé il y a quelques semaines par la junte militaire.

Certes, Hamdok lui-même – désormais seul représentant au pouvoir de la société civile – a demandé un retour au calme, mais le conseil de son ami Guterres reste pour le moins étonnant quand on sait ce qui est advenu de la feuille de route signée en août 2019 et déchirée d’un revers de sabre le 25 octobre dernier. L’accord acté après un an de révolution – qui a abouti au renversement du dictateur Omar el-Béchir au pouvoir entre 1989 et 2019 – proposait le partage du pouvoir entre civils et militaires. Abdallah Hamdok, alors Premier ministre, représentait avec d'autres ministres et parlementaires le pouvoir civil dans cet attelage qui devait mener le pays à une transition démocratique jusqu’aux élections de 2024.

Dans ce mélange des genres, les militaires conservaient tout de même deux ministères clé – l’Intérieur et la Défense – et le même nombre de sièges que les civils dans le Conseil de souveraineté dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhan, l'actuel homme fort du pays. Un équilibre qui n’a pas beaucoup plu à l’armée ni à Mohamed Hemetti alias Hamdan Dagalo. Ce dernier est à la tête des paramilitaires de la Force de soutien rapide (RSF), ex-janjawids responsables de nombreux massacres au Darfour depuis 2003 et dont certains sont recherchés par la Cour pénale internationale.

COUP D'ÉPÉE DANS L'EAU

La sortie du numéro un des Nations Unies aura probablement l’effet d’un coup d’épée dans l’eau. Le peuple soudanais ne voudra pas d’une démocratie de façade. En l’espace de vingt ans, il a connu la guerre du Darfour, qui a fait plus de 300 000 morts et deux millions de déplacés, mais aussi une partition en deux pays distincts en 2011 avec le Soudan du Sud et une révolution sanglante qui a abouti à l’éviction d’un dictateur.

N’en déplaise à Antonio Guterres pour qui « c’est une victoire importante de voir que le Premier ministre a été libéré et rétabli dans son poste », la démocratie reste en revanche bâillonnée. L’ingénuité – ou le cynisme c'est selon – des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union européenne qui ont salué d’une même voix le retour d’Abdallah Hamdok à son poste, a de quoi faire rire… jaune. À l’heure actuelle, rien ne prouve qu’un dialogue entre civils et militaires puisse de nouveau être instauré.

Un retour au calme à Khartoum et dans le reste du Soudan est moins que jamais d'actualité. Des marches « du million » sont régulièrement appelées aux quatre coins du pays. Ce lundi 6 décembre, des manifestations monstres sont attendues dans la capitale avec un message clair et sans ambiguïté aucune : le retour sans condition à l'accord d'août 2019 et à la mise en place d'un gouvernement civil qui, selon la feuille de route, devait prendre les rênes du pays le 17 novembre dernier. Antonio Guterres aura-t-il le « bon sens » dans les prochaines heures de réclamer la relance de cet accord et l'arrêt de la répression policière qui frappe l'ensemble du pays ? Les Soudanais l'espèrent.

S/M/Africsol

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