Le premier procès de Nordahl Lelandais débute lundi 3 mai à Chambéry. L'ancien maître-chien sera jugé pour le meurtre d'Arthur Noyer en 2017. L'avocat de la famille de la victime, Bernard Boulloud, espère en savoir plus sur les circonstances du drame mais aussi sur les loupés de l'enquête.

Dans la nuit du 11 au 12 avril 2017, Arthur Noyer, 23 ans, caporal à la caserne de Barby (Savoie), s'évaporait à la sortie d'une boîte de nuit. Huit mois plus tard, la justice mettait en examen Nordahl Lelandais, également soupçonné de la mort de la petite Maëlys en août de la même année. L'ancien maître-chien, aujourd'hui âgé de 38 ans, sera d'abord jugé pour le meurtre du caporal, qu'il avait alors pris en stop, à partir de ce lundi 3 mai à Chambéry, avant un second procès d'ici quelques mois. De nombreuses questions planeront sur ce premier rendez-vous judiciaire : l'enquête a-t-elle connu des ratés ? Lelandais est-il trop longtemps passé entre les mailles de la justice ? Pour Marianne, l'avocat des parents d'Arthur Noyer, Bernard Boulloud, fait le point.

Marianne : Qu’attendez-vous de ce procès ?

Bernard Boulloud : Avec la famille d’Arthur Noyer, nous n’attendons pas grand-chose de Nordahl Lelandais. Nous sommes quasiment convaincus qu’il ne dira pas la vérité. En revanche, nous espérons que celle-ci vienne d’autre part : des témoins et des experts qui seront entendus à la barre mais aussi des éléments matériels, des données téléphoniques, des conclusions de l’autopsie… Face aux différentes versions des faits données par Nordahl Lelandais, face aux mensonges qu’il a empilés comme dans un mille-feuille, nous comptons également sur l’intime conviction des jurés.

Précisément, Nordahl Lelandais assure qu’il a pris en stop Arthur Noyer, cette nuit-là, puis qu'il s’est battu avec lui, qu’il y a eu échange de coups. Pourquoi n’est-ce pas crédible à vos yeux ?

Sans entrer dans les détails, le médecin légiste lui-même ne croit pas à cette version. Notamment en raison de l’état dans lequel se trouvait Arthur Noyer, avant sa disparition, c'est-à-dire à sa sortie de boîte de nuit. Même s’il n’était pas ivre mort, il avait consommé de l’alcool, il était fatigué. Un seul coup de Nordahl Lelandais - un ancien militaire qui faisait de la boxe - et Arthur Noyer se serait effondré. Pourquoi alors en avoir porté douze ? D’ailleurs, lors de la reconstitution, quand Nordahl Lelandais a refait ses gestes, le gendarme qui tenait le mannequin symbolisant Arthur avait du mal à rester debout.

Le mystère demeure toujours sur les motivations de Nordahl Lelandais. Si ce n’est pas une bagarre qui a mal tourné, alors pourquoi a-t-il tué Arthur Noyer ?

Je l’ai toujours dit : Nordahl Lelandais était « à la chasse ». Sa façon de se promener dans Chambéry à une heure aussi tardive montre qu’il ne cherchait pas un paquet de cigarettes mais une proie, que ce soit une femme, un homme ou une enfant. Il voulait assouvir un besoin sexuel. Ce soir-là, il avait déjà été éconduit par une copine. Nous ne savons pas ce qu’il s’est passé dans la voiture cette nuit-là mais il est évident qu’Arthur Noyer n’était pas porté sur les relations homosexuelles.

Pour mieux retracer le parcours criminel de Nordahl Lelandais, n’aurait-il pas fallu un seul procès pour les deux affaires, Arthur Noyer et Maëlys ?

Je ne pense pas. Le ministère de la justice l’a envisagé mais nous avions alors fait savoir que nous voulions deux procès différents. Nous voulions que chaque famille puisse faire son deuil et nous estimions qu’aucun procès ne devait faire de l’ombre à l’autre, si je puis dire.

Après la mise en cause de Nordahl Lelandais dans les affaires Maëlys et Arthur Noyer, la justice, la gendarmerie et les associations ont exhumé des disparitions non élucidées en Rhône-Alpes. À ce jour, l’ancien maître-chien n’est mis en cause dans aucun de ces dossiers. Faut-il penser qu’Arthur Noyer est la première victime de Lelandais ?

Très sincèrement, je pense qu’Arthur Noyer n’est pas la première victime de Nordahl Lelandais. Le mode opératoire, bien huilé, maîtrisé, est exactement le même que pour la petite Maëlys. À chaque fois, il coupe son téléphone, il le bascule en « mode avion ». Il faut déjà avoir ce réflexe ! Quand on tue par hasard, on ne calcule pas à ce point-là. Il avait peut-être déjà essayé, je dis bien : peut-être. Et à chaque fois, il livre la même version : c’est pas de sa faute, c’est l’autre qui ne se tenait pas tranquille, il a paniqué, il a mis une grosse claque… S’il n’y avait eu qu’Arthur, j’aurais pu le croire, mais il y a eu Maëlys.

Vous êtes l’avocat de familles dans plusieurs de ces dossiers de disparition non élucidées en Rhône-Alpes. Soupçonnez-vous encore son implication dans certaines de ces affaires ?

On ne peut pas l’accuser de toutes les disparitions. Mais la question se pose dans le dossier Thomas Rauschkolb, un jeune homme retrouvé mort dans un ravin, à la sortie d’une boîte de nuit de Grésy-sur-Aix en Savoie, en décembre 2015. On y retrouve plusieurs éléments communs aux affaires qui ont mené Lelandais devant la cour d'assises : un lieu de fête, la nuit, un gamin de 20 ans, affaibli parce qu’il a bu. Une fois de plus, on retrouve le corps au pied d’un ravin. On sait que Lelandais s’est déjà rendu dans cette boîte de nuit. Que ce jour-là, il a fait quatre voyages entre Chambéry et Aiguebelette, où il avait un cabanon, et donc qu’il se trouvait à moins de dix kilomètres de l’endroit où on a trouvé le corps de Thomas Rauschkolb. Par ailleurs, une ex-petite amie de Lelandais a indiqué à la presse qu'à cette époque, elle venait de rompre avec Lelandais. Et qu'au moment des affaires Arthur Noyer et Maëlys, Lelandais avait également connu une rupture sentimentale. J'interrogerai cette jeune femme à ce sujet puisqu’elle témoignera aussi devant la cour d’assises.

Pensez-vous que certaines de ces disparitions puissent être liées à un autre tueur dans la région ?

Sur la région de Valence, un autre prédateur a pu sévir. Je pense à l’affaire Nelly Balmain, disparu au guidon de son scooter à Saint-Jean-en-Royans le 8 août 2011 et à l’affaire Eric Foray, disparu à bord de son 4X4 à Chatuzange-le-Goubet le 16 septembre 2016. Géographiquement, les deux disparitions sont très proches et à chaque fois on ne retrouve ni la personne ni le véhicule.

La gendarmerie a mis sur pied une cellule spéciale, baptisée « Ariane » pour croiser le parcours de Lelandais avec 900 disparitions, morts suspectes ou crimes non élucidés dans la région Rhône-Alpes. Quel bilan tirez-vous de ces investigations ?

Le bilan ? Zéro. À l’origine, quand la gendarmerie a créé cette cellule, toutes les familles pensaient, ainsi que moi-même, qu’il s’agissait d’une excellente initiative et qu’elle allait nous permettre de faire avancer les choses. Le général Lecouffe [alors sous-directeur de la police judiciaire de la gendarmerie, N.D.L.R.] s’était empressé de dire qu’ils avaient recueilli 900 dossiers pour les comparer… Mais au fur et à mesure de ses interventions médiatiques, nous avons commencé à déchanter. Un jour, Lecouffe annonce qu’il n’y a plus que 40 dossiers étudiés mais sans jamais dire lesquels. Je lui ai donc écrit pour lui demander poliment des informations. N’étant pas un lapin de six semaines, je savais qu’il me répondrait que c’était à la justice de nous informer. C’est exactement ce qu’il a répondu. Nous n’avons donc jamais su les conclusions de la cellule Ariane.

« Pourquoi les deux lignes téléphoniques de Nordahl Lelandais n’ont pas été identifiées plus tôt ? »

Aujourd’hui, beaucoup de familles se posent la question : cette cellule a-t-elle été créée pour former un écran de fumée ? Pour cacher quoi ? Peut-être des dysfonctionnements observés dans ces différentes enquêtes menées sur ces disparitions non élucidées. Quels intérêts a servis « Ariane » ? Ceux des familles ou ceux de la gendarmerie ?

L’enquête sur la disparition d’Arthur Noyer a-t-elle aussi connu des dysfonctionnements ?

En ce qui concerne la recherche d’indices, c’est plutôt un dossier exemplaire. Le procureur a fait le maximum pour recueillir vidéos, bornages, sondage des plans d’eaux… Il a aussi rapidement transmis la procédure à un juge d’instruction. Cette efficacité est peut-être liée au fait qu’Arthur était militaire et que les militaires ont fourni des moyens : hélicoptère, chien, hommes-grenouilles… En revanche, il a pu y avoir des défaillances dans l’exploitation des données, notamment de la téléphonie.

Arthur Noyer a disparu dans la nuit du 11 au 12 avril 2017. On a retrouvé un crâne le 7 septembre suivant. Et pourtant, des connexions n’ont pas été faites. Nous-mêmes n’avons pas été avertis. Le crâne a été envoyé à Lyon pour examen. Début décembre, les analyses indiquent seulement qu’il s’agit d’un crâne humain, de sexe masculin. Il faut attendre mi-décembre pour que des analyses génétiques soient faites. Et ce n’est que le 19 décembre 2017 que je reçois un appel du juge m’informant qu’il s’agissait du crâne d’Arthur. Si j’avais été tenu informé, j’aurais demandé l’expertise génétique dès septembre. Ce retard a porté préjudice à la découverte du corps d’Arthur, on n’a pas pu empêcher la disparition d’indices ou détecter certaines fractures. Si on avait su que c’était le crâne d’Arthur dès septembre, on aurait sans doute poussé les recherches pour trouver les restes du corps.

Autre raté possible : pourquoi les deux lignes téléphoniques de Nordahl Lelandais n’ont pas été identifiées plus tôt ? La nuit de la disparition d’Arthur Noyer, sur la route entre Chambéry et Saint-Baldoph, il n’y avait pas foule sur la route. Pourquoi n’a-t-on pas repéré plus tôt que les deux lignes téléphoniques de Lelandais bougeaient en même temps que celle d’Arthur ? S’il y a une explication technique, je ne la connais pas et je poserai la question au procès. Ce qui a été découvert à l’automne, aurait pu l’être avant, à mon avis. Et cela pose la question : aurait-on pu interpeller Lelandais dès l’été 2017 ?

S/M/Africsol

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