Fermés depuis la fin octobre pour la seconde fois en moins d’un an, les cinémas sont dans l’impossibilité d’accueillir les spectateurs frustrés. En guise de consolation, ces derniers ont parfois l’occasion de découvrir des pépites sur leurs petits écrans. La preuve avec trois films puissants qui, en d’autres temps plus aimables, auraient probablement enchanté les salles.

1. “MALCOM & MARIE” : LA PASSION INCORRECTE SELON SAM LEVINSON

Le mastodonte Netflix n’en finit pas d’attirer les cinéastes américains ambitieux qui, dans l’incapacité de produire leurs films au sein d’une production indépendante exsangue, profitent logiquement des opportunités offertes par la plateforme vorace. Nouvel exemple avec Sam Levinson, le fils talentueux de Barry Levinson (“Good Morning Vietnam”, “Rain Man”), qui signe un film sidérant d’intelligence et d’audace : “Malcom & Marie”, une des révélations de ce début d’année.

Une nuit, dans une luxueuse demeure… Malcom, un réalisateur ambitieux, et Marie, sa compagne, reviennent d’une longue soirée mondaine où le premier nommé a présenté son nouveau film devant la « fine fleur » de la critique américaine. Le succès semble au rendez-vous, mais Malcom, un cinéaste à l’ego surdimensionné, redoute, pas forcément à tort, de ne point être jugé pour ses qualités, mais pour son appartenance à la communauté noire. « J’en ai marre d’être inévitablement considéré comme le nouveau Spike Lee. Pourquoi pas comme le nouveau William Wyler ? » dit-il en substance. Cette crainte ajoutée aux frustrations de Marie, qui désirait un temps devenir actrice et reproche à son compagnon de s’être inspiré de sa vie pour écrire son scénario, ne tarde pas à semer une zizanie de tous les diables au sein du couple qui, le temps d’une nuit, se déchire en s’adonnant à une violente joute verbale et existentielle.

Les mots et les maux

En 1966, Mike Nichols adaptait pour le grand écran une pièce de Edward Albee : Qui a peur de Virginia Woolf ? et dirigeait Elizabeth Taylor et Richard Burton dans une « scène de ménage » majeure de l’histoire du cinéma. Un demi-siècle et des poussières plus tard, Sam Levinson, d’après un scénario écrit par ses soins, récidive dans “Malcom & Marie” : un film d’une intensité rare qui joue à merveille du huis clos et de l’unité de temps pour mettre en scène la « guerre » entre deux amants qui ne s’épargnent pas.

Avec un art consommé des dialogues, des silences et du champ-contrechamp, le cinéaste entraîne le spectateur dans un combat fiévreux et impitoyable qui rappelle parfois les films de John Cassavetes et, cerise sur le gâteau, taille en pièces le « politiquement correct » qui sévit outre-Atlantique dans le milieu du cinéma comme ailleurs. Tourné dans un somptueux noir et blanc (comme récemment “Mank”, de David Fincher, également une production Netflix), un film brûlant à découvrir d’urgence.

“Malcom & Marie”, de Sam Levinson, avec John David Washington, Zendaya Coleman… Sur Netflix à partir du 5 février

2. “LA MISSION” : L’AMÉRIQUE DÉGLINGUÉE SELON PAUL GREENGRASS

Une « star » incontestée en tête d’affiche (Tom Hanks), un cinéaste réputé derrière la caméra (Paul Greengrass, l’auteur de “Bloody Sunday” et de “United 93”) et, signe des temps, une diffusion en exclusivité sur Netflix… Dans “La Mission”, Greengrass met en scène les aventures mélancoliques du Capitaine Jefferson Kyle Kidd, un vétéran de la Guerre de Sécession qui arpente les États du Sud dévastés et œuvre en tant que lecteur public dans les saloons qui acceptent de l’accueillir.

Au gré de ses pérégrinations dans le Texas profond, cet anti-héros fatigué de tout et surtout de lui-même rencontre une gamine de dix ans, Johanna, enlevée depuis six ans par des Indiens. Contraint par les circonstances, mais aussi désireux de s’inventer pendant quelques semaines une nouvelle existence, le Capitaine accepte d’accompagner la fillette dans ce qui lui reste de famille : son oncle et sa tante qui vivent à plusieurs centaines de kilomètres.

L’Amérique, version sombre

Dans son nouveau film, Paul Greengrass, après tant d’autres, aborde les rivages du Western, mais, grâce à son inspiration scénaristique et formelle, il échappe aux conventions qui sclérosent si souvent le genre. En adaptant Des nouvelles du monde le roman à succès de Paulette Jiles publié en 2016, le cinéaste ne se contente pas de décrire les relations émouvantes entre deux héros en mal de repères, il dresse aussi et surtout le portait à vif d’une Amérique désolée et en proie à ses plus vils instincts : le racisme, l’appât désespéré du gain, l’ultra violence… Avec sa mise en scène constamment inventive et son impeccable direction d’acteurs, le film s’impose comme l’une des plus belles réussites de son auteur.

“La Mission”, de Paul Greengrass, avec Tom Hanks, Helena Zangel… Sur Netflix à partir du 10 février

3. “THE NEST” : L’ÉCONOMIE FOLLE SELON SEAN DURKIN

Honoré par plusieurs prix en septembre au festival de Deauville et initialement programmé pour une sortie dans les salles en novembre dernier, “The Nest”, signe des temps bis, est finalement diffusé en exclusivité sur les antennes de « Canal + », ravies d’accueillir des longs-métrages inédits… Dans son nouveau film, Sean Durkin - auteur en 2011 du remarquable “Martha Marcy May Marlene” - met en scène, dans les années 80, un couple qui, a priori, semble à l’abri des tempêtes : Rory, un courtier anglais à qui aucun succès ne paraît résister, et Allison, son épouse américaine, passionnée par l’équitation.

Quand le couple déménage en Angleterre, où Rory a fait l’acquisition d’un gigantesque manoir, l’équilibre apparent du couple vole en éclats. Les plans financiers pharaoniques de l’arrogant Rory échouent les uns après les autres et le duo, habitué à un train de vie fastueux, doit affronter des difficultés matérielles qui minent son existence.

La folie spéculative

Avec ses deux personnages au bout du rouleau, Sean Durkin, sans jamais s’abîmer dans le didactisme, décrit avec une précision glaciale les années 80 et les délires suscités par la croyance aveugle dans les vertus du néolibéralisme des adeptes de Reagan et Thatcher. En plein déni alors que, à force de spéculations douteuses, il entraîne sa famille dans la banqueroute, Rory, si sûr de son instinct et de sa « bonne fortune », est prêt à tout, même au pire, pour ne pas voir égratigné son statut de star de la finance. Face à lui, Allison, plus lucide, tente de sauver ce qui peut l’être et de résister à la déraison de son conjoint toxique. Incarné par deux acteurs impeccables - Jude Law, dans l’un de ses meilleurs rôles, et Carrie Coon - “The Nest”, à sa manière, dépeint avec une implacable lucidité les dégâts engendrés par l’économie folle. La « leçon » ne vaut pas que pour les années 80…

 

“The Nest”, de Sean Durkin, avec Jude Law, Carrie Coon… Sur Canal + le 9 février à 21h

S/M/Africsol

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